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Guerre en Ukraine : l’improbable « second front » des Balkans

Historien et journaliste

Dans un discours adressé à la nation le 6 mai, le président Aleksandar Vučić a maintenu le flou sur la position de la Serbie à propos du conflit russo-ukrainien, prolongeant la position d’équilibriste du pays entre protégé de la Russie et candidat à l’accession à l’Union européenne. Les Balkans seront-ils le théâtre d’un « second front » que la Russie voudrait ouvrir dans sa confrontation avec l’Occident ? La région fera-t-elle encore une fois les frais d’enjeux géopolitiques qui la dépassent ?

Il n’y a pas une ville, petite ou grande, pas un bourg de Bosnie-Herzégovine, de Macédoine du nord, du Monténégro ou de Serbie qui ne possède au moins une kafana, un café où les habitués se retrouvent chaque matin. L’expresso ou le macchiato ont bien souvent remplacé le café turc, les smartphones ont chassé les journaux, mais « la politique mondiale » continue de venir s’inviter aux conversations reprises sans fin. Chacun est bien convaincu que la moindre élection municipale partielle dans la plus reculée des vallées des Balkans est attentivement scrutée par Berlin, Washington et Moscou…

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Cette propension à projeter dans un contexte géopolitique les plus locales des vicissitudes politiques peut relever d’une forme de narcissisme balkanique. Elle peut aussi dériver de l’expérience de la Yougoslavie non-alignée de Tito qui jouait incontestablement un rôle « surdimensionné » sur la scène mondiale, mais il faut aussi la voir comme une conséquence de la « construction » géopolitique de « l’objet Balkans », dans la seconde moitié du XIXe siècle : alors que l’Empire ottoman se désagrégeait, les Balkans n’ont pas été colonisés par l’Occident mais les nouveaux États qui émergeaient dans la région ont dû se placer sous le patronage d’une « grande puissance » – c’était alors l’Autriche-Hongrie, l’Allemagne, la France, la Russie ou encore l’Italie.

La situation n’a pas changé en ce début du XXIe siècle, même si la liste des acteurs a connu quelques modifications. Ces relations de clientélisme entre les « petits » États balkaniques et leurs puissants protecteurs expliquent que la région soit toujours une plaque sensible des tensions mondiales mais aussi que les dirigeants locaux, souvent ineptes et corrompus, trouvent toujours dans l’argument géopolitique une justification à leurs turpitudes.

La géopolitique comme prétexte

Dès le début de l’invasion russe en Ukraine, les dirigeants du Kosovo ont multiplié les interviews dans la presse internationale pour assurer que la Serbie allait « profiter » du contexte pour lancer ses chars à l’assaut du nord du Kosovo[1]. La menace était certainement exagérée, le Premier ministre Albin Kurti comme la présidente de la République, Vjosa Osmani, voulaient profiter de l’opportunité pour faire avancer le dossier de l’intégration euro-atlantique du pays, alors même que le « dialogue » entre Belgrade et Pristina, mené sous l’égide de l’Union européenne depuis plus d’une décennie, est en panne sèche – les deux pays se partageant, du reste, la responsabilité de cet échec.

Dès son arrivée triomphale au pouvoir, après les élections du 14 février 2021, Albin Kurti avait proclamé que le dialogue avec Belgrade ne serait pas sa priorité, passant derrière d’autres sujets comme l’économie, la lutte contre la corruption, un meilleur fonctionnement de la justice et de l’État de droit… Il assurait vouloir privilégier le « dialogue interne » avec la communauté serbe du Kosovo plutôt que les vaines discussions avec Belgrade. Las, si ces dernières sont en panne, le premier n’a même pas commencé. Or, l’Union exige une « normalisation » des relations entre les deux voisins qui pourrait in fine aboutir à une reconnaissance mutuelle… Dans le même temps, cinq États membres de l’UE et de l’OTAN – Chypre, la Grèce, l’Espagne, la Roumanie et la Slovaquie – ne reconnaissent toujours pas l’indépendance proclamée en 2008 par le Kosovo et s’opposent donc à son intégration dans la plupart des organisations internationales.

Il serait bien illusoire de penser que l’urgence de la guerre en Ukraine va mener Madrid ou Bucarest à revoir leur position, mais les dirigeants de Pristina cherchent à présenter leur pays, sous le coup d’une hypothétique menace « russo-serbe », comme le meilleur et plus fidèle allié de l’Occident. Le 20 avril, la ministre des Affaires étrangères Donika Gërvalla assurait devant le Conseil de sécurité des Nations unies que « le Kosovo [faisait] partie de l’Occident » tandis que « la Serbie [était] toujours un satellite de la Russie », des affirmations qui relèvent de la pensée diplomatique incantatoire… À défaut de rapprocher le Kosovo de ses objectifs d’intégration, la carte géopolitique a au moins l’avantage de relativiser les échecs dont Pristina doit être tenue pour responsable, comme celui du « dialogue interne ».

Milo Đukanović, toujours président du Monténégro, et son Parti démocratique des socialistes (DPS), resté au pouvoir sans solution de continuité de 1990 à 2020, sont passés maîtres dans cet art d’utiliser les contradictions internationales au mieux de leurs intérêts du moment. Le DPS a perdu le pouvoir lors des élections du 28 août 2020, en raison de son accablant bilan : corruption massive, privatisation de la justice et de l’appareil d’État, attaques incessantes contre les médias indépendants, etc. La guerre en Ukraine lui a permis de réécrire l’histoire : le DPS aurait été battu par une hétéroclite coalition manipulée par l’Église orthodoxe serbe, elle-même inféodée à Belgrade et à Moscou… Ainsi, la révolte de la société civile monténégrine, qui avait encore massivement manifesté contre la corruption à l’hiver 2019, est-elle escamotée au profit d’un « récit alternatif » qui voit dans l’alternance de 2020 le résultat d’un complot ourdi par les « cléro-fascistes » serbes et leur maître Poutine contre les « démocrates pro-occidentaux » du DPS.

Les spin doctors du DPS ne manquent pas d’évoquer un précédent bien utile : la ténébreuse affaire du « coup d’État pro-russe » qui aurait été déjoué le jour même des élections du 16 octobre 2016. À ce jour, la justice n’a rien pu confirmer de la réalité de cette tentative de « coup d’État »[2], qui semble surtout avoir servi à mobiliser l’électorat, permettant au DPS de remporter à l’arraché ces élections… Deux mensonges répétés avec assurance finissent par sonner comme une vérité, et le DPS utilise 2016 pour « expliquer » sa propre défaite en 2020.

En réalité, ce sont Milo Đukanović et ses proches qui ont ouvert en grand les portes du Monténégro aux capitaux russes. Selon une récente enquête[3], pas moins de 19 000 biens immobiliers seraient détenus dans le pays par des intérêts russes, tandis que la justice a enfin commencé à s’intéresser aux relations entre Milo Đukanović et l’oligarque Oleg Deripaska, très proche de Vladimir Poutine, qui fut dans les années 2000 un éphémère repreneur du Combinat d’aluminium de Podgorica (KAP) et possède toujours une immense villa au cap Platamuni, à Kotor. Arrivé au pouvoir en 1991 comme homme lige de Slobodan Milošević, Milo Đukanović a commencé à rompre avec son mentor en 1996, se rapprochant de l’Occident, non sans conserver d’étroites relations avec la Russie. Son art consommé du louvoiement explique en bonne part son étonnante longévité politique et, s’il tire fierté d’avoir fait adhérer son pays à l’OTAN en 2017, il ne faut oublier que bien des voix se demandaient alors si le Monténégro ne risquait pas de servir de « cheval de Troie » de la Russie au sein de l’Alliance atlantique…

Les Balkans « sur une ligne de feu » ?

Au vrai, quels sont les intérêts et les réels leviers d’influence de la Russie dans les Balkans ? Malgré leurs récentes tentatives de diversification, tous les pays de la région demeurent très dépendants du gaz russe. La compagnie pétrolière serbe NIS a été rachetée par Gazprom en 2008 et des intérêts russes sont également présents en Republika Srpska, « l’entité serbe » d’une Bosnie-Herzégovine toujours divisée, notamment dans la raffinerie de Brod et le distributeur Nestro Petrol, mais c’est à peu près tout. Les échanges commerciaux de tous les pays des Balkans, y compris la Serbie, sont bien plus importants avec l’Union européenne qu’avec la Russie, et ce sont la Turquie et la Chine qui investissent le plus dans la région.

Malgré cela, John Kerry, alors Secrétaire d’État américain, lançait dès 2015 que les Balkans se trouvaient sur une « ligne de feu » séparant la Russie et l’Occident[4]. Les craintes occidentales avaient été ravivées par l’ouverture d’un mystérieux « Centre humanitaire de la Fédération de Russie », près de Niš, dans le sud de la Serbie… Ce centre, unique en son genre, possède quelques canadairs, des véhicules médicalisés et des camions de pompiers et pourrait répondre au défi de n’importe quelle catastrophe naturelle dans toute la région. Alors que son engagement humanitaire est toujours resté fort limité, il semble surtout représenter une réponse symbolique à la base américaine de Camp Bondsteel, au Kosovo – les deux pouvant être perçues comme des bases d’espionnage « à visage (presque) ouvert ».

Il convient de noter que la vente de 51 % du capital de NIS tout comme l’ouverture de ce centre « humanitaire » ont été approuvées par le président démocrate et pro-européen Boris Tadić. Réélu en 2008, celui-ci entendait accélérer le processus d’intégration européenne de la Serbie, tout en devant faire face à l’indépendance proclamée le 17 février de cette même année par le Kosovo. Pour obstruer le processus de reconnaissance internationale de celle-ci, la Serbie a réussi à réveiller les vieilles solidarités héritées du non-alignement : la majorité des pays d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine n’ont toujours pas reconnu le Kosovo[5]. Ce tour de force diplomatique inattendu de la Serbie a rappelé la réalité d’un monde multipolaire, nullement disposé à obéir aux injonctions occidentales – ce que l’attitude de certains pays d’Afrique à propos de la guerre en Ukraine a du reste confirmé.

La seconde présidence Tadić (2008-2012) a représenté un moment crucial dans le repositionnement géopolitique de la Serbie. Ancien ministre de la Défense, artisan du rapprochement avec l’OTAN après les bombardements de 1999, Boris Tadić disposait d’une majorité relativement stable après les législatives de mai 2008, celle-ci incluant toutefois le Parti socialiste de Serbie (SPS), réputé « pro-russe ». Le mariage de raison entre les démocrates et les socialistes avait été voulu par les milieux d’affaires, soucieux de stabilité. Le cap du nouveau gouvernement était clairement pro-européen, alors même que s’approfondissait la crise de l’Union, touchée par la crise financière mondiale, minée par la crise grecque.

Tandis que l’on commençait à parler dans les pays européens d’une « fatigue de l’élargissement » et que la perspective de l’intégration s’éloignait, la Serbie fait le choix d’un multilatéralisme « pragmatique ». Le pays est militairement neutre, mais son armée s’est engagée dans des exercices communs tant avec l’OTAN qu’avec la Russie. La Serbie avait les yeux de Chimène pour les mirifiques projets russes de gazoducs, qui du reste, comme South Stream, ne se sont pas concrétisés, tandis que Boris Tadić ouvrait en grand les portes du marché serbe aux investissements turcs et chinois…

Rien n’est simple, toutefois. Alors que Belgrade comptait sur le soutien de Moscou au sein du Conseil de sécurité des Nations unies pour s’opposer à toute reconnaissance internationale du Kosovo, les événements de l’été 2008 eurent de quoi l’inquiéter, avec la guerre de Géorgie et la reconnaissance par la Russie des indépendances proclamées par l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud. Le défi était d’autant plus grand que Moscou se faisait un malin plaisir de reproduire très exactement, à propos de ces entités sécessionnistes du Caucase, le discours tenu par les Occidentaux sur le Kosovo. Le Kremlin utilisa le même procédé rhétorique en 2014 à propos de l’annexion de la Crimée, puis encore en février 2022, en reconnaissant l’indépendance des « républiques populaires » de Donetsk et Lougansk…

Alors que Belgrade affirme son attachement au droit international sur la souveraineté des États et l’inviolabilité de leurs frontières, voici que Moscou, loin de s’en tenir à de telles positions de principe, utilise ces arguments de manière opportuniste, en fonction des contextes. La Serbie n’a bien sûr jamais reconnu les républiques sécessionnistes du Caucase ou d’Ukraine ni l’annexion de la Crimée, mais elle conserve la crainte que Moscou ne puisse un jour l’abandonner dans le cadre d’un deal global… Certains ne manquent pas de rappeler, à Belgrade, que le protégé traditionnel de la Russie dans les Balkans a toujours été la Bulgarie, « ennemi héréditaire » des Serbes et qu’il convient donc ne pas trop compter sur l’aide de Moscou.

L’Église orthodoxe serbe représente le seul véritable vecteur d’influence russe en Serbie. Dans la complexe géopolitique de l’orthodoxie mondiale[6], le patriarcat de Belgrade essaye de tenir une position d’équilibre entre Moscou et Constantinople. Ainsi l’Église serbe a-t-elle participé au « Grand et Saint Concile » de Crète, à l’été 2016, une initiative chère au patriarche œcuménique Bartholomée Ier mais boycottée par Moscou… Par contre, elle n’a pas reconnu l’autocéphalie de l’Église ukrainienne accordée par Constantinople en janvier 2019 : l’Église serbe est elle-même confrontée au défi des revendications macédoniennes et monténégrines et s’en tient donc au principe de l’intangibilité des frontières de jurisprudence entre Églises.

