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Les États-Unis entre midterms et présidentielle

Historienne , Américaniste, Américaniste

La « vague rouge » qu’annonçaient bien des commentateurs avant les élections de mi-mandat qui se sont tenues en novembre dernier, n’a pas eu lieu. Le Parti Démocrate a même remarquablement résisté à l’occasion d’un scrutin où, en général, les gouvernants sont sanctionnés par les électeurs. Mais bien des incertitudes pèsent encore sur la présidentielle de 2024 que Donald Trump entend disputer – et sur l’état de santé de la démocratie américaine.

Les élections de mi-mandat de novembre 2022 ont vu le renouvellement de l’intégralité des 435 sièges de la Chambre des représentants et d’un tiers du Sénat. Se sont ajoutés à ces scrutins la désignation, au niveau des États de l’Union, d’une partie des gouverneurs, un certain nombre de secrétaires d’État et procureurs généraux, de représentants dans les assemblées d’État et, le cas échéant, de juges, de shérifs, etc. Enfin, certains États ont organisé des référendums, qui pouvaient porter sur le déroulement des scrutins, la régulation du droit à l’avortement et l’usage du cannabis, ou d’autres sujets encore[1].

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Le Parti républicain a obtenu une très courte majorité à la Chambre des représentants (220 sièges, soient deux de plus que la majorité absolue) que les Démocrates dominaient jusqu’alors. S’ils prendront sans doute le contrôle de commissions parlementaires lorsque la nouvelle Chambre se réunira en janvier 2023, leur très courte majorité les place dans une position vulnérable et ils feront face à un Sénat qui, lui, reste aux mains du Parti démocrate, quel que soit le résultat du second tour de la sénatoriale de Géorgie, le 6 décembre.

Pour les Républicains, ce résultat est décevant, car nettement en deçà de leurs objectifs et des pronostics généralement avancés pendant la campagne. La “vague rouge” prédite par les élus et commentateurs républicains n’a pas eu lieu. Ce résultat global, moyennant des nuances géographiques, s’explique à la fois par la mobilisation du camp démocrate et par les défections ponctuelles d’électeurs républicains, mais aussi et surtout par l’attitude des électeurs “indépendants”, une épithète qui, aux États-Unis, qualifient les citoyens qui ne sont affiliés à aucun des deux grands partis.

Les déterminants du vote

Dans l’ensemble, les deux camps étaient bien regroupés et la grande majorité des candidats ont fait le plein auprès des partisans. Un certain nombre de candidats républicains aux positions tranchées – contre l’avortement, favorables au thème de “l’élection volée” de Trump en 2020 – ont toutefois perdu le soutien de partisans traditionnels de leur camp, qui leur ont préféré le candidat démocrate. C’est le cas en Arizona, où le sénateur Mark Kelly a attiré à lui une fraction, faible mais suffisante, d’électeurs républicains. À l’inverse, le gouverneur sortant de Géorgie, Brian Kemp, a à la fois parfaitement rassemblé son camp, attiré suffisamment d’électeurs démocrates, et bien davantage d’indépendants que Hershel Walker, le candidat républicain au poste de sénateur.

Le “split vote” (par lequel un même électeur panache son vote entre candidats démocrates et républicains) s’explique souvent par la personnalité des candidats, et, sur ce point, les Républicains peuvent regretter d’avoir vu certains candidats “extrêmes” remporter la primaire de leur camp. Ainsi, en Pennsylvanie, Doug Mastriano, candidat au gouvernorat aux positions particulièrement radicales, a accusé les pertes les plus sévères à la fois chez les électeurs indépendants, et parmi les Républicains, dont il ne reçoit que 83% du vote (contre 98% pour Brian Kemp en Géorgie).

Les Indépendants se caractérisent par leur faible investissement dans la vie civique : c’est l’électorat le moins mobilisé et le moins informé. Mais c’est aussi un électorat viscéralement modéré et partagé : plutôt républicain en matière économique et fiscale, plutôt démocrate en matière sociétale. Dans un scrutin largement dominé par les questions liées aux récentes poussées inflationistes, les Démocrates semblaient partir avec un sérieux handicap. Mais l’extrémisme de certains candidats républicains sur l’avortement et le mythe de l’élection volée semblent avoir constitué un repoussoir auprès de bien des électeurs. Cela devrait servir de leçon aux stratèges républicains, d’autant que les électeurs américains ont tendance à voter par dépit, davantage contre un opposant qu’en faveur du candidat de son propre camp. “Voter contre” renvoie à un concept de science politique appelé “negative partisanship” ou polarisation affective : la peur de l’autre camp prime alors sur l’attrait de son camp. Pour les Indépendants qui, par définition, n’appartiennent à aucun camp, il s’agit souvent de voter pour le moindre mal, ou contre la menace perçue comme la plus inquiétante.

