International

L’affaire Maou ou le resserrement antilibéral du pouvoir russe

Politiste

Alors qu’il incarnait le succès des thèses libérales épousées par une partie des élites russes, l’économiste Vladimir Maou se trouve désormais accusé de détournement de fonds. Passible d’une peine de 15 ans d’emprisonnement, le recteur de l’Académie présidentielle est désormais menacé de perdre sa place et son influence, qui ne se limite pas aux milieux académiques et intellectuels. Loin d’être anodine, cette mise en cause apparaît comme l’une des dernières manifestations en date d’une guerre interne aux cercles du pouvoir qui a pris la forme d’une véritable « chasse aux sorcières » contre les « libéraux ».

La fête bat son plein, en ce matin d’octobre, dans l’amphithéâtre plein à craquer du Centre sibérien de gestion, filiale régionale de l’Académie présidentielle. De petits groupes se succèdent sur l’estrade pour recevoir des mains de Sergueï Sverchkov, le directeur de l’Institut, un diplôme et un énorme bouquet de fleurs. J’en viens rapidement à me demander s’il est même possible de ne pas recevoir de récompense « pour sa participation à la réussite de l’établissement » tant les personnes primées sont nombreuses…

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J’apprécie en tout cas la variété des missions représentées : du doyen de l’établissement aux cuisiniers de la cantine, en passant par le secrétariat de direction, de nombreux enseignants et les agents de sécurité qui gardent les entrées du bâtiment, personne n’échappe aux remerciements appuyés du directeur et aux applaudissements nourris de l’assistance. Le rituel est rodé, les noms et les photos des lauréats défilent sur une présentation PowerPoint sur fond de musique entêtante. Le tout s’accompagnant de force poignées de mains et de l’inaltérable sourire triomphal de Sergueï Sverchkov. Cette cérémonie de récompenses est en fait le bouquet final d’une matinée d’autocélébration de l’institution à l’occasion des 25 ans de l’établissement.

Elle a été inaugurée par un discours du directeur conclu sur une note programmatique pour le moins ambitieuse : « Le chemin à parcourir est encore long, nous pourrons considérer notre mission accomplie lorsque l’un des jeunes gens que nous formons ici sera devenu président de la Fédération de Russie ! » S’il me paraît d’emblée excessif, ce discours fait écho aux différents affichages rencontrés sur le chemin de l’amphithéâtre ce matin-là.

Dès le fronton de l’établissement, on vante en effet « le seul établissement d’enseignement supérieur de Russie présidé par le Président ! », « Un VUZ[1] leader de Russie », ou encore « L’Académie présidentielle, l’avenir de la Russie ! ». Je retrouverai en effet ce discours tout


[1] Acronyme signifiant établissement d’enseignement supérieur, en russe.

[2] « The rector who did everything right », article en ligne du journal russe Meduza en date du 1er juillet 2022.

[3] Dans sa déclaration, l’Union russe des recteurs – créée en 1992 et rassemblant plus de 700 recteurs et présidents d’établissements d’enseignement supérieur – prétend parler au nom de la communauté universitaire russe tout entière et explique qu’« il est très important de soutenir [notre] pays, [notre] armée qui défend [notre] sécurité, de soutenir [notre] Président », ajoutant, concernant le rôle de l’enseignement supérieur : « Les universités ont toujours été un pilier de l’État. [Notre] objectif prioritaire est de servir la Russie et de développer son potentiel intellectuel. »

[4] Voir, par exemple, cet article d’un site d’information de la région de Sibérie.

[5] “Vladimir Mau vernulsya k ispolneniyu obyazannostey rektora RANKhiGS” (Vladimir Maou a repris ses fonctions de Recteur de la RANKhiGS”), brève du quotidien russe Kommersant en date du 10/08/2022.

[6] On peut noter, en revanche, que Sergueï Zouev, Recteur de l’école Shaninka, également impliqué dans cette affaire, a lui aussi vu sa sanction assouplie puisqu’il a pu quitter le centre de détention provisoire et été placé en résidence surveillée. À l’inverse, et alors qu’elle a reconnu sa culpabilité et collaboré avec les enquêteurs permettant même l’identification de nouveaux complices, l’ancienne vice-ministre de l’Éducation Marina Rakova a vu sa détention prolongée de deux mois. Cette décision du tribunal répond à la demande des enquêteurs tandis que son concubin et elle sont privés de liberté depuis respectivement les 5 et 6 octobre 2011. Source : “Chinovnitsu otdelili ot uchenykh” (« On sépare la fonctionnaire des scientifiques »), article (ru) en ligne du quotidien économique russe Kommersant publié le 4 août 2022.

[7] Pour davantage de détails, nous renvoyons à notre article publié sur le site du média The Conver

Victor Violier

Politiste, Post-doctorant au CERI de Sciences Po, résident à l'IRSEM

Notes

[1] Acronyme signifiant établissement d’enseignement supérieur, en russe.

[2] « The rector who did everything right », article en ligne du journal russe Meduza en date du 1er juillet 2022.

[3] Dans sa déclaration, l’Union russe des recteurs – créée en 1992 et rassemblant plus de 700 recteurs et présidents d’établissements d’enseignement supérieur – prétend parler au nom de la communauté universitaire russe tout entière et explique qu’« il est très important de soutenir [notre] pays, [notre] armée qui défend [notre] sécurité, de soutenir [notre] Président », ajoutant, concernant le rôle de l’enseignement supérieur : « Les universités ont toujours été un pilier de l’État. [Notre] objectif prioritaire est de servir la Russie et de développer son potentiel intellectuel. »

[4] Voir, par exemple, cet article d’un site d’information de la région de Sibérie.

[5] “Vladimir Mau vernulsya k ispolneniyu obyazannostey rektora RANKhiGS” (Vladimir Maou a repris ses fonctions de Recteur de la RANKhiGS”), brève du quotidien russe Kommersant en date du 10/08/2022.

[6] On peut noter, en revanche, que Sergueï Zouev, Recteur de l’école Shaninka, également impliqué dans cette affaire, a lui aussi vu sa sanction assouplie puisqu’il a pu quitter le centre de détention provisoire et été placé en résidence surveillée. À l’inverse, et alors qu’elle a reconnu sa culpabilité et collaboré avec les enquêteurs permettant même l’identification de nouveaux complices, l’ancienne vice-ministre de l’Éducation Marina Rakova a vu sa détention prolongée de deux mois. Cette décision du tribunal répond à la demande des enquêteurs tandis que son concubin et elle sont privés de liberté depuis respectivement les 5 et 6 octobre 2011. Source : “Chinovnitsu otdelili ot uchenykh” (« On sépare la fonctionnaire des scientifiques »), article (ru) en ligne du quotidien économique russe Kommersant publié le 4 août 2022.

[7] Pour davantage de détails, nous renvoyons à notre article publié sur le site du média The Conver