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Le courage de « prendre une position »

Philosophe

Avec l’invasion russe en Ukraine, la guerre est subitement redevenue une hypothèse concrète dans notre horizon. Face à cette situation qui nous touche vitalement, concrètement, il est plus que jamais nécessaire d’ériger une éthique de la parole publique : reconnaître la complexité de la situation, faire droit aux passions et aux angoisses, mais aussi et surtout donner à tout le monde le courage de « prendre une position ».

S’exprimer sur l’invasion de l’Ukraine ? Ajouter un mot de plus à tous ceux qui circulent ? J’hésite…

J’observe déjà beaucoup de gens s’exprimer à partir de leur savoir technique (géopolitique, historique, militaire, etc.) ou de leur autorité (morale, artistique, biographique, etc.). À quoi bon en rajouter ? Ne faut-il pas céder la parole aux savants, aux éveillés, aux premiers concernés ?

Mais précisément : j’observe aussi beaucoup de tentatives d’intimidation, d’appels à se taire. On oppose aux gens leur ignorance, leur inexpertise. On dénonce aussi l’indécence de tous ces mots qui sortent de certains corps quand des bombes déchirent d’autres corps. Obscénité du bavardage… J’observe enfin une augmentation impressionnante de la violence verbale. Les insultes pleuvent : « munichois », « collabo », « poutinophile » d’un côté, « va-t-en-guerre », « agent de la CIA », « raciste » de l’autre… Ces mots trahissent une tendance à inculper l’opinion des autres, à la considérer en somme comme un élément de la guerre elle-même, une arme, avec laquelle il ne s’agit plus de débattre mais de combattre.

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Bien sûr, on peut comprendre cette agitation : la violence crée une urgence impérieuse, l’urgence de la faire cesser, selon les voies que chacun croira les meilleures. Elle crée chez celles et ceux qui ne la subissent pas directement à la fois un sentiment d’insécurité et un sentiment de culpabilité. On rendra complice qui s’oppose à la voie qui nous semble la meilleure pour la faire cesser et mettre un terme à l’insupportable.

Pourtant, je crois que s’il est une situation où il faut supporter le désagrément des paroles contradictoires, y compris du bavardage, c’est précisément une situation comme celle dans laquelle nous nous trouvons – c’est-à-dire : une situation où l’hypothèse d’une effraction de la guerre dans nos vies cesse d’être une possibilité théorique qu’on peut déléguer à des professionnels, où elle devient un point à l’horizon qu’on guette pour savoir s’il s


Patrice Maniglier

Philosophe, Membre du comité de rédaction des Temps Modernes

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