S’agissant des Démocrates, la sociologie électorale livre un constat mitigé. Les jeunes de 18 à 29 ans ont répondu présents en termes de taux de participation, mais un peu moins qu’en 2018 (27% contre 31% de participation), et ont voté majoritairement démocrate, mais là encore un peu moins qu’en 2018 (63% contre 67%).

Les minorités ethniques, qui constituent un autre groupe décisif de la base des Démocrates, semblent confirmer qu’elles ne leur sont pas automatiquement acquises. C’est notamment le cas chez les hommes hispaniques et les Asiatiques. S’ils soutiennent encore majoritairement les Démocrates, un recul même léger peut s’avérer fatal dans un scrutin serré.

L’enjeu de l’avortement a souvent été interprété comme à l’origine d’une mobilisation accrue de l’électorat féminin. En réalité, des lignes de fractures tenant à la couleur de la peau, au statut marital et au niveau de qualification viennent complexifier cette analyse : les femmes blanches restent majoritairement républicaines, mais moins si elles sont diplômées du supérieur. Les femmes non mariées votent en revanche plutôt démocrate (comme les hommes célibataires d’ailleurs).

Le découpage contesté (et déterminant) des circonscriptions électorales

Les résultats des élections pour la Chambre des Représentants doivent être interprétés dans le contexte spécifique du système électoral étatsunien, qui repose notamment sur des circonscriptions dont les frontières sont établies par les assemblées des états fédérés. Les pratiques de charcutage électoral (gerrymandering) profitent généralement aux Républicains, qui ont recours à ces manipulations de façon plus courante et plus agressive que les Démocrates. Ainsi, dans l’Ohio, la carte utilisée pour les élections de mi-mandat a été déclarée anticonstitutionnelle par la Cour Suprême de l’État à plusieurs reprises, car elle favorise les Républicains. Malgré des allers-retours laborieux entre l’assemblée et la Cour Suprême de l’Ohio, les Républicains de l’assemblée n’ont pas établi de nouvelle carte, contraignant l’État à utiliser des circonscriptions découpées de façon discriminatoire. En Louisiane, Géorgie et Alabama, les cartes utilisées lors des élections de mi-mandat avaient aussi été condamnées juridiquement. À l’opposé, dans l’État de New York, lorsque les Démocrates ont été appelés à modifier une carte qu’ils avaient découpée à leur avantage, ceux-ci se sont exécutés dans les délais impartis.

La question du redécoupage des circonscriptions a un impact déterminant sur la composition de la Cour, puisque des études estiment que 12 à 14 sièges, selon le Brennan Center for Justice, auraient été obtenus par les Républicains grâce à ces pratiques discriminatoires.

La courte victoire des Républicains à la Chambre et leur incapacité à capturer la majorité au Sénat ont surpris car, historiquement, le parti du président tend à subir des pertes importantes aux élections de mi-mandat. Cela aurait dû être d’autant plus vrai que le président Biden souffre d’une cote de popularité assez faible avec 40% des sondés se déclarant satisfaits de son action et d’une inflation forte.

Si la plupart des commentateurs et une partie importante des élus républicains s’accordent sur l’impact négatif de la présence médiatique de Donald Trump pour expliquer le semi-revers Républicain, d’autres préfèrent mettre en avant des difficultés en matière de financement des campagnes. Ainsi JD Vance, candidat républicain victorieux dans l’Ohio a publié un éditorial dans lequel il cherche à exonérer Trump et déplore le fait que les Démocrates aient réussi à lever davantage de fonds pour financer leurs campagnes. À titre d’exemple, selon les chiffres de la FEC (Federal Election Commission), la campagne de JD Vance avait reçu 12 millions de dons contre près de 50 millions pour le candidat démocrate, Tim Ryan. De même, pour l’élection sénatoriale de Géorgie le sortant démocrate Raphael Warnock a récolté 175 millions de dollars contre 58 pour le républicain Herschel Walker.

Cet avantage net pour les candidats démocrates mérite pourtant d’être nuancé car il ne concerne que les comptes de campagne des candidats et non les millions de dollars dépensés par les SuperPacs et autres groupes plus ou moins indépendants qui gravitent autour des élections et peuvent largement appuyer ou compenser les campagnes de communication des candidats eux-mêmes. Ainsi, le groupe conservateur American Crossroads a pu dépenser plus de 40 millions de dollars en Géorgie pour multiplier les publicités négatives contre Raphael Warnock. La victoire de ce dernier en Géorgie, lors d’un second tour de scrutin organisé le 6 décembre, offre aux Démocrates un contrôle un peu moins précaire du Sénat en leur permettant de s’appuyer sur une véritable majorité dans chacune des commissions, ce qui devrait fluidifier le travail parlementaire.

Ces élections se sont également révélées historiques car, pour la première fois, tous les sénateurs sortants ont été réélus. Le très fort taux de réélection des sortants à la Chambre comme au Sénat contribue d’ailleurs au vieillissement généralisé des élites politiques aux États-Unis. Alors que les débats en la matière se focalisent sur l’âge du président Biden, la moyenne d’âge des élus au congrès frôle désormais les 60 ans. Ce phénomène amène certains auteurs à évoquer, sur un mode critique, l’avènement d’une gérontocratie américaine (voir par exemple cet article de Adam Bonico et Jake Grumbach).

De la polarisation à la modération ?

La capacité des sortants à se faire réélire incite à se pencher sur les continuités plus que les ruptures. À l’encontre d’une analyse d’un scrutin vu comme un désaveu de la polarisation partisane que symbolise Donald Trump, on peut donc tout à fait imaginer que les défaites spectaculaires de certains candidats emblématiques de la droite trumpiste, comme Kari Lake dans l’Arizona, ne soient que l’arbre qui cache la forêt. Rappelons que, selon une analyse du New York Times, parmi les 220 Républicains élus à Chambre, 180 remettent en cause la validité de l’élection présidentielle de 2020. Difficile dans ces conditions, d’imaginer un reflux de l’influence des positions extrémistes au sein du GOP. La dynamique de calcification partisane décrite par John Sides et Lynn Vavreck semble bien au contraire renforcée par le scrutin de 2022[2].

La radicalisation du parti Républicain et la polarisation due à la présence de Trump dans l’arène politique a surtout servi aux Démocrates pour rassembler leur camp. Joe Biden a d’ailleurs choisi de mettre l’avenir de la démocratie au cœur de sa stratégie politique, et certains sondages de sortie d’urne suggèrent que ce pari a été gagnant. En effet, malgré la relative impopularité du président, de nombreux électeurs et de nombreuses électrices ayant exprimé un avis défavorable quant au président Biden ont tout de même voté pour des candidates et candidats démocrates, traduisant avant tout un désir d’éviter les Républicains, plutôt qu’une réelle adhésion aux politiques de Biden.

Et maintenant ?

En attendant que le nouveau Congrès soit intronisé début janvier, il reste quelques semaines aux Démocrates pour tenter de faire adopter le maximum de propositions de lois. Il va cependant leur falloir composer avec le pouvoir d’obstruction des Républicains au Sénat. En dehors de la procédure budgétaire et des votes de confirmation des nominations présidentielles, le règlement du Sénat impose un vote à la majorité des 3/5ème soit 60 sénateurs pour clore les débats avant de pouvoir voter une proposition de loi. De fait, la majorité démocrate doit réussir à convaincre au moins une dizaine de Républicains pour faire adopter la moindre réforme. Ils y sont parvenus, le 29 novembre, pour faire adopter le Respect for Marriage Act avec le soutien de 12 sénateurs républicains. Cette proposition de loi vise à protéger la validité des mariages homosexuels en cas de revirement de jurisprudence à la Cour Suprême. Il semble qu’une coalition bipartite devrait aussi être en mesure de voter une réforme du Electoral Count Act qui permettrait de clarifier la procédure de décompte des voix pour l’élection présidentielle afin d’éviter que le scenario de 2020 ne se répète.

Mais comme toujours à ce moment de l’année, ce sont les questions budgétaires qui seront au premier plan. En effet, l’exercice budgétaire 2023 a commencé depuis le 1er octobre sans que le budget n’ait été véritablement adopté. À la place, le Congrès a voté une loi temporaire d’autorisation de dépenses des crédits qui court jusqu’au 16 décembre. Si rien ne se passe avant cette date, le gouvernement fédéral devra temporairement fermer ses portes : le fameux shutdown auquel nous sommes désormais habitués. Si la procédure budgétaire permet d’éviter l’obstruction du parti minoritaire, il faut un accord de tous les membres de la courte majorité démocrate. Les négociations sont en cours et Joe Manchin, sénateur démocrate de Virginie Occidentale, a d’ores et déjà fait savoir qu’il s’opposerait à tout accord qui ne réduirait pas les dépenses et le déficit. Il en va de même pour le relèvement du plafond de la dette qui devra être voté avant le printemps.

