International

Désinformation, intimidation et contentieux : des midterms sous influence

Juriste et américaniste

Ce mardi 8 novembre, les citoyens américains sont appelés aux urnes pour les midterms, des élections de mi-mandat à haut risque pour le président Biden et les Démocrates qui risquent de perdre la majorité à la Chambre. Ce qui signerait la fin de la mise en œuvre de son programme progressiste comme de la commission d’enquête sur l’insurrection du 6 janvier 2021, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle candidature Trump.

Tous les deux ans se déroulent plusieurs centaines de scrutins, au niveau fédéral, étatique et au niveau local (bureau des écoles, sheriffs, procureurs, parfois juges et juges de cour suprême de l’Etat comme en Caroline du nord). Et, si les enjeux locaux et la personnalité du candidat (ou de la candidate) jouent un rôle important, ces élections sont généralement perdues par le parti qui détient le pouvoir à la Maison-Blanche. Au niveau des Etats, les Républicains sont majoritaires dans 30 d’entre eux sur 50 et vont sans doute maintenir leur suprématie. D’autant qu’en cette période de polarisation partisane et de tribalisme, le phénomène du « ticket splitting » a presque disparu. Même s’il est envisageable en 2022 que certains électeurs en Géorgie par exemple votent pour le républicain Kempf au poste de gouverneur et pour le sénateur démocrate Warnock, c’est l’exception.

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Au plan fédéral sont en jeu les 435 sièges de la chambre des représentants et compte tenu du prix de l’essence et du niveau de l’inflation, les Démocrates, en situation défensive, même dans des circonscriptions qui sont habituellement détenues par le parti de l’âne, sont presque assurés de perdre le contrôle de la Chambre. D’autant que le découpage électoral partisan leur est défavorable et qu’ils ont sans doute trop misé sur le sursaut de rejet de la décision Dobbs de la Cour suprême fin juin 2022 revenant sur une jurisprudence vieille de 50 ans garantissant le droit à l’avortement.

Au Sénat, actuellement divisé 50-50, un tiers des postes est en jeu. Après d’assez bons sondages pour les Démocrates durant l’été, les Républicains regagnent du terrain. Les chiffres sont trop serrés (toss up) et ne permettent pas de déterminer qui, du Démocrate Fetterman ou de son adversaire le Dr. Oz, l’emportera en Pennsylvanie. Idem en Arizona ou en Géorgie où les candidats républicains bénéficient du soutien de Donald Trump. Ce qui est un atout pour galvaniser la base trumpiste mais un handicap dans les banlieues plus modérées.

Ce qui caractérise ces élections et permet de comprendre pourquoi le président Biden a fait deux discours insistant sur les enjeux démocratiques et de survie du modèle américain de primauté du droit – l’un à Philadelphie il y a quelques semaines et l’autre à Washington à deux pas du Capitole, qui fut attaqué le 6 janvier 2021 –, c’est qu’elles se déroulent dans un climat de désinformation, d’intimidation/violence à peine déguisée et de recours systématique au contentieux qui ne peut que renforcer la méfiance de l’électeur vis-à-vis de son système électoral.

Le mensonge et les attaques ad hominem ne sont pas nouveaux. La diabolisation des adversaires politiques devenus « ennemis » date au moins de Newt Gingrich en 1994 et les messages violents contre certains candidats se sont amplifiés en 2010. Ainsi les affiches « Fire Pelosi » avec le double sens de virer et brûler la Démocrate ou encore les tee-shirts « Même mon chien déteste Pelosi ». Mais la domination de la scène politique par Donald Trump et la montée en puissance des réseaux sociaux en ont fait des traits centraux de la politique et de cette campagne électorale.

Or, les dispositifs constitutionnel et juridique en place interdisent de les limiter ou les réguler. Ces attaques violentes et les mensonges systématiques ne sont pas sanctionnés en raison de l’interprétation absolutiste donnée par la Cour suprême du premier amendement qui garantit la liberté d’expression. Celui-ci protège toute expression, même si elle est mensongère ou prône la violence, tant qu’il n’y a pas menace d’un acte illégal imminent. Ceci vaut pour les théories du complot et les appels à la haine et à la violence devenus normalisés. Qui impactent pourtant considérablement le climat politique et celui de ces élections.

