écologie

Biodiversité marine, vers un nouveau traité de l’ONU

Économiste, Politiste, Juriste, Juriste, écologue

Adopté le 4 mars 2023, l’Accord sur le traité international pour la protection de la haute mer a été aussitôt vivement salué. Une délégation de quatre chercheurs de l’UMR AMURE a suivi, sur place, les négociations qui se sont tenues à New-York du 20 février au 4 mars 2023. Ils en retiennent des discussions avant tout juridiques, qui manquent la dimension transversale et massive de la transformation en cours des milieux de vie.

Le vendredi 4 mars à 8 h du matin, dans la cafétéria de l’ONU, les négociations continuent. Depuis 1 h du matin, la présidente de la conférence intergouvernementale dédiée à la négociation Biodiversity Beyond National Jurisdiction (BBNJ) a décidé d’étendre les discussions pour parvenir à un consensus.  Supposées s’achever le vendredi 3 mars à minuit, les négociations se poursuivront 38 heures durant dans des conditions singulières. La 5e conférence intergouvernementale souhaite parvenir à un accord sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine au-delà de la juridiction nationale. Elle s’était déjà réunie en août avant d’être prolongée durant ces deux semaines, du 20 février au 4 mars 2023 au siège de l’ONU à New-York.

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C’est le samedi soir, autour de 22 h, qu’un compromis acceptable est trouvé sur le texte en anglais de l’Accord. Il doit désormais être édité, puis traduit dans les cinq autres langues officielles des Nations unies[1]. Il devrait ensuite être adopté définitivement lors d’une nouvelle prolongation de la 5e session de négociation, moment à partir duquel commencera le processus de signature puis de ratification. Mais il est certain, à ce stade, que le traité ne sera pas modifié dans sa substance. C’est un événement international de première importance, aucun traité multilatéral n’ayant été adopté par l’ONU depuis vingt-trois ans. Un tel événement est d’autant plus remarquable que le contexte international est particulièrement tendu.

La biodiversité marine des zones ne relevant pas des juridictions nationales est en effet un sujet porteur de controverses, car elle relève non seulement de la protection du vivant qui n’appartient à personne, mais aussi de la diversité génétique qu’il recèle, ou encore du partage au niveau international des avantages qui découlent de son utilisation. Il convient de souligner que les règles de l’Accord concernant le partage des bénéfices découlant de l’usage des ressources du vivant ne s’appliqueront pas à la pêche. Les préoccupations écologiques s’y articulent à des considérations économiques directes et indirectes, comme l’exploitation des ressources minières, dont les conditions sont prévues par la Convention des Nations unies de 1982 sur le droit de la mer (CNUDM) et le code minier, la propriété intellectuelle sur les résultats et les inventions biotechnologiques dont le support est du matériel génétique collecté dans les zones ne relevant pas de la juridiction nationale, ou encore la répartition des bénéfices issus de ces productions.

Sauf exception liée au plateau continental étendu, les États peuvent exercer des droits souverains et exclusifs sur les ressources naturelles jusqu’à 370 km. Au-delà des juridictions nationales se trouve donc la part longtemps négligée de la biodiversité marine, concernée par le Traité. Les enjeux politiques et géopolitiques du Traité BBNJ sont importants, puisqu’il s’agit de créer un cadre de coordination et de coopération bénéfique à la protection de la biodiversité dans des zones qui échappent à la souveraineté ou à la juridiction étatique exclusive. À l’instar de l’Accord de 1995 sur les stocks chevauchant et les grands migrateurs, cet accord vaut accord de mise en œuvre de la CNUDM.

Nous revenons ici sur les fondements de l’Accord, ses conditions de formation, et ce que sa conclusion nous apprend des relations internationales contemporaines, au prisme des Nations unies. La perspective que nous portons, depuis nos différentes disciplines, est également nourrie d’une observation durant deux semaines de ce dernier round de négociation.

Les principes : patrimoine commun de l’humanité vs. libertés de la haute mer

Quels sont, d’abord, les principes qui guident l’Accord ?

