Burkina Faso : la situation « sécuritaire » saisie par les marges… et l’histoire
Depuis 2015 au moins, le Burkina Faso est confronté à une série de défis que, de mémoire d’homme, il n’avait jamais connu. Peu de temps après le soulèvement de la rue qui a emporté le régime du président Blaise Compaoré, au pouvoir pendant 27 ans, ce pays ouest-africain, lové à l’intérieur de la Boucle du Niger, a vu son intégrité territoriale ainsi que sa souveraineté entamées par des acteurs et des mouvements multiformes, dont les logiques, religieuses, sociales, politiques, économiques, etc., se chevauchent souvent.

Cette situation, qui conduit aujourd’hui le pouvoir central, à Ouagadougou, à n’exercer efficacement son contrôle que dans la capitale et ses alentours, s’est doublée d’un effet de sidération d’autant plus grand que le sentiment de fierté nationale, porté à la fois par le haut et par le bas, s’était construit autour d’un imaginaire moral dont rend bien compte la décision, en 1984, sous la Révolution de Thomas Sankara, de baptiser l’ancienne Haute-Volta du nom de « Burkina Faso » ou « Pays des Hommes intègres ».
Comme je l’ai montré ailleurs[1], cet imaginaire national était fondé sur une double intégrité : celle qui en aurait fait une communauté morale, dont l’une des vertus supposées, la modération, était censée expliquer le fait que le pays n’ait jamais sombré dans la guerre civile. Celle aussi de son territoire, le pays, de sa création lointaine en 1919 jusqu’en 2015, n’ayant jamais subi aucune attaque significative venue de l’extérieur. Cette fierté était d’autant plus forte que les pays voisins (pensons seulement au Mali, au Niger, à la Côte d’Ivoire…) ne pouvaient en dire autant.
L’intégrité morale et territoriale, fondement de l’appartenance nationale
En réalité, cet imaginaire national n’est pas le pur produit de la formation et de la construction de l’État-nation indépendant. Avant la conquête coloniale, réalisée pour l’essentiel entre 1895 et 1898, les Moosé (Moaaga au singulier), démographiquement majoritaires dans l’actuel Burkin