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Berlusconi, la dernière fois

Chercheur en études cinématographiques

À peine la nouvelle du décès de Silvio Berlusconi était-elle tombée, en fin de matinée le mardi 12 juin 2023, que la chasse à la dernière image de l’ex-Cavaliere était lancée. Démarche étonnante pour célébrer un défunt, mais qui témoigne d’un besoin sans doute incompressible : si la mort crée un vide, ce vide est différent dans le cas de Berlusconi. Pour un homme d’images qui a occupé la scène médiatique italienne pendant près de cinquante ans, le sevrage de sa personne, qu’on l’adule ou qu’on l’abhorre, est presque contemporain de l’instant de sa disparition.

Bien entendu, la dernière image n’est jamais unique dans ce cas précis ; à l’ère des médias sociaux et pour un personnage public de cette espèce, il y en a fatalement plusieurs. En témoignent les différents selfies pris le vendredi 9 juin à l’intérieur du Maximilian Bistrot, un bar-restaurant de Milano 2, le quartier construit par Berlusconi dans les années 1970, et où il avait ses habitudes quand il y était de passage.

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Dans l’un d’entre eux, avec son sourire mécanique et sa veste noire traditionnelle sur les épaules, on le voit poser près d’un adolescent qui reprendra le cliché sur son compte Instagram, en mentionnant ce que l’ancien président du Conseil lui aurait dit à ce moment-là : « n’oubliez pas que je suis toujours l’homme le plus puissant d’Europe »[1]. Celui qui voulait vivre jusqu’à 120, voire 150 ans – le chiffre varie en fonction des confidents –, n’avait rien perdu de son sens de l’excès malgré l’éreintement général provoqué par la maladie.

Cette recherche spontanée de la dernière image est le signe que le silence post-mortem allait rester éphémère. De fait, ce dernier n’a guère résisté au flux, ou plutôt au reflux d’images qui ont immédiatement inondé les écrans de télévision des Italiens à l’annonce de la mort de Berlusconi. C’était certes prévisible, d’autant que sa santé fragile avait conduit les rédactions à anticiper le moment où il ne serait plus là. Encore faut-il porter attention à la composition des reportages télévisés qui remontent en images la vie de celui que l’on surnommait aussi « sua emittenza » (littéralement, « son émetteur », en référence à son empire audiovisuel, jeu de mots avec « sua eminenza », son éminence). Que ces reportages proviennent des chaînes de Mediaset, le groupe médiatique appartenant à la famille de Berlusconi, ou de la RAI, la télévision d’État, une même sélection d’archives étaient proposées au public italien, révélant le versant en apparence respectable de ce que tout le monde sait déjà : les nombreuses


[1] Cette image est reprise lors du journal télévisé de La 7, présenté par Enrico Mentana, le 12 juin dernier. Une autre photo circule davantage comme étant elle aussi la dernière du vivant de Berlusconi, prise en compagnie du fils du patron du Maximilian Bistrot, un fan du Milan AC.

[2] Cf. Marco Belpoliti, Il Corpo del capo , Guanda, 2018.

[3] Ce moment de la retransmission en direct est visible ici.

[4]    Cf. Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe, Paris, Minuit, page 437. Nous avons déjà eu l’occasion de mobiliser cette problématique dans les colonnes d’AOC, à l’occasion de la recension du film de Paolo Sorrentino consacré à Berlusconi, Silvio et les autres (2018).

[5]    Jacques Rancière, « Les fous et les sages : réflexions sur la fin de la présidence Trump », repris dans Les trente inglorieuses. Scènes politiques, Paris, La Fabrique, 2021, page 119.

[6]    Michel Foucault Les Anormaux. Cours au collège de France 1974-1975, Paris, Hautes Etudes / Gallimard / Seuil, 1999, page 86 (cours du 29 janvier 1975).

Dork Zabunyan

Chercheur en études cinématographiques, Professeur à l'Université Paris 8

Notes

[1] Cette image est reprise lors du journal télévisé de La 7, présenté par Enrico Mentana, le 12 juin dernier. Une autre photo circule davantage comme étant elle aussi la dernière du vivant de Berlusconi, prise en compagnie du fils du patron du Maximilian Bistrot, un fan du Milan AC.

[2] Cf. Marco Belpoliti, Il Corpo del capo , Guanda, 2018.

[3] Ce moment de la retransmission en direct est visible ici.

[4]    Cf. Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe, Paris, Minuit, page 437. Nous avons déjà eu l’occasion de mobiliser cette problématique dans les colonnes d’AOC, à l’occasion de la recension du film de Paolