Le retour de Lénine ou la militarisation de l’histoire
Le 18 avril 2022, une photographie plus que surprenante est apparue sur Facebook : on y distingue un piédestal de fortune, à peine achevé, sur lequel sont maladroitement déposées les jambes d’une statue. Seul le commentaire permettait de comprendre la scène : « A Henitchesk, l’installation d’un monument de V.I. Lénine !!! »[1].
Une seconde photographie postée quelques heures plus tard sur le même compte confirme le message : un Lénine de pierre, en trois blocs distincts sciés au niveau des cuisses et du cœur (cela ne s’invente pas) est revenu s’installer devant un bâtiment de l’administration locale ukrainienne.

Pourquoi revenu ? Parce que le monument de Lénine qui dominait, comme le veut la tradition soviétique, cette place de Henitchesk depuis un imposant piédestal, avait été enlevé en 2015 lors du « Leninopad ». Littéralement « chute de Lénine » (de l’ukrainien padinnia, tomber) cette expression désigne les processus par lesquels des monuments dédiés au père de la Révolution bolchévique furent détournés, déplacés et détruits en Ukraine dans la continuité des manifestations de l’Euromaïdan en 2013-2014.
En réalité, ce monument n’a pas fait de grand retour, il n’a pas été « re-boulonné ». Il a été reconstruit de toute pièce. Par qui exactement, nous le saurons sûrement dans les mois à venir. En attendant, cette reconstruction monumentale soulève bien d’autres questions, en particulier lorsque l’on met ce geste en perspective avec le rôle accordé à Lénine par Vladimir Poutine lui-même lorsqu’il décline les « raisons historiques » de son « opération spéciale » : celui de responsable de la « création de l’Ukraine » ou, en d’autres termes, de coupable de cette guerre « inévitable ».
Il semble donc absurde, ou à tout le moins contradictoire, de voir réapparaitre dans ces territoires occupés de l’Ukraine, un monument en l’honneur de ce personnage historique ouvertement fustigé en Russie, et ce depuis des années. Absurde, sauf si l’on analyse ce monument dans sa