Société

Comment faire de la liberté scientifique un bien public

Politiste

Les libertés académiques – soit le fait de pouvoir librement, en tant que chercheur, chercher, enseigner et exprimer des points de vue critiques –, connaissent de dangereuses remises en cause dans un nombre croissant de pays. L’acteur décisif quant à la sauvegarde à long terme des libertés académiques n’est, outre l’universitaire, ni l’État, ni le régime politique, même si elle passe par leur truchement ; il s’agit du public.

La longue incarcération en Iran de Fariba Adelkhah, qui vient de retrouver la liberté après plus de trois ans dans la prison d’Evin, a une fois de plus souligné la grande précarité des chercheurs confrontés à un contexte autoritaire. Cette heureuse libération intervient après trois ans de mobilisation exemplaire de la part de son comité de soutien, trois ans de veille médiatique, trois ans d’action diplomatique… mais surtout après que l’ayatollah Khamenei a souverainement décidé d’accorder sa grâce à des milliers de prisonniers arbitrairement arrêtés, comme il a l’habitude de le faire à l’occasion des principales fêtes religieuses ou nationales.

publicité

Les pressions venues de France ont-elles joué un rôle dans sa libération ? Nous ne le savons pas. Les chercheurs ont-ils des raisons de se sentir mieux protégés quand ils travaillent dans des contextes hostiles ? Certainement pas. L’emprisonnement de Fariba Adelkhah a-t-il suscité une émotion collective en France, au-delà de la communauté académique ? Que non. Le grand public sait-il ce que sont les libertés académiques (ou, c’est peut-être plus parlant, la liberté scientifique) et est-il prêt à s’indigner, pétitionner voire défiler en soutien à des chercheurs en péril ? Probablement pas.

Et c’est un problème. Car au-delà des cas les plus emblématiques, comme celui de Fariba Adelkhah, les libertés académiques – soit le fait de pouvoir librement, en tant que chercheur, chercher, enseigner et exprimer des points de vue critiques, connaissent de dangereuses remises en cause dans un nombre croissant de pays. Pour les protéger durablement, l’acteur décisif n’est, outre l’universitaire, ni l’État, ni le régime politique, même si elle passe par leur truchement ; il s’agit du public. L’enjeu de constituer la science en bien public et de considérer la liberté scientifique comme valeur collective apparaît en effet de plus en plus nécessaire.

La diffusion de ce que certains ont appelé la pensée unique alors que triomphait, il


[1] Christine Musselin, « Les réformes des universités en Europe : des orientations comparables, mais des déclinaisons nationales », Revue du Mauss, n°33-1, 2009, p. 69-91.

[2] Georges Vedel, « Les libertés universitaires », Revue de l’enseignement supérieur, 1960, n°4, p. 134-139, cité dans Olivier Beaud, « Les libertés universitaires I », Commentaire, n°1299, printemps 2010, p. 180.

[3] Voir « L’Université en crise. Mort ou résurrection ? », Revue du Mauss, n°33-1, 2009.

[4] Olivier Beaud, « Les libertés universitaires I », art. cit., p. 180.

[5] Sylvain Laurens, Frédéric Neyrat (dir.), Enquêter : de quel droit ? Menaces sur l’enquête en sciences sociales, Éditions du Croquant, 2010.

[6] Philippe Aldrin et al., L’enquête en danger. Vers un nouveau régime de surveillance dans les sciences sociales, Armand Colin, 2022. Voir aussi Didier Fassin, La recherche à l’épreuve de la politique, Textuel, 2023.

[7] Irene Bono, Béatrice Hibou, « Peut-on rester libre à l’heure du risque ? La liberté scientifique sur les terrains dits difficiles », Sociétés politiques comparées, 52, septembre-décembre 2020.

[8] Ibid.

[9] Voir, sur la France, Olivier Beaud, Le savoir en danger. Menaces sur la liberté académique, PUF, 2021, ch. 8.

[10] En voici un exemple.

[11] Filip Vostal, Accelerating Academia: The Changing Structure of Academic Time, Palgrave Macmillan, 2016.

[12] Voir Isabelle Stengers, Another Science is Possible: A Manifesto for Slow Science, Polity, 2018. The Slow Science Manifesto peut être consulté ici.

[13] Sylvain Laurens, Frédéric Neyrat (dir.), Enquêter : de quel droit ?…, op. cit.

[14] Ce qui pose un problème aux juristes en cas de contentieux, comme le note Olivier Beaud dans Le savoir en danger…, op. cit, p. 241. Plus loin, l’auteur interroge l’opportunité d’une juridicisation de la liberté scientifique, citant Paul Martens selon qui « la liberté académique perd en suprématie ce qu’elle gagne en normativité », cité p. 328.

[15] Rapport Promotion et protection du dr

Jérôme Heurtaux

Politiste, Maître de conférences en science politique

Notes

[1] Christine Musselin, « Les réformes des universités en Europe : des orientations comparables, mais des déclinaisons nationales », Revue du Mauss, n°33-1, 2009, p. 69-91.

[2] Georges Vedel, « Les libertés universitaires », Revue de l’enseignement supérieur, 1960, n°4, p. 134-139, cité dans Olivier Beaud, « Les libertés universitaires I », Commentaire, n°1299, printemps 2010, p. 180.

[3] Voir « L’Université en crise. Mort ou résurrection ? », Revue du Mauss, n°33-1, 2009.

[4] Olivier Beaud, « Les libertés universitaires I », art. cit., p. 180.

[5] Sylvain Laurens, Frédéric Neyrat (dir.), Enquêter : de quel droit ? Menaces sur l’enquête en sciences sociales, Éditions du Croquant, 2010.

[6] Philippe Aldrin et al., L’enquête en danger. Vers un nouveau régime de surveillance dans les sciences sociales, Armand Colin, 2022. Voir aussi Didier Fassin, La recherche à l’épreuve de la politique, Textuel, 2023.

[7] Irene Bono, Béatrice Hibou, « Peut-on rester libre à l’heure du risque ? La liberté scientifique sur les terrains dits difficiles », Sociétés politiques comparées, 52, septembre-décembre 2020.

[8] Ibid.

[9] Voir, sur la France, Olivier Beaud, Le savoir en danger. Menaces sur la liberté académique, PUF, 2021, ch. 8.

[10] En voici un exemple.

[11] Filip Vostal, Accelerating Academia: The Changing Structure of Academic Time, Palgrave Macmillan, 2016.

[12] Voir Isabelle Stengers, Another Science is Possible: A Manifesto for Slow Science, Polity, 2018. The Slow Science Manifesto peut être consulté ici.

[13] Sylvain Laurens, Frédéric Neyrat (dir.), Enquêter : de quel droit ?…, op. cit.

[14] Ce qui pose un problème aux juristes en cas de contentieux, comme le note Olivier Beaud dans Le savoir en danger…, op. cit, p. 241. Plus loin, l’auteur interroge l’opportunité d’une juridicisation de la liberté scientifique, citant Paul Martens selon qui « la liberté académique perd en suprématie ce qu’elle gagne en normativité », cité p. 328.

[15] Rapport Promotion et protection du dr