Une tension a traversé l’ensemble des négociations dans la définition des principes qui doivent déterminer la direction générale empruntée par le traité. Dans l’article portant sur la définition des principes et objectifs, le G77[2], souvent appuyé par la Chine, a défendu fermement l’inclusion du principe de patrimoine commun de l’humanité dans le traité. Ce principe est déjà reconnu dans la CNUDM qui était allé jusqu’à qualifier le sol et le sous-sol de la mer au-delà des juridictions nationales, ainsi que les ressources minérales présentes dans cette zone, de patrimoine commun de l’humanité.

L’accord BBNJ est moins ambitieux. L’inclusion d’un principe général de patrimoine commun de l’humanité, dans le contexte d’une négociation environnementale, présente néanmoins l’intérêt d’affirmer la responsabilité politique commune de l’humanité dans la protection de l’environnement. Surtout, le rappel du patrimoine commun donne une justification solide à la mise en place d’un système de partage des bénéfices issus de la bioprospection.

L’insistance du G77 a suscité une opposition nette venue de l’Union européenne et des États-Unis, qui ne voyaient pas d’un bon œil cette inclusion et ont finalement obtenu, comme point d’équilibrage, le rappel du principe des libertés de la haute mer formulé par la CNUDM. C’est ainsi que coexistent à l’article 5 « le principe de patrimoine commun de l’humanité tel qu’il est défini par la Convention », et, avec emphase, la « liberté de la recherche marine scientifique, avec les autres libertés de la mer ».

L’inclusion de ces dernières dans l’Accord est perçu comme un risque juridique par Arnalf Becker-Lorca et Rián Derring, qui ont écrit une note sur la nécessité d’inclure le patrimoine commun de l’humanité dans l’Accord BBNJ. Ils y écrivent que « la bioprospection pour les ressources génétiques marines est incompatible avec les libertés de la haute mer car elle crée des biens privés excluables. C’est le cas non seulement car la propriété de l’information génétique qui constitue la valeur au cœur de cette activité est très exclusive et protégée de la reproduction par des lois relatives à la propriété intellectuelle, mais également car si l’activité est traitée comme une liberté de la haute mer, cela conférerait un droit de privatiser des biens communs pour un petit nombre d’acteurs privés dotés d’une technologie avancée, ainsi que leurs États d’accueil, à l’exclusion de la plupart du reste du monde[3] ».

La coexistence, dans l’Accord, des libertés de la haute mer et du patrimoine commun de l’humanité, base de justification du partage des bénéfices, est donc source d’incertitude juridique. La réaffirmation des libertés de la haute mer dans le cadre d’un Accord qui entend les encadrer et les réguler peut être interprété comme l’affaiblissement de la portée de ce dernier.

Au plan des principes, il est également notable qu’une opposition entre principe de précaution et approche de précaution a traversé les négociations. L’Union africaine, les États caribéens, l’Union européenne défendaient le principe juridique de précaution, quand des États craignant de ne pouvoir mener les activités économiques qu’ils souhaitent déployer préféraient la notion d’approche. Le résultat diplomatique est un compromis par addition, comme dans le premier cas exposé. Le texte consacre ainsi, toujours en son article 5, « le principe de précaution ou l’approche de précaution, quand ils sont appropriés ».

Il est intéressant de noter par ailleurs que l’Accord fait référence également à l’approche écosystémique et à l’approche intégrée, mettant en avant tant les dimensions biophysiques que les aspects socio-économiques dans les critères retenus pour identifier des espaces à protéger et pour la réalisation d’études d’impact des activités conduites en haute mer.

La méthode : un mandat restreint de l’Assemblée générale des Nations unies

Le cadre juridique déterminant les négociations elles-mêmes a été défini très clairement par la résolution 72/249 de l’Assemblée générale des Nations unies qui en son point 7 affirme que le processus BBNJ et son résultat « ne doivent pas porter préjudice aux instruments et cadres juridiques en vigueur pertinents ou aux organes mondiaux, régionaux et sectoriels pertinents ». Les délégations les plus hostiles à la direction prise par le texte, notamment la Fédération de Russie et le Nicaragua, ont mobilisé en permanence la référence à ce point de la résolution, et n’ont eu cesse de rappeler aux délégations que le texte en cours de négociation dépassait selon eux ce mandat donné par l’Assemblée générale des Nations unies.

