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Vie et mort des statues de Lénine en Russie et en Ukraine

Politiste

La mort de Lénine le 21 janvier 1924 – il y a tout juste 99 ans – a marqué le début d’un processus de glorification hors norme. Des milliers de statues ont été érigées en l’honneur du chef révolutionnaire, y compris sur le territoire ukrainien où, dès l’indépendance en 1991, plusieurs ont été mises à bas. Ces « chutes de Lénine » (ou leninopad) qui n’ont cessé de s’amplifier depuis la Révolution de Maïdan en 2013 révèlent, au-delà de la guerre, la persistance entre Kyiv et Moscou d’une mémoire conflictuelle ancienne de l’héritage soviétique.

Lénine est mort le 21 janvier 1924.

Mais le parti bolchevik dont il était le fondateur et l’inspirateur constant trouva des moyens d’immortaliser son dirigeant. En édifiant peu après sa mort un tombeau en marbre pour accueillir sa momie sur la Place Rouge – lieu symbolisant le pouvoir communiste – mais aussi en forgeant le « léninisme », construit par Staline notamment dans une série de conférences publiées dans la Pravda en avril-mai 1924.

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Sa survie était assurée en entreprenant de façon proliférante de le représenter en photographies ou en films, en imitant son profil sur des pièces de monnaie ou des timbres, tout cela accompagné de ses images en peintures ou en statues. Ces dernières, érigées par milliers dans des lieux publics en URSS, donnent lieu à des cérémonies rituelles. Elles sont depuis 1991 et la dislocation de l’empire soviétique un objet de vives disputes qui expriment des conflits profonds sur l’interprétation du communisme et le rôle du fondateur de la première dictature s’étant réclamée du marxisme.

Bien avant la guerre conduite par la Russie contre l’Ukraine, qui commence en 2014 et redouble d’intensité le 24 février 2022, la Russie et l’Ukraine se sont affrontées au sujet du patrimoine soviétique et de sa liquidation éventuelle : la Russie conserve et même entretient les statues de Lénine, tandis qu’en Ukraine elles ont été mises à bas depuis 1991, avec une accélération en décembre 2013. Car en Ukraine, des nationalistes, par hostilité au bolchévisme russe, ont poussé la Rada (la chambre des députés) à voter quatre lois de « dé-communisation » en février 2015 : au printemps 2016, toutes les statues de Lénine ont été mises à bas, ainsi que les statues des cadres communistes, tandis qu’ont été débaptisées des rues et des villes.

Ainsi, pour prendre des exemples dans l’actualité de la guerre à la mi-janvier 2023, Dnipropetrovsk devient, en 2016, Dnipro, par amputation du nom d’un dirigeant bolchevik qui exerça sous Lénine et Staline, Grigor


[1] Nous traitons certains de ces problèmes dans notre livre récent Poutine, l’Ukraine et les statues de Lénine, Presses de Sciences Po, 2023. Nous y abordons les sujets autrement que dans cet article. Ce livre comporte 43 illustrations.

[2] On trouvera la photographie de plusieurs de ces statues de Lénine, et d’une statue de Staline, dans D. Colas, Poutine, l’Ukraine et les statues de Lénine, pages 71, 84, 88 et 102.

[3] Sigle abrégé du russe : Camp de travail correctionnel de Dmitrov. Dmitrov est une ville de la région de Moscou.

[4] À Doubna, photographie de la statue de Staline par Merkourov dans un article de Boris Egorov : « Les monuments à la gloire de Joseph Staline, de la prolifération à la disparition », dans Russia Beyond. Celle de Lénine est visible en ligne.

[5] Exemple du succès de Merkourov : en 1940, une statue monumentale de Lénine est édifiée à Erevan en Arménie. Elle sera mise à bas en 1991.

[6] Nous adoptons la transcription de l’ukrainien.

[7] On peut voir cette statue en ligne.

[8] Nicolay Koposov, « Les lois mémorielles en Russie et en Ukraine. Une histoire croisée », Écrire l’histoire, 16, 2016, p. 251-256.

[9] Niels Ackermann, Sébastien Gobert, Looking For Lenin, Lausanne, Lausanne, Éditions Noir sur blanc, 2017. Un ouvrage photographique sur le leninopad.

[10] Sur la nouvelle installation de la statue de Lénine, voir Julie Deschepper « Le retour de Lénine ou la militarisation de l’histoire » in AOC, 9 mai 2022. La photo de cette statue in Dominique Colas, Poutine, l’Ukraine et les statues de Lénine, Presses de Sciences Po, 2023, p. 22.

[11] Sur la famine sous Lénine : Dominique Colas, Poutine, l’Ukraine et les statues de Lénine, Presses de Sciences Po, 2023, chap. 1, et Dominique Colas, Lénine, Fayard, 2017, chap. 9.

[12] Sur la famine sous Staline : Nicolas Werth, Les Grandes famines soviétiques, Paris, PUF, 2020. Il remarque que les historiens russes qui travaillent sur la famine de 1932-1932 sont en quantité infime.

[13] Voir dans A

Dominique Colas

Politiste, Professeur à Sciences Po

Notes

[1] Nous traitons certains de ces problèmes dans notre livre récent Poutine, l’Ukraine et les statues de Lénine, Presses de Sciences Po, 2023. Nous y abordons les sujets autrement que dans cet article. Ce livre comporte 43 illustrations.

[2] On trouvera la photographie de plusieurs de ces statues de Lénine, et d’une statue de Staline, dans D. Colas, Poutine, l’Ukraine et les statues de Lénine, pages 71, 84, 88 et 102.

[3] Sigle abrégé du russe : Camp de travail correctionnel de Dmitrov. Dmitrov est une ville de la région de Moscou.

[4] À Doubna, photographie de la statue de Staline par Merkourov dans un article de Boris Egorov : « Les monuments à la gloire de Joseph Staline, de la prolifération à la disparition », dans Russia Beyond. Celle de Lénine est visible en ligne.

[5] Exemple du succès de Merkourov : en 1940, une statue monumentale de Lénine est édifiée à Erevan en Arménie. Elle sera mise à bas en 1991.

[6] Nous adoptons la transcription de l’ukrainien.

[7] On peut voir cette statue en ligne.

[8] Nicolay Koposov, « Les lois mémorielles en Russie et en Ukraine. Une histoire croisée », Écrire l’histoire, 16, 2016, p. 251-256.

[9] Niels Ackermann, Sébastien Gobert, Looking For Lenin, Lausanne, Lausanne, Éditions Noir sur blanc, 2017. Un ouvrage photographique sur le leninopad.

[10] Sur la nouvelle installation de la statue de Lénine, voir Julie Deschepper « Le retour de Lénine ou la militarisation de l’histoire » in AOC, 9 mai 2022. La photo de cette statue in Dominique Colas, Poutine, l’Ukraine et les statues de Lénine, Presses de Sciences Po, 2023, p. 22.

[11] Sur la famine sous Lénine : Dominique Colas, Poutine, l’Ukraine et les statues de Lénine, Presses de Sciences Po, 2023, chap. 1, et Dominique Colas, Lénine, Fayard, 2017, chap. 9.

[12] Sur la famine sous Staline : Nicolas Werth, Les Grandes famines soviétiques, Paris, PUF, 2020. Il remarque que les historiens russes qui travaillent sur la famine de 1932-1932 sont en quantité infime.

[13] Voir dans A