Les relations entre les patriarcats de Belgrade et Moscou passaient largement par le défunt métropolite Amfilohije du Monténégro, très lié au métropolite Onuphre de Kiev, le chef de l’Église orthodoxe d’Ukraine rattachée au patriarcat de Moscou. Le décès d’Amfilohije, en octobre 2020, n’a pas remis en cause cet axe privilégié : c’est par Cetinje et Kiev que passent toujours en bonne part les relations entre Belgrade et Moscou. Or, le métropolite Onuphre a condamné dès le premier jour l’agression russe, se plaçant en rupture ouverte avec le patriarche Kiril de Moscou… Se retrouvant ainsi en délicate position, l’Église serbe est moins véhémente dans sa critique de Moscou que le patriarcat œcuménique ou que les Églises de Grèce ou de Roumanie, mais elle se garde bien de suivre le patriarche Kiril dans sa fuite en avant poutinienne. Alors que les fidèles sont choqués par les images qui arrivent d’Ukraine, on collecte des fonds pour l’aide aux réfugiés ukrainiens dans les églises orthodoxes de Serbie, de Bosnie-Herzégovine ou du Monténégro.

Vučić et « l’argument russe »

En réalité, « l’argument russe » s’est surtout révélé fort utile à celui qui s’est imposé depuis une décennie comme le nouveau maître de la Serbie, Aleksandar Vučić. Issu de l’extrême droite, devenu vice-Premier ministre en 2012, Premier ministre en 2014 et chef de l’État en 2017, il a mis en place un régime autoritaire, clientéliste et corrompu, reposant sur un contrôle quasi-total des médias et de la justice, tout en se proclamant « pro-européen ». Aleksandar Vučić a été aidé par certains pays européens dans sa « conversion » post-nationaliste[7] : sans que personne n’ait jamais entretenu les moindres illusions sur les convictions du personnage, il s’agissait de garantir la « stabilité » de la Serbie, en plaçant à sa tête un homme à poigne issu des rangs nationalistes, rallié par intérêt au projet européen, selon l’idée que seul un nationaliste pouvait « tenir » cette Serbie, toujours perçue comme « l’antre du mal »… Aleksandar Vučić devait être l’homme amenant la Serbie à un « compromis historique » sur le Kosovo que l’on attend toujours. Depuis 2020, la Serbie n’est plus considérée comme une démocratie mais comme un « régime hybride » par Freedom House, qui a encore dégradé la note du pays dans son rapport de 2022[8].

Or, si Aleksandar Vučić ne cesse de proclamer son attachement à l’objectif européen de la Serbie, il n’en continue pas moins d’entretenir des relations plus que cordiales avec la Russie. Chaque visite de Vladimir Poutine à Belgrade a toujours été un événement fastueux, le décorum ayant surement plus d’importance que les sujets à l’ordre du jour des discussions. La mise en scène de cette amitié serbo-russe permettait à Aleksandar Vučić de rappeler aux Européens que l’allégeance de la Serbie ne leur était pas acquise inconditionnellement, que celle-ci disposait d’autres cartes potentielles et que toute critique des dérives autoritaires de son propre régime pouvait avoir pour conséquence de l’amener à se rapprocher encore plus de Moscou… Ce chantage a fonctionné durant des années, les Européens semblant prêts à s’asseoir sur leurs principes, à « tout passer » au régime serbe pour que celui-ci ne bascule pas dans le camp de la Russie.

Ce jeu bien rôdé a été remis en cause par le début de la guerre qui a considérablement réduit la marge de manœuvre du maître de Belgrade, sommé de choisir son camp. Dès le 24 février, la Serbie a réaffirmé sa neutralité militaire, tout en entamant un étrange pas de deux. Elle ne veut pas prendre le risque de perdre le soutien de l’allié russe sur le dossier du Kosovo, mais elle doit aussi, toujours au nom de sa « défense du Kosovo », affirmer son attachement à l’intégrité territoriale des États, ce qui explique qu’elle ait voté les résolutions des Nations unies condamnant l’invasion russe, tout en refusant catégoriquement d’appliquer des sanctions à l’encontre de Moscou.

Depuis le début de l’invasion, le président Vučić prend son air le plus mélodramatique pour annoncer régulièrement que la Serbie allait subir de « très fortes pressions » de la part de l’UE pour appliquer ces sanctions. On voit mal en quoi ces pressions pourraient consister, hormis les rituelles objurgations, mais la mise en scène d’une « difficile neutralité » sert bien le maître de Belgrade, qui a encore dominé les élections générales du 3 avril dernier avec un slogan imposé par l’actualité : « paix, stabilité, Vučić ».

L’extrême droite serbe, bien sûr, affirme haut et fort son soutien à Moscou. Certains sites russes influents dans les Balkans pratiquent un « double révisionnisme en temps réel », comme le programme Bunt je stanje duha (« La révolte est un état d’âme »), qui revendique plus de 50 000 abonnés, et qui martèle le message qu’il n’y a pas eu davantage de génocide à Butcha qu’à Srebrenica[9]… En réalité, ces sites ne prêchent que des convaincus, tout comme les rassemblements de soutien à la Russie organisés à Belgrade ou au Monténégro n’ont guère rassemblé que le noyau dur militant de l’extrême droite. Pour sortir de cet entre-soi, le rôle des médias de masse est déterminant, notamment l’audiovisuel public, les télévisions commerciales privées et la presse tabloïd. En Serbie, l’ensemble de ces médias sont totalement contrôlés par le régime, et celui-ci semble avoir choisi une relative modération. Les premiers jours de la guerre, les tabloïds serbes reprenaient totalement les éléments de communication de Moscou[10], mais ils sont depuis revenus à plus de réserve, comme si Aleksandar Vučić voulait ménager l’avenir en évitant de « pousser » l’opinion publique dans une direction trop affirmée.