Il est en effet fort délicat de créer un nouveau traité sans qu’il interfère avec les règles préexistantes prévues par d’autres cadres institutionnels de nature plus sectorielle. L’Accord porte en outre sur un nouvel objet qui requiert une action collective résolue. En ce sens, le mandat avec lequel les négociateurs devaient composer était porteur d’un paradoxe. Il s’agissait de négocier un accord capable de mettre en place des dispositifs protecteurs de la biodiversité océanique menacée sans bousculer les cadres juridiques existants, ainsi que les « organes » qui leur sont liés. En un sens, le mandat était de tout changer pour que rien ne change.

Deux lectures du mandat s’opposaient donc dans les négociations. D’un côté, il y avait ceux qui rappelaient qu’il confiait aux négociateurs la responsabilité d’élaborer « le texte d’un instrument international juridiquement contraignant se rapportant à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale », souhaitant un accord ambitieux pour ces enjeux écologiques. De l’autre figuraient ceux pour qui toute interférence revenait stricto sensu à porter préjudice à la CNUDM et au cadre juridique préexistant. Une telle opposition d’interprétations était d’emblée contenue dans les impératifs contradictoires formulés par l’Assemblée générale. C’est en vérité dans l’application de l’accord BBNJ que se résoudront, d’une manière ou d’une autre, ces contradictions.

Beaucoup de pays ont présenté, en cours de négociation, des positions régionales communes en faveur d’un accord ambitieux tant pour la conservation que pour un partage juste et équitable des bénéfices qui pourraient en être issus. Tel est le cas des pays de l’Union africaine (UA), de la Communauté caribéenne (CARICOM), de l’Union européenne (UE), des États latinoaméricains (Core Latinoamerican Group, CLAM), ou encore des États insulaires (PSIDS).

Le contenu : aires marines, études d’impact sur l’environnement, ressources génétiques marines, renforcement des capacités et transfert des techniques marines

De quoi cet accord traite-il ? Quatre périmètres avaient été déterminés par le mandat que nous venons d’évoquer : les questions relatives aux ressources génétiques marines, y compris celles liées au partage des avantages, les outils de gestion par zones comme les aires marines protégées, les études d’impact sur l’environnement, ainsi que le renforcement des capacités et le transfert des techniques marines.

Le point de friction le plus important a sans aucun doute été la question des ressources génétiques marines, et du partage des avantages monétaires, et dans une moindre mesure non monétaires, qui découlent de leur utilisation. Ces ressources représentent en effet un creuset de matériel et d’information génétiques aux potentialités multiples pour la santé, l’environnement, l’alimentation ou la recherche scientifique. Pour l’heure, les activités de Recherche & Développement associées, dont la collecte in situ, sont à la portée de quelques États seulement. Les résultats qui en découlent, par exemple les inventions biotechnologiques, sont protégés par le droit de la propriété intellectuelle. En revanche, les découvertes scientifiques, ainsi de la découverte de nouvelles espèces vivantes, sont des communs qui ne peuvent pas faire l’objet d’une appropriation par de tels droits immatériels.

Pour l’heure, ce secteur est en développement, et les délégations bangladaises et indonésiennes, par exemple, ont insisté sur l’aspect crucial des découvertes à venir qui pourraient avoir trait à la santé par exemple. Le partage des avantages était donc un enjeu de justice internationale, position défendue notamment par nombre de pays du Sud. Le G77 considère, dès lors, avoir remporté une grande victoire en faisant introduire la notion de séquence d’information génétique dans le traité, élargissant ainsi le champ d’application du mécanisme de partage juste et équitable des avantages. Présente dans les derniers engagements de la COP biodiversité pris à Montréal en décembre 2022, cette notion oblige à une traçabilité depuis la découverte d’une ressource génétique jusqu’à sa commercialisation, base nécessaire pour un partage financier effectif. L’Accord a failli buter sur ce point essentiel, dont les conséquences restent encore à mesurer en pratique.

