Société

La laïcité dévoyée

Philosophe

Alors que vient d’être révélé le scandale du « Fonds Marianne », il est urgent de souligner que les associations qui ont bénéficié de ces considérables dotations publiques dévoient le principe de laïcité et combien ce dévoiement, qui passe par l’utilisation de la notion de « signes religieux par destination », n’est pas seulement liberticide : il tord le droit, confine au délire collectif, relance un débat dont les termes sont imposés par l’extrême droite, discrimine les musulmans.

L’actualité apporte désormais chaque jour des témoignages de la fuite en avant suicidaire que provoque la loi de 2004 interdisant le port d’insignes religieux dans le cadre scolaire. Elle illustre surtout un fait inquiétant, qui est la méconnaissance complète du sens de la laïcité dans la constellation des principes qui devraient animer notre république. Et cette ignorance – qui confine à l’aveuglement – est porteuse d’un risque très important.

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La loi qui interdit le port d’insignes religieux dans le cadre scolaire est en effet une loi contraire à la liberté de conscience, et son caractère liberticide est la cause de son inefficacité et de son caractère contre-productif. Contrairement à tous ceux qui pensent qu’il est légitime d’écorner la liberté pour procurer un surcroît de ce qu’ils appellent sécurité, il faut réaffirmer avec force ce que tout le monde devrait savoir : les entorses à la liberté sont un facteur majeur d’insécurité parce qu’elles alimentent les comportements qu’elles sont censées endiguer.

Aujourd’hui, on accuse ce que l’on appelle sans preuve des « réseaux islamistes » d’encourager les jeunes gens – filles et garçons – à arborer au collège et au lycée des tenues vestimentaires qui sont censées dénoter leur appartenance à une confession religieuse. Pourquoi cette incitation réussit-elle à mordre sur l’esprit des adolescents, sinon parce qu’elle est en adéquation avec le sentiment dont ils sont animés d’être face à un État qui prétend limiter une liberté fondamentale au moment même où il en proclame l’importance, et imposer un contrôle de leurs comportements au moment même où il célèbre une liberté qui n’existe pas dans des pays où précisément, le vêtement est contrôlé et imposé ? Comment s’étonner que la volonté de faire éclater la contradiction au grand jour se manifeste d’une manière de plus en plus claire ?

Le ministre de l’Éducation sait-il ce qu’il dit ?

Dans une interview au journal Le Monde l’automne dernier, le ministre de l’Éduca


[1] Le Monde, 13 octobre 2022.

[2] Cf. Haouès Seniguer, La République autoritaire. Islam de France et illusion républicaine (2015-2022), Le Bord de l’eau, Lormont, 2022 ; Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed, Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le problème musulman, La découverte, Paris 2013 (réédition 2022).

[3] Parmi les indices de cette suspicion qui aboutit à des décisions arbitraires et discriminatoires citons l’exemple d’un article de Charlie Hebdo dénonçant de manière mensongère – en contradiction avec tous les rapports des contrôles effectués par les représentants du ministère de l’éducation nationale qui n’avaient noté aucune atteinte à la laïcité – les errements islamistes au sein d’un école privée qui demandait à pouvoir acheter à la municipalité où elle est implantée un terrain qui lui aurait permis d’agrandir ses locaux. À la suite de l’article, le préfet a opposé son veto à la vente du terrain, au grand dam du maire de la commune, élu Les Républicains, qui ne voyait quant à lui aucun obstacle à cette extension et avait accepté de vendre le terrain à l’association gestionnaire de l’école. Cf. D. Perrotin, « Une école musulmane ciblée par les autorités après un article erroné de “Charlie Hebdo” », Mediapart, 11 octobre 2022.

[4] Aux États-Unis, la cour suprême a reconnu que même les appels à la violence étaient couverts par l’amendement constitutionnel qui protège la liberté d’expression. Dans son arrêt ( Brandenburg v. Ohio, 1969), la Cour, par la voix du juge Brennan, a même restreint et précisé ce qu’il convenait de considérer comme une atteinte à l’ordre public. Là où une décision précédente exigeait qu’un propos présente un danger « clair et imminent » ( clear and present danger) pour que son interdiction soit justifiée, l’arrêt Brandenburg dit que les propos appelant à la violence sont couverts par la liberté d’exception « sauf quand les appels en question ont pour objet d’inciter à ou de produire de manière immédiate une action i

Jean-Fabien Spitz

Philosophe, Professeur émérite à la Sorbonne

Notes

[1] Le Monde, 13 octobre 2022.

[2] Cf. Haouès Seniguer, La République autoritaire. Islam de France et illusion républicaine (2015-2022), Le Bord de l’eau, Lormont, 2022 ; Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed, Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le problème musulman, La découverte, Paris 2013 (réédition 2022).

[3] Parmi les indices de cette suspicion qui aboutit à des décisions arbitraires et discriminatoires citons l’exemple d’un article de Charlie Hebdo dénonçant de manière mensongère – en contradiction avec tous les rapports des contrôles effectués par les représentants du ministère de l’éducation nationale qui n’avaient noté aucune atteinte à la laïcité – les errements islamistes au sein d’un école privée qui demandait à pouvoir acheter à la municipalité où elle est implantée un terrain qui lui aurait permis d’agrandir ses locaux. À la suite de l’article, le préfet a opposé son veto à la vente du terrain, au grand dam du maire de la commune, élu Les Républicains, qui ne voyait quant à lui aucun obstacle à cette extension et avait accepté de vendre le terrain à l’association gestionnaire de l’école. Cf. D. Perrotin, « Une école musulmane ciblée par les autorités après un article erroné de “Charlie Hebdo” », Mediapart, 11 octobre 2022.

[4] Aux États-Unis, la cour suprême a reconnu que même les appels à la violence étaient couverts par l’amendement constitutionnel qui protège la liberté d’expression. Dans son arrêt ( Brandenburg v. Ohio, 1969), la Cour, par la voix du juge Brennan, a même restreint et précisé ce qu’il convenait de considérer comme une atteinte à l’ordre public. Là où une décision précédente exigeait qu’un propos présente un danger « clair et imminent » ( clear and present danger) pour que son interdiction soit justifiée, l’arrêt Brandenburg dit que les propos appelant à la violence sont couverts par la liberté d’exception « sauf quand les appels en question ont pour objet d’inciter à ou de produire de manière immédiate une action i