Depuis les élections générales du 3 avril, ces tabloïds ont même commencé à dénoncer le « cynisme » de la Russie[11], alors qu’Aleksandar Vučić, réélu président de la République, semblait engagé dans une curieuse valse-hésitation. Les propos de Vladimir Poutine comparant les « républiques populaires » du Donbass avec le Kosovo lors de la visite d’Antonio Guterres, le Secrétaire général des Nations unies à Moscou, le 27 avril, ont été abondamment commentés en Serbie, et de nombreux signaux semblaient indiquer une volonté de l’exécutif serbe de se détacher de Moscou, des députés du SNS, la formation d’Aleksandar Vučić, ayant même demandé publiquement la fermeture du « Centre humanitaire » russe de Niš. Le président s’est finalement adressé à la nation le 6 mai, dans un discours longtemps attendu, plusieurs fois repoussé, mais qui n’a finalement apporté aucun élément de clarification : la Serbie serait soumise à de « très fortes pressions » de la part de ses différents partenaires, mais elle entend bien essayer de maintenir sa délicate position d’équilibriste entre l’Union européenne et la Russie.

« Monde serbe » et stabilocratie

En pleine guerre d’Ukraine, c’est bien sûr vers la Bosnie-Herzégovine que se tournent beaucoup de regards, des parallèles entre les crimes étant naturellement établis, alors que ce pays a commémoré, début avril, le trentième anniversaire du début du conflit qui l’a déchiré de 1992 à 1995[12]. Le pays est en effet confronté à une crise particulièrement grave, les nationalistes serbes du SNSD ayant relancé l’hypothèse d’une sécession de la Republika Srspka, tandis que les nationalistes croates du HDZ exigent une réforme de la loi électorale qui renforcerait encore la structuration « ethnique » du corps électoral.

En réalité, les racines de cette crise remontent aux contradictions des accords de paix de Dayton (1995), qui garantissent l’existence d’un État bosnien mais divisé en deux « entités », la Republika Srpska et la Fédération de Bosnie-Herzégovine, elle-même subdivisée en dix cantons, à prédominance tantôt bosniaque, tantôt croate… Ces accords ont fait des formations ethno-nationalistes les garantes d’institutions qu’elles n’ont de cesse de saper. Le dirigeant serbe Milorad Dodik avance ainsi la revendication du droit à l’autodétermination de la Republika Srpska depuis 2004, tandis que le HDZ n’a jamais renoncé à imposer un jour la reconnaissance d’une troisième entité, purement croate…

Il n’y a donc, hélas, rien de bien nouveau sous le soleil et le durcissement de la crise, depuis l’été 2021, s’explique à la fois par le « prétexte » fourni par le Haut représentant international Valentin Inzko qui, sur le départ, a maladroitement imposé une loi, pourtant attendue depuis longtemps, pénalisant toute négation des crimes commis durant la guerre, mais surtout par le contexte politique : affaiblis et rejetés pour leur corruption massive, tous les partis ethno-nationalistes – le SNSD, le HDZ mais aussi le SDA bosniaque – sont en train de perdre la main, ce qu’ont montré les élections locales de novembre 2020. Dans ces conditions, selon des vieilles recettes éprouvées, ces partis ont rallumé le feu des tensions « nationales » pour faire passer au second plan tous les autres sujets, comme leur lamentable bilan.

Supposer que Milorad Dodik aurait relancé sa menace de sécession dans le cadre d’un plan ourdi en lien avec Belgrade et Moscou est une hypothèse que rien ne permet d’étayer. En revanche, une fois la crise localement déclenchée, Moscou s’est fait un malin plaisir de souffler sur les braises, utilisant la Bosnie-Herzégovine dans son bras de fer global avec l’Occident. On pourrait même, en extrapolant un peu, imaginer que la crise bosnienne, largement exagérée tout au long de l’automne 2021, quand certains supposaient le pays « au bord d’une nouvelle guerre », a offert à Moscou un écran de fumée bien pratique pour rendre plus discrets les préparatifs réels de la guerre qui s’annonçait en Ukraine.