Ensuite, dans la lignée du partage des avantages se trouve la question du renforcement des capacités et des transferts de technique marine. Un compromis a été trouvé avant le dernier jour sur cette partie du texte, notamment grâce à la facilitation de Ligia Flores du Salvador (CLAM). La justice internationale est également au cœur des préoccupations de cette partie du traité, puisqu’il s’agit de mettre en place à la fois des dispositifs d’aide au développement par la formation aux enjeux maritimes, la construction d’infrastructures, le partage d’information et de données, et des mécanismes des dispositifs de transferts de techniques marines afin de combler les écarts de capacités entre pays. La situation particulière des pays les moins avancés, des pays enclavés et des petits États insulaires en développement est prise en considération.

Par ailleurs, l’Accord prévoit la possibilité que soient menées des études d’impact sur l’environnement pour les activités menées au-delà de la juridiction nationale pour lesquelles aura été établi « un risque d’effet plus que mineur ou transitoire ». L’étude d’impact sur l’environnement sera obligatoire en cas de risque de pollution substantielle. Elle devra conduire à la mise en place de dispositifs pour éviter, réduire ou compenser ces impacts, voire à l’arrêt de l’activité si les mesures sont jugées insuffisantes. Charge est confiée à l’organe scientifique et technique créé par le traité d’évaluer ces rapports d’impact environnemental, pour lesquelles il a mandat de développer des lignes directrices. Enfin, des outils de gestion par zone, une aire marine protégée par exemple, sont disponibles pour protéger les zones qui devraient l’être. Leur création peut être décidée, en cas d’absence de consensus, par trois quarts des membres présents et votants. Si une aire protégée régionale préexiste, la coopération est encouragée par l’Accord avec les institutions responsables de cette aire régionale. Le dispositif de création d’aires marines protégées répond à l’objectif déterminé par la COP biodiversité, protéger 30 % de l’océan pour 2030.

L’analyse politique : le Sud à la manœuvre, la résistance du multilatéralisme onusien

Un processus de négociation est aussi une manière de lire les rapports de force internationaux. Au sein des Nations unies, depuis le processus de décolonisation, la majorité des votes est au Sud : le G77 et la Chine ont un fort pouvoir d’influence et de négociation. Sur la question du partage des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques et des informations sur les séquences numériques associées, des concessions notables ont été concédées par les pays du Nord. Alors que la concrétisation de ces dispositions reste en suspens, elles ont d’emblée et déjà une réalité politique et diplomatique, qui s’est cristallisée par un compromis à l’arraché. Le symbole compte. L’ordre international se pluralise, et échappe pour partie à l’hégémonie étasunienne. La multipolarisation du monde consécutive à la fin de la guerre froide s’est ici lue à travers un poids décisif du G77. L’UE, la Chine et la Russie n’ont pesé qu’en creux, négativement, par volonté de différenciation d’avec les États-Unis, sans faire pour autant figures de nouvelles puissances hégémoniques d’un nouvel équilibre international. C’est ce que nous avons pu observer au sein de l’espace onusien. Le traité BBNJ intervient en effet dans un moment de recomposition de l’ordre international. Reste à observer si cette recomposition donnera ou non une impulsion nouvelle aux politiques internationales de l’environnement.

La Chine est quant à elle parvenue à mettre à distance les territoires disputés, référence aux conflits de délimitation des espaces maritimes en mer de Chine notamment, du champ d’application de l’Accord : « pour lever le doute, rien dans cet Accord ne doit servir de base pour affirmer ou nier des revendications de souveraineté, de droits souverains ou de juridiction sur terre ou sur des aires maritimes, y compris par rapport au dispositif de règlement des conflits prévu par le présent traité ». Ce point remis sur la table dans la dernière ligne droite des négociations a été l’un des plus délicats à introduire dans le texte, certaines délégations s’interrogeant sur les intentions chinoises motivant cet ajout.