La politique économique américaine semble donc entrer dans une phase d’austérité au moins relative après les programmes expansionnistes engagés durant la crise du Covid (American Rescue Plan de 2021) et les premiers mois de l’administration Biden. Couplée à la politique monétaire déflationniste de la Réserve fédérale, cette orientation budgétaire devrait contribuer à faire entrer l’économie américaine en récession l’année prochaine. La seconde partie du mandat de Joe Biden devrait logiquement être consacrée à la mise en application des lois majeures de 2021 et 2022 : investissement dans les infrastructures (Infrastructure Investment and Jobs Act) et soutien à la filière des microprocesseurs (CHIPS and Science Act), réorientation de la politique énergétique (Inflation Reduction Act).

En politique étrangère, malgré les vociférations médiatiques de certains élus trumpistes comme Marjorie Taylor Greene, la plupart des Républicains, et tout particulièrement celles et ceux qui siègeront dans les commissions des affaires étrangères de la Chambre et du Sénat, semblent bien décidés à continuer le soutien à l’Ukraine et à conserver une posture plutôt agressive envers le régime chinois.

De manière plus générale, il est probable que les quelque quarante ou cinquante représentants républicains les plus extrêmes au sein de la Chambre vont rendre le travail du probable prochain Speaker Kevin McCarthy extrêmement compliqué. Durant les présidences Obama et Trump, l’opposition systématique du Freedom Caucus avait poussé les leaders républicains de la Chambre à demander le soutien des Démocrates pour faire fonctionner a minima les institutions. Il y a fort à parier que ce scenario se répète et que les trumpistes se retrouvent à transférer de facto le contrôle de la Chambre à la minorité démocrate qui saura sûrement négocier son soutien de manière stratégique. Il faut également rappeler que la Chambre républicaine devra s’accorder avec le Sénat démocrate, ce qui laisse fortement présager une productivité législative assez faible.

Démocrates et Républicains au prisme de l’élection présidentielle de 2024

La stratégie des Démocrates est-elle pérenne ? Le parti semble avoir réussi, depuis 2018, à mobiliser une coalition anti-Trump qui explique, on l’a dit, des résultats surprenants pour des midterms qui sont marquées, traditionnellement, par une défaite du parti au pouvoir. L’arrêt de la Cour Suprême Dobbs v. Jackson qui a aboli la protection fédérale du droit à l’avortement a fortement contribué à ce résultat puisque les Démocrates ont pu jouer sur le fait qu’ils subissaient encore l’héritage du trumpisme – ce qui les a aidés à faire campagne comme s’ils étaient encore dans l’opposition. Cette stratégie ne sera cependant peut-être pas suffisante pour alimenter la campagne présidentielle des Démocrates en 2024, où ils seront fatalement confrontés au bilan du mandat Biden.

Du côté républicain, l’influence négative de Donald Trump sur les scores des candidats républicains aux élections de mi-mandat (qu’une analyse du New York Times a estimé à 5 points en moyenne) amène davantage de membres du parti à prendre leurs distances avec l’ancien président. Depuis l’annonce de sa candidature, ce dernier semble pourtant déterminé à poursuivre sur la même voie. Après avoir organisé un dîner avec un activiste néo-nazi, il a utilisé les réseaux sociaux pour déclarer que face au prétendu scandale que constituait sa défaite de 2020 il était nécessaire d’abroger de la Constitution américaine.

L’extrémisme et le poids des défaites successives autour d’un candidat qui n’a jamais réussi à rallier plus de 46% de l’électorat offre une possibilité à d’autres candidatures d’émerger. Le grand vainqueur du scrutin de novembre 2022 dans le camp républicain semble être le gouverneur de Floride Ron DeSantis. Réélu par une très large majorité dans un État qui était jusque-là considéré comme plutôt gagnable par les Démocrates, il est devenu la nouvelle coqueluche des conservateurs en multipliant les attaques médiatiques contre la restrictions liées au Covid, les questions d’enseignement du genre dans les écoles et la politique migratoire. Perçu comme moins instable et inquiétant que l’ancien président, DeSantis se prépare clairement à être un concurrent très sérieux dans les primaires républicaines.