Et si la Bosnie-Herzégovine est un « pion » facile à jouer pour le Kremlin, ses dirigeants ethno-nationalistes cherchaient eux-mêmes à inscrire leurs différends dans le contexte géopolitique le plus large possible. Présenter Milorad Dodik comme la principale menace pour la stabilité des Balkans est un peu difficile à vendre, quand celui-ci n’a pas plus les moyens politiques que militaires de ses ambitions. Celui-ci, dont le but est de faire peur, a tout intérêt à laisser croire qu’il est effectivement et activement soutenu par Moscou…

Du côté des nationalistes bosniaques du SDA, il est également bien pratique de présenter le pays comme victime d’une menace russe et de demander l’envoi de troupes de l’OTAN : c’est la meilleure manière de faire passer à pertes et profits le bilan de trois décennies d’une gouvernance lamentable. Encore une fois, l’argument géopolitique est la meilleure carte que peuvent jouer les autocrates locaux, tandis que les Occidentaux eux-mêmes préfèrent crier au loup russe plutôt que de prendre les mesures pratiques et effectives qui permettraient de dépasser la crise, la Bosnie-Herzégovine étant toujours un pays de facto sous tutelle internationale.

Dernier point, et pas le moindre : la crise bosnienne n’est pas pour déplaire à Belgrade. La Serbie n’a bien sûr aucune intention réelle d’annexer la Republika Srpska et verrait avec beaucoup d’inquiétude l’éclatement de la Bosnie-Herzégovine. En revanche, la crise lui permet de se présenter comme un possible facteur de « stabilisation » et de modération – c’est, par exemple, le jeu qu’a joué Aleksandar Vučić lors de sa visite à Banja Luka en avril 2021. Pour détourner toute critique de sa dérive autocratique, le maître de Belgrade doit se présenter comme le garant de la « stabilité régionale », c’est le principe de son régime « stabilocratique » selon le néologisme créé par les politologues Srđa Pavlović et Florian Bieber[13].

Pour souligner combien son rôle « stabilisateur » est important, Aleksandar Vučić a bien sûr besoin de rappeler combien grandes sont les menaces qui pèsent sur la région : le pompier doit toujours jouer avec une boîte d’allumettes pour rappeler que le feu peut prendre dans la forêt. Et dans le rôle du pyromane, le « pompier » Vučić a placé son fidèle Aleksandar Vulin, ministre de l’Intérieur depuis 2020 après avoir été ministre de la Défense. C’est lui qui a lancé le concept de « monde serbe », déclarant en septembre 2020 : « Vučić doit créer le monde serbe. Belgrade doit rassembler tous les Serbes autour d’elle, le président de la Serbie est le président de tous les Serbes. » Quelques semaines plus tard, ce même Vulin expliquait néanmoins que « les circonstances n’étaient pas remplies » pour réaliser ce beau programme[14]

Le « monde serbe » résonne comme un ersatz de feue la « Grande Serbie », que Slobodan Milošević n’a du reste jamais assumé comme objectif. Le jeu de rôle est le même : alors que Milošević avançait la menace du dangereux Vojislav Šešelj pour apparaître lui-même comme plus « modéré » tant auprès des internationaux que de l’opinion serbe,  Aleksandar Vučić joue aujourd’hui la carte du « radical » Vulin…

Le terme de « monde serbe » est bien sûr copié du concept de « monde russe », porté par des intellectuels proches du Kremlin comme Alexandre Douguine, mais ce « monde serbe », évoqué tant au Monténégro ou au Kosovo qu’en Bosnie-Herzégovine n’est pas un plan élaboré, c’est une coquille vide dont la fonction première est de faire peur. Si l’histoire se répète toujours au moins deux fois, « la première fois comme une tragédie, la seconde comme une farce », comme l’écrivait Marx dans Le 18 Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte, on notera que l’ironie veut que l’aboyeur soit aujourd’hui Aleksandar Vulin qui, dans les années 1990, se posait en « défenseur de la Yougoslavie » en militant dans les rangs du petit parti « de gauche » de Mira Marković, l’épouse de Slobodan Milošević, tandis qu’Aleksandar Vučić, lui, était, le plus fidèle disciple du radical Šešelj…

« Nous et les Chinois »

Au XIXe siècle, quand la petite principauté du Monténégro faisait ses premiers pas sur la scène internationale, il arrivait que des voyageurs étrangers osassent poser la question : « Mais vous, les Monténégrins, combien donc êtes-vous ? » Ils s’attiraient alors la réponse convenue : « Nous et les Russes, cent millions ! – Oui, mais sans les Russes ? – Jamais le Monténégro n’abandonnera la Russie ! » De fait, le petit pays crut même nécessaire de déclarer la guerre au Japon en 1904, mais il fut « oublié » lors de la signature du traité de Porsmouth, qui mit fin au conflit, le 5 septembre 1905, tant et si bien que le Monténégro dut signer une paix séparée avec Tokyo quand il recouvra son indépendance, en 2006.