Notons déjà que la conclusion d’un accord multilatéral est une excellente nouvelle pour les institutions onusiennes et les partisans du multilatéralisme. Dans un contexte international tendu par des conflits majeurs, l’adoption d’un tel accord au consensus relégitime l’ONU comme sphère de négociation, et réaffirme la possibilité d’une coopération multilatérale sur des sujets qui appellent la coordination internationale. Le multilatéralisme onusien, que d’aucuns critiquent pour son incapacité à arrêter les guerres, donne toutefois lieu à la création de nouveaux espaces de négociation, singulièrement sur les sujets environnementaux.

Le temps de la diplomatie onusienne peut être long, mais mérite d’être pris.

La suite : BBNJ, aller au-delà du symbole

Si l’accord politique est trouvé, sa traduction juridique est désormais nécessaire. Les étapes nécessaires à sa mise en œuvre effective ne peuvent être contournées : adoption formelle de l’Accord, signature puis ratification par un minimum de 60 États. L’espoir réside donc dans une entrée en vigueur rapide de l’Accord, et une acceptation quasi-universelle des obligations juridiques qu’il contient. La première Conférence des parties se réunira au plus tard  un an après l’entrée en vigueur de l’Accord. Il s’agira de la première conférence des Parties à un Accord de portée universelle sur la biodiversité marine.

L’établissement du secrétariat et le choix du pays hôte seront des étapes également essentielles. Le Chili s’est proposé d’accueillir le secrétariat permanent de cet instrument contraignant, mais il n’y a pas encore d’accord à ce sujet. Certaines délégations plus faiblement dotées auraient une préférence pour New-York, ville du siège des Nations unies, où elles disposent de missions diplomatiques permanentes. L’organe scientifique et technique devra également être créé, son rôle d’expertise étant décisif pour éclairer les décisions de la COP.

Le traité BBNJ suscite des espoirs considérables en termes de protection de la biodiversité marine. Les effets du changement climatique sur l’océan, comme l’augmentation de la température, la désoxygénation, l’acidification et la pollution, sont autant de sujets majeurs dont elle devra se saisir, veillant à ce que les processus d’exploitation et d’utilisation ne mettent pas en péril toute possibilité d’atténuation des dynamiques destructrices du vivant.

Rappelons en effet la leçon de Jean Baudrillard : lorsqu’un dispositif est créé pour protéger, c’est un effet de la rareté liée à la destruction en cours et aux dynamiques préexistantes. La protection est suscitée par la destruction, laquelle ne saurait continuer si tant est que l’humanité veut survivre aux problèmes écologiques.

La coopération internationale, indispensable et insuffisante

Il serait déraisonnable d’attendre de la coopération et de la coordination multilatérales la résolution de la crise écologique. Celle-ci interroge fondamentalement les modes de production, d’accumulation et de circulation des biens en ce qu’ils minent les conditions d’existence de l’humain et de nombreux non-humains. Les transformations d’ampleur qui sont nécessaires ne peuvent être intégralement assumées par les instances multilatérales. Certains choix peuvent relever du consensus, d’autres de dynamiques de transformation portées par des groupes sociaux ou des rassemblements d’États déterminés. De telles dynamiques peuvent prendre place à différents niveaux d’action, avant de produire des effets systémiques au niveau international.

Soulignons que cette dimension transversale et massive de la transformation en cours des milieux de vie a peu été l’objet des discussions de ces deux dernières semaines, avant tout juridiques ; disons plutôt qu’en ce qui concerne la pensée du problème, elles ont eu tendance à se dérouler toutes choses égales par ailleurs, sans nécessairement prendre la mesure structurelle des problèmes liés à l’anthropocène.

