International

Guerre hybride et résistances humanistes aux confins de l’UE

Sociologue, Sociologue

Alors que l’Europe a accueilli en quelques semaines plus de trois millions de réfugiés ukrainiens, deux sociologues de retour de terrain à la frontière polono-biélorusse dressent un portrait radicalement différent de la « crise migratoire » qui y eut lieu à l’automne 2021. Elles exposent l’instrumentalisation biélorusse des migrants, leur parcours dangereux, la répression polonaise et l’étouffement de l’information, mais aussi une mobilisation citoyenne solidaire, participant d’une résistance transversale et protéiforme contre un gouvernement aux penchants autoritaires.

Sociologues travaillant sur la question migratoire, nous nous intéressons plus particulièrement depuis quelques années aux transformations des frontières européennes et aux mobilisations civiles qu’elles suscitent. C’est à ce titre que l’actualité du nord-est de l’Europe nous a interpellées lorsque nous en avons eu connaissance, à la fin de l’été 2021. Déjà au fait des violences occasionnées par la politique migratoire européenne, il nous a paru important de mieux saisir ce qui se jouait entre la Pologne et la Biélorusse dans la mesure où certains aspects nous paraissaient inédits et appelaient à être mieux compris.

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Rétrospectivement, cela peut aujourd’hui être perçu comme les prémisses des tensions entre le bloc Biélorussie-Russie et Union européenne-OTAN. D’une part, c’était la première fois qu’une « crise migratoire » était montée de toutes pièces par un dirigeant aux portes de l’Union européenne (UE) et la réaction de la Pologne semblait atypique par son autonomie autant que par sa virulence. D’autre part, dans ce contexte très militarisé, le soutien apporté aux migrants par des bénévoles était fort peu documenté, laissant croire à une quasi-absence de mobilisation citoyenne. Ce sont ces deux aspects que nous avons cherché à éclairer lors de notre séjour à Varsovie puis dans la région frontalière de Hajnówka en janvier 2022.

Migrations et pouvoir de négociation

« Nous faisons face à une attaque hybride, brutale, violente et indigne » : c’est par ces propos que le président du Conseil européen abordait le drame qui se jouait aux frontières de la Pologne, la Lituanie et la Lettonie avec la Biélorusse, en novembre 2021. Faisant passer au second plan la crise humanitaire vécue par plusieurs milliers de migrants coincés entre deux frontières dans une région reculée du nord-est de l’Europe, il mettait en évidence la dimension politique prise par la question migratoire à l’échelle internationale. Après des décennies d’obsession migratoire, l’UE considère déso


[1] Le terme « guerre hybride » (hybrid war) est employé depuis quelques années notamment par l’OTAN pour qualifier des conflits dont les acteurs ne sont pas directement des États.

[2] Voir le rapport de Grupa Granica de 2021 sur la crise humanitaire à la frontière polono-biélorusse ici.

[3] En 1941, le ghetto de la seule ville de Bialystok comptait 50.000 personnes. À partir de 1943, ses habitants ont été transportés vers le camp de concentration de Majdanek ou le camp d’extermination de Treblinka.

[4] La chambre criminelle de la Cour suprême polonaise a rendu un arrêt mardi 19 janvier, jugeant contraire à la Constitution l’interdiction générale d’accès à la zone frontalière.

[5] UNHCR, communiqué du 22 octobre 2021.

[6] L’UE s’est émue de ce geste politique et, en réponse, s’est proclamée en mars 2021 « zone de liberté » pour les personnes LGBT.

[7] « En Pologne, le parti national conservateur au pouvoir prend en main l’éducation », Le Monde, 22 janvier 2022

[8] Nous avons interrogé nos interlocuteurs quant à d’éventuels liens avec la société civile biélorusse, mais il ne semble pas y avoir de communication établie avec des Biélorusses mobilisés dans la région frontalière.

Giulia Breda

Sociologue, Docteure en sociologie à l'Université Côte d'Azur

Swanie Potot

Sociologue, Directrice de recherche au CNRS

Notes

[1] Le terme « guerre hybride » (hybrid war) est employé depuis quelques années notamment par l’OTAN pour qualifier des conflits dont les acteurs ne sont pas directement des États.

[2] Voir le rapport de Grupa Granica de 2021 sur la crise humanitaire à la frontière polono-biélorusse ici.

[3] En 1941, le ghetto de la seule ville de Bialystok comptait 50.000 personnes. À partir de 1943, ses habitants ont été transportés vers le camp de concentration de Majdanek ou le camp d’extermination de Treblinka.

[4] La chambre criminelle de la Cour suprême polonaise a rendu un arrêt mardi 19 janvier, jugeant contraire à la Constitution l’interdiction générale d’accès à la zone frontalière.

[5] UNHCR, communiqué du 22 octobre 2021.

[6] L’UE s’est émue de ce geste politique et, en réponse, s’est proclamée en mars 2021 « zone de liberté » pour les personnes LGBT.

[7] « En Pologne, le parti national conservateur au pouvoir prend en main l’éducation », Le Monde, 22 janvier 2022

[8] Nous avons interrogé nos interlocuteurs quant à d’éventuels liens avec la société civile biélorusse, mais il ne semble pas y avoir de communication établie avec des Biélorusses mobilisés dans la région frontalière.