Un autre vic, ces blagues souvent politiques qui font le sel des Balkans et permettent de mieux supporter une réalité médiocre, concerne la Chine. Alors qu’une délégation commerciale monténégrine vient de signer de fructueux contrats à Pékin, ses hôtes posent la même question : « Combien êtes-vous, les Monténégrins ? » Cette fois-ci, la réponse est précise : « 650 000. – Ah, et dans quel hôtel logez-vous ? » De fait, malgré l’énorme disproportion entre les deux pays, le Monténégro est désormais fort bien repéré par la Chine. En 2015, la China Road & Bridge Corporation (CRBC) a entamé la construction du tronçon majeur de l’autoroute devant relier le port de Bar à la frontière serbe, au nord du pays, au lieu-dit Boljare.

Les coûts des travaux étaient initialement évalués à 809 millions d’euros, dont le financement a été assuré à hauteur de 688 millions, soit 85 % du total, par la banque publique chinoise Exim. Le FMI, déconseillant la réalisation de cette autoroute, avait en effet refusé tout financement. Outre la catastrophe écologique[15] que représente ce projet, qui traverse les zones protégées des montagnes du nord du pays, le « piège chinois de la dette » n’a pas tardé à se refermer sur le Monténégro. Le contrat avait été conclu par le gouvernement du DPS dans des conditions très opaques, laissant supposer de fortes commissions occultes[16]. C’est le premier gouvernement d’alternance, issu des élections du 28 août 2020, qui a dû négocier les premières échéances de remboursement, et faute de liquidités, l’État a bien failli devoir céder à la Chine le port de Bar, le seul du pays en eaux profondes.

Les Balkans représentent désormais un axe majeur de pénétration de Pékin en Europe. Si la Chine n’a pas – encore ? – fait main basse sur le port de Bar, elle contrôle ceux du Pirée et de Thessalonique et, depuis la Grèce, les « nouvelles routes de la soie » tissent leur toile à travers les Balkans. Ces dernières années, la Chine a acquis les mines de cuivre de Bor et les aciéries de Smederevo en Serbie, elle construit le pont de Pelješac en Croatie, elle investit massivement dans les centrales hydro-électriques tant en Albanie qu’en Bosnie-Herzégovine, mais aussi dans des secteurs stratégiques comme la cyber-sécurité, notamment en Serbie[17]

Obnubilés par la confrontation avec la Russie, les Européens ont longtemps regardé avec indifférence voire mépris cette prise de contrôle de la région, en supposant que la Chine ne s’occupait « que d’économie » et « pas de politique ». Un présupposé de plus en plus douteux, alors que Pékin contrôle désormais la plus grande part de la dette publique de la Serbie ou du Monténégro. La guerre en Ukraine aura un impact global sur les « nouvelles routes de la soie » chinoises, les obligeant déjà à contourner ce pays. C’est aussi tout l’axe ferroviaire Kazakhastan-Russie-Biélorussie-Pologne qui est désormais suspendu[18], et cette réorganisation stratégique du continent européen ne pourra que renforcer l’importance de la « route des Balkans » pour Pékin.

À côté d’une Russie qui s’est auto-marginalisée et d’une Union européenne qui n’a toujours rien d’autre à offrir à la région que de belles paroles, l’avenir des Balkans sera-t-il donc chinois ?

Les plus optimistes voudront penser que la guerre en Ukraine, après avoir « magiquement » ressoudé l’unité du camp occidental, relancera la dynamique de l’élargissement, et qu’il serait impossible d’offrir une perspective, même théorique et lointaine, d’intégration à l’Ukraine ou à la Moldavie sans proposer quelque chose de concret aux pays des Balkans, à la Macédoine du Nord qui a le statut officiel de pays candidat depuis 2005, ou au Monténégro, qui a ouvert ses négociations d’adhésion en 2012…

Les moins optimistes rappelleront que l’UE s’est bien souvent montrée capable d’apporter une aide financière massive sans l’accompagner d’un projet politique. Concentrée dans les prochaines années sur la reconstruction de l’Ukraine, cette Union pensera-t-elle à envoyer un signal politique aux Balkans ? Rien n’est moins sûr, alors que les Chinois, eux, continueront d’utiliser le vacuum pour renforcer leur mainmise sur la région.


[1] « Albin Kurti : “La Russie pourrait étendre sa guerre dans les Balkans” », Le Monde, 30 mars 2022.

[2] « Monténégro : le scénario du “coup d’État pro-russe” s’effondre », Le Courrier des Balkans, 14 mars 2019.

[3] Ivan Čađenović, « Ces oligarques russes proches de Poutine qui ont acheté le Monténégro », Le Courrier des Balkans, 11 avril 2022.

[4] J.A. Dérens et Laurent Geslin, « Les Balkans, nouvelle ligne de front entre la Russie et l’Occident », Le Monde diplomatique, juillet 2015.