Le délégué de l’État palestinien a quant à lui appelé à « reconnaître le Sud global comme un partenaire », en appelant à « bouger rapidement » pour accomplir l’objectif des 30 % d’aires protégées pour 2030, appuyant son discours sur l’urgence des enjeux écologiques. L’Accord se fonde sur cet impératif incontournable de faire face à ces enjeux, notamment pour les pays qui en subissent déjà les conséquences de plein fouet. La nécessité d’un accord trouve en effet son origine dans les revendications répétées de ces États du Sud

La coopération internationale vient donc de connaître un succès quasi atone mais essentiel pour la biosphère, qui sera d’autant plus retentissant que l’Accord entrera en vigueur dans de bonnes conditions. Si le multilatéralisme onusien n’est pas suffisant pour opérer les transformations appelées par la dégradation rapide des milieux de vie, il est toutefois nécessaire comme instance de coopération. L’accord trouvé le 4 mars 2023 entre les membres de l’organisation onusienne montre qu’il fonctionne encore. Condition nécessaire mais non suffisante, le multilatéralisme environnemental a le mérite de mettre des sujets cruciaux à l’agenda – climat, biodiversité, océan désormais – sans pour autant parvenir à produire des transformations structurelles. Il est alors possible de penser que l’insatisfaction produite par l’action ou l’inaction multilatérale génère elle-même des organisations ou actions collectives déterminées à entraîner un changement plus rapide.

Les organisations attachées à affronter les problèmes écologiques, au Nord comme au Sud, n’auraient pas la même force sans ces cadres internationaux. Si l’action multilatérale semble parfois lente, elle a le mérite de poser l’existence d’un sujet politique crucial au temps du grand bouleversement écologique, l’humanité.


[1] La traduction en français n’étant pas encore disponible, les citations du traité sont issues de la version anglaise, traduite par les auteurs de l’article.

[2] Le G77 est un groupe de pays dits en voie de développement. Il est issu de la tentative de fondation d’un nouvel ordre économique international, notamment autour de la Conférence des Nations unies sur le commerce et développement (CNUCED) dans les années 1960. Il compte désormais 133 pays, ce qui en fait le groupe largement majoritaire des Nations unies. Souvent, dans les négociations, le G77 et la Chine définissent une position commune, identifiés alors comme G77 + Chine.

[3] Arnalf Becker-Lorca, Rián Derring, « Briefing Note on the Common Heritage of Humankind and areas beyond national jurisdiction », Note prepared in advance of the resumption of the fifth session of the Intergovernmental Conference on an international legally binding instrument under the United Nations Convention on the Law of the Sea on the conservation and sustainable use of marine biological diversity of areas beyond national jurisdiction, United Nations Headquarters, New-York, 20th February to 3rd March 2023, 2023. Distribué aux délégués et aux observateurs présents lors des négociations.

Denis Bailly

Économiste, Maître de conférences en économie de l'environnement et chercheur

Pierre-Yves Cadalen

Politiste, Chercheur postdoctorant en science politique

Bleuenn Guilloux

Juriste, Professeur junior en droit international de l'environnement et de la mer

Thomas Leclerc

Juriste, Maître de conférences en droit public

Joëlle Richard

écologue, Docteure en écologie marine, ingénieure de recherche en renforcement des capacités

Notes

[1] La traduction en français n’étant pas encore disponible, les citations du traité sont issues de la version anglaise, traduite par les auteurs de l’article.

[2] Le G77 est un groupe de pays dits en voie de développement. Il est issu de la tentative de fondation d’un nouvel ordre économique international, notamment autour de la Conférence des Nations unies sur le commerce et développement (CNUCED) dans les années 1960. Il compte désormais 133 pays, ce qui en fait le groupe largement majoritaire des Nations unies. Souvent, dans les négociations, le G77 et la Chine définissent une position commune, identifiés alors comme G77 + Chine.

[3] Arnalf Becker-Lorca, Rián Derring, « Briefing Note on the Common Heritage of Humankind and areas beyond national jurisdiction », Note prepared in advance of the resumption of the fifth session of the Intergovernmental Conference on an international legally binding instrument under the United Nations Convention on the Law of the Sea on the conservation and sustainable use of marine biological diversity of areas beyond national jurisdiction, United Nations Headquarters, New-York, 20th February to 3rd March 2023, 2023. Distribué aux délégués et aux observateurs présents lors des négociations.