Quant aux réseaux sociaux, ils bénéficient d’une quasi immunité grâce à la section 230 de la loi Communications Decency Act de 1996 adoptée aux débuts de l’internet, alors idéalisé, dont il importait de ne pas entraver le développement. La section 230 prévoit qu’« aucun fournisseur de services informatiques interactifs ne sera considéré comme éditeur d’informations fournies par un autre fournisseur d’informations ». Ces « 26 mots qui ont créé l’Internet » ont en fait libéré les sites Internet qui peuvent héberger du contenu extérieur et ne sont pas confrontés à la tâche impossible de vérifier et de contrôler tout ce qui est posté par les utilisateurs. Mais cette impunité totale accordée aux réseaux sociaux est de plus en plus critiquée car les You Tube, Twitter and co. ne font pas assez pour modérer les contenus et retirer les mensonges, les incitations à la violence, la haine raciale ou les théories du complot. La section 230 a été critiquée aussi bien par les Républicains que par les Démocrates et rappelons que le président Trump avait souhaité sa suppression, répétant que les réseaux sociaux favorisaient les Démocrates et le censuraient lui-même et les Républicains. Signe qu’il y un problème, la Cour suprême a accepté d’entendre l’affaire Gonzales v. Google intentée par la famille d’une jeune fille tuée à Paris lors des attentats terroristes de novembre 2015, qui accuse Google d’avoir apporté un « soutien matériel » à ISIS. La décision est attendue mais ce serait plutôt au Congrès de légiférer…

Outre la désinformation et les mensonges permanents, la campagne est marquée par la violence des attaques verbales non condamnées par les responsables républicains et les incitations à peine voilées à recourir à la violence physique, avec pour résultats des intimidations répétées contre le personnel électoral, la tentative d’enlèvement d’une gouverneure démocrate et plusieurs tentatives de meurtre – contre le mari de la Speaker de la Chambre ou contre un juge fédéral. Ancien directeur de la communication du comité national républicain (RNCC), Doug Heye, admet dans une tribune récente du Washington Post la part de responsabilité des Républicains dans le durcissement et la radicalisation actuels.

D’autant que la campagne est marquée par un message, permanent depuis 20 ans, de fraude électorale qui a permis aux législatures des Etats dominés par les Républicains de durcir les règles électorales et de rendre la vote plus difficile, ce qu’on appelle voter suppression.

Depuis 2020, et le refus de Donald Trump de reconnaitre sa défaite, des mécanismes ont également été mis en place qui devraient leur permettre de changer les résultats (election subversion), c’est-à-dire de faire ce qu’il n’ont pas pu faire en 2020, grâce au courage de quelques responsables politiques qui s’y sont opposés et l’ont payé de leur carrière et de leur tranquillité.

Malgré les accusations de fraude électorale amplifiées depuis 2020 par Donald Trump et son mythe de l’élection volée, celle-ci apparaît inexistante : les études effectuées par des organismes comme le Brennan Center ou la conservatrice Heritage Foundation ont conclu à l’inexistence de toute fraude électorale à grande échelle susceptible de faire basculer les résultats, en 2020 également. Et sur les 61 actions en justice intentées par le parti de l’éléphant, toutes sauf une (sur un point de détail) ont été rejetées.

Mais les Républicains ont repris leur vieille tactique d’intimidation qui leur a valu l’interdiction d’avoir des observateurs dans les bureaux de vote de 1981 à 2017. Selon l’accord (de levée de l’interdiction, obtenue d’un juge en 2017), les Républicains se sont engagés à s’abstenir de toute observation des élections s’ils n’ont pas obtenu le feu vert d’un juge, sous peine de sanctions. Pourtant, ils annoncent, comme en 2020 vouloir recruter 50 000 volontaires. Et des hommes armés et vêtus de gilets pare balles ont été vus près des boites où peuvent être déposés les bulletins de vote par correspondance ; ils surveillent et prennent des photos des électeurs. La Ligue des électrices (League of Women Voters) a intenté en action en justice alléguant l’intimidation et un juge fédéral, qui avait refusé d’interdire la surveillance des boîtes à voter, a reconnu les manœuvres d’intimidation après avoir entendu plusieurs plaignants terrifiés. Il a demandé au groupe de surveillance Clean Elections USA de se tenir à au moins 25 mètres, de s’abstenir de porter des armes à moins de 80 mètres et leur a interdit de prendre des photos. D’autant que certaines d’entre elles avaient été mises en ligne, assorties de commentaires semblant d’impliquer des comportements suspicieux des électeurs. Il s’agit d’une modeste victoire car elle intervient a posteriori et implique qu’il y ait suffisamment de groupes mobilisés pour porter l’action en justice à chaque fois qu’il y aura tentative de pressions ou intimidation.

Non seulement les candidats républicains allèguent une fraude électorale inexistante mais sur les 569 qui ont fait campagne pour les élections primaires sur le thème de l’élection volée en 2020, 291 ont remporté l’élection et 131 ont de grandes chances d’être élus car ils sont candidats dans une circonscription ou un Etat « rouge » ou tirant vers le « rouge » des Républicains. Or, ces négationnistes, ces « election deniers » qui ont remporté leur primaire, sont candidats à des postes aussi importants que sénateur, gouverneur, ministre de la justice (AG) ou secrétaire en charge des élections – dont on sait le rôle essentiel pour garantir l’intégrité d’une élection et des résultats. Rappelons-nous le courageux républicain Brad Raffensperger qui a, pendant plus d‘une heure, résisté aux pressions de Donald Trump, de plus en plus menaçant, lui demandant de lui « trouver 11780 voix ». Plus de 130 sont assurés d’être élus dont Kari Lake, la « Trump en talons aiguilles », qui a de bonnes chances de devenir gouverneur d’Arizona, Etat pivot pour la présidentielle de 2024 et susceptible de faire basculer le Sénat à droite dès 2022.

Il faut donc s’attendre à une période de chaos et à la multiplication des contentieux provoqués par les deux camps. Les Démocrates contestant les violations du droit électoral et de la loi sur le droit de vote de 1965 (VRA) pour s’opposer aux diverses tentatives des Républicains. Ainsi, en Pennsylvanie, autre Etat clé, ceux-ci voudraient ne pas comptabiliser les bulletins dont la date n’apparaît pas clairement, ce que les groupes de défense des droits contestent devant les tribunaux. Par ailleurs, plusieurs candidats républicains battus risquent de refuser de reconnaître les résultats et ont indiqué leur intention de multiplier les recours administratifs et les actions en justice pas nécessairement fondées, ne serait-ce que pour engorger le système. Les frais de justice qui se sont élevés à 15 millions de dollars en 2016 et 400 millions de dollars en 2020 vont exploser, au point que les partis politiques font des collectes de fonds fléchés sur le volet « contentieux ». Et il y aura sans doute des épisodes de violence, dont seuls le nombre et la gravité restent à déterminer.

Pour le président Biden, si les Démocrates perdent la majorité à la Chambre, c’en est fini de son programme progressiste (visant à mettre fin à des décennies de baisse d’impôts, de politique de l’offre et d’étranglement des programmes économiques et sociaux) et de la commission d’enquête sur l’insurrection du 6 janvier. Et ce sera le retour aux blocages de l’ère Obama (chantages sur le budget et le plafond de la dette) et la multiplication des enquêtes fantaisistes et partisanes, sur le fils Biden, le FBI ou l’actuel ministre de la Justice Merrick Garland. Sans oublier de possibles mises en accusation du président Biden pour sa « gestion catastrophique », au choix, du Covid, de la frontière avec le Mexique ou du retrait d’Afghanistan (voulu et programmé par Donald Trump avant son départ).

SI les Républicains reprennent aussi le Sénat, plus aucune nomination ne sera confirmée, des directeurs d’agence comme des juges fédéraux. Le président Biden ne pourra alors pas « compenser » les 253 juges très conservateurs, voire radicaux pour certains, nommés par Trump avec l’appui de la Federalist Society et la complicité du leader républicain au Sénat, Mitch Mc Connell.

Les enjeux sont donc énormes au plan interne, au plan international (aide à l’Ukraine par exemple, leadership américain) et pour l’élection présidentielle de 2024 dont la campagne va s’ouvrir immédiatement. Peut-être très bientôt avec l’annonce de la candidature de D. Trump ?


Anne Deysine

Juriste et américaniste, Professeure émérite à l'Université Paris-Nanterre