[5] J.A. Dérens, « Prodiges et vertiges de la diplomatie serbe », Le Monde diplomatique, septembre 2010.

[6] J.A. Dérens, « Analyse : l’orthodoxie mondiale au défi de la guerre en Ukraine », Religioscope, 20 mars 2022.

[7] J.A. Dérens et Laurent Geslin, « L’autocrate serbe que Bruxelles dorlote », Le Monde diplomatique, mars 2020.

[8] Freedom House, « Nations in transit. From Democratic Decline to Authoritarian Aggression ».

[9] Dušan Komarčević, « ‘Telegrami’ lažnih vesti za Zapadni Balkan », Radio Slobodna Evropa, 20 avril 2022.

[10] « Serbie : les tabloïds et les médias du régime, alias la voix de Moscou », Le Courrier des Balkans, 2 mars 2021.

[11] Le 28 avril, Kurir titrait ainsi sur les « intérêts » russes, tandis que Srpski Telegraf allait plus loin en assurant que « Poutine avait planté un couteau dans le dos de la Serbie en comparant le Kosovo et le Donbass ».

[12] Aline Cateux, « Trente ans après, la guerre de Bosnie-Herzégovine », AOC, 1er avril 2022.

[13] Florian Bieber, « The Rise (and Fall) of Balkan Stabilitocracies », Center for International Relations and Sustainable Development, 2018.

[14] J.A. Dérens, « Après la «Grande Serbie», voici venu le temps du «Monde serbe» ? »,  Le Courrier des Balkans, 8 novembre 2021.

[15] Bojana Moškov et Predrag Tomović, « Monténégro : catastrophe écologique made in China pour la rivière Tara », Le Courrier des Balkans, 18 mai 2021.

[16] L’ONG anti-corruption monténégrine MANS a réuni l’essentiel des pièces dans un dossier accessible ici.

[17] Voir le dossier du Courrier des Balkans : « La Chine à la conquête des Balkans ».

[18] « Guerre en Ukraine: quel impact sur les “nouvelles routes de la soie” ? », RFI, 24 avril 2022.

Jean-Arnault Dérens

Historien et journaliste

Notes

[1] « Albin Kurti : “La Russie pourrait étendre sa guerre dans les Balkans” », Le Monde, 30 mars 2022.

[2] « Monténégro : le scénario du “coup d’État pro-russe” s’effondre », Le Courrier des Balkans, 14 mars 2019.

[3] Ivan Čađenović, « Ces oligarques russes proches de Poutine qui ont acheté le Monténégro », Le Courrier des Balkans, 11 avril 2022.

[4] J.A. Dérens et Laurent Geslin, « Les Balkans, nouvelle ligne de front entre la Russie et l’Occident », Le Monde diplomatique, juillet 2015.

[5] J.A. Dérens, « Prodiges et vertiges de la diplomatie serbe », Le Monde diplomatique, septembre 2010.

[6] J.A. Dérens, « Analyse : l’orthodoxie mondiale au défi de la guerre en Ukraine », Religioscope, 20 mars 2022.

[7] J.A. Dérens et Laurent Geslin, « L’autocrate serbe que Bruxelles dorlote », Le Monde diplomatique, mars 2020.

[8] Freedom House, « Nations in transit. From Democratic Decline to Authoritarian Aggression ».

[9] Dušan Komarčević, « ‘Telegrami’ lažnih vesti za Zapadni Balkan », Radio Slobodna Evropa, 20 avril 2022.

[10] « Serbie : les tabloïds et les médias du régime, alias la voix de Moscou », Le Courrier des Balkans, 2 mars 2021.

[11] Le 28 avril, Kurir titrait ainsi sur les « intérêts » russes, tandis que Srpski Telegraf allait plus loin en assurant que « Poutine avait planté un couteau dans le dos de la Serbie en comparant le Kosovo et le Donbass ».

[12] Aline Cateux, « Trente ans après, la guerre de Bosnie-Herzégovine », AOC, 1er avril 2022.

[13] Florian Bieber, « The Rise (and Fall) of Balkan Stabilitocracies », Center for International Relations and Sustainable Development, 2018.

[14] J.A. Dérens, « Après la «Grande Serbie», voici venu le temps du «Monde serbe» ? »,  Le Courrier des Balkans, 8 novembre 2021.

[15] Bojana Moškov et Predrag Tomović, « Monténégro : catastrophe écologique made in China pour la rivière Tara », Le Courrier des Balkans, 18 mai 2021.

[16] L’ONG anti-corruption monténégrine MANS a réuni l’essentiel des pièces dans un dossier accessible ici.

[17] Voir le dossier du Courrier des Balkans : « La Chine à la conquête des Balkans ».

[18] « Guerre en Ukraine: quel impact sur les “nouvelles routes de la soie” ? », RFI, 24 avril 2022.