Malgré des atouts indéniables, son style oratoire plutôt fade et conventionnel pourrait le mettre en difficulté lors d’éventuels débats contre le toujours spectaculaire maître de la politique inspirée par la téléréalité. D’autres gouverneurs républicains, comme Mike DeWine dans l’Ohio ou Brian Kemp en Géorgie, vont sûrement profiter de leur réélection pour se placer dans une course qui s’annonce longue et imprévisible. Malgré le sentiment de lassitude que pourrait susciter la candidature de Trump, il faut insister sur le fait qu’il demeure le héros de la plus grosse partie de l’électorat républicain. Les résistances de la part des élites du parti ne l’avaient aucunement empêché de l’emporter dans les primaires en 2016 grâce au soutien indéfectible d’au moins un tiers des participants aux primaires (une population bien plus âgée, conservatrice et radicale que l’électeur moyen). Au contraire, à l’époque cela avait même renforcé sa candidature en confirmant son discours de candidat antisystème. Il lui faut désormais convaincre qu’une telle posture peut s’appliquer à un ancien président.

La démocratie américaine au péril de…

La confiance envers les institutions aux États-Unis a été durablement ébranlée par le mandat de Donald Trump. La Cour Suprême n’a jamais été aussi impopulaire dans les sondages en raison des récents arrêts d’une cour ultra-conservatrice. L’un des grands enjeux de ces élections de mi-mandat était bien de prendre le pouls de l’état de la démocratie étatsunienne depuis les élections de 2020 et la spectaculaire prise du Capitole de janvier 2021. Joe Biden a d’ailleurs misé sur ce message pour mobiliser l’électorat, martelant que les institutions étaient en danger., un enjeu en partie à l’origine de l’attention médiatique inhabituelle qu’ont suscité ces élections de mi-mandat, traditionnellement beaucoup moins suivies à l’international.

Les institutions de la démocratie ont fait preuve de robustesse lors des midterms. Mis à part des dysfonctionnements mineurs d’appareils dans l’Arizona, qui n’ont fait que brièvement parler d’eux car présentés par des complotistes comme une preuve de fraude électorale, très peu d’incidents se sont produits, et très peu de candidates et candidats ont contesté les résultats.

Au-delà des débats sensationnalistes autour de la fraude électorale qui font parfois diversion la démocratie américaine souffre de maux bien réels, allant du rôle qu’y joue l’argent jusqu’à celui de média aux mains, d’ailleurs, de puissances d’argent comme en témoigne l’empire Murdoch. Mais nous aimerions braquer le projecteur sur un autre problème : les mécanismes visant à restreindre l’exercice du droit de vote, ou à diluer le poids de certains pans de l’électorat, comme le découpage des circonscriptions électorales mentionné plus haut, qui ne constituent pas un accident de la démocratie étatsunienne, mais bien une de ses caractéristiques systémiques.

Toute une partie de la population est, par exemple, exclue des listes électorales, par la loi, en raison d’un casier judiciaire même minime. Ce type de loi, qui diffère d’un État à l’autre, prive du droit de vote à environ 2% de l’électorat a un effet disproportionné sur les personnes racisées. Celles-ci sont en effet sur-représentées en prison et en moyenne plus lourdement condamnées par la justice que les personnes blanches. Ces questions de justice électorale, si elles occupent rarement le devant de la scène, continueront à structurer la démocratie étatsunienne, comme le montrera, une fois encore, l’élection présidentielle de 2024.


[1] Cet article procède du webinaire organisé par l’Association Française de Science Politique dans le cadre de la série – mensuelle – « Poli(cri)tique ». Titré « Les États-Unis au prisme des midterms », ce webinaire, qui s’est tenu le 28 novembre 2022 réunissait les trois auteurs de cet article ainsi qu’Elisa Chelle, professeure à l’Université de Paris Nanterre et contributrice régulière d’AOC. Cet article s’inscrit dans le cadre du partenariat entre l’AFSP et AOC.

[2] Voir « These Political Scientists Surveyed 500,000 Voters. Here Are Their Unnerving Conclusions”, The New York Times, 28 octobre 2022.

Esther Cyna

Historienne , Maîtresse de conférences à l’Université Versailles St-Quentin-en-Yvelines

Lauric Henneton

Américaniste, Maître de conférences en civilisation HDR à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Alix Meyer

Américaniste, Maître de conférences en civilisation américaine à l’Université Clermont Auvergne

Notes

[1] Cet article procède du webinaire organisé par l’Association Française de Science Politique dans le cadre de la série – mensuelle – « Poli(cri)tique ». Titré « Les États-Unis au prisme des midterms », ce webinaire, qui s’est tenu le 28 novembre 2022 réunissait les trois auteurs de cet article ainsi qu’Elisa Chelle, professeure à l’Université de Paris Nanterre et contributrice régulière d’AOC. Cet article s’inscrit dans le cadre du partenariat entre l’AFSP et AOC.

[2] Voir « These Political Scientists Surveyed 500,000 Voters. Here Are Their Unnerving Conclusions”, The New York Times, 28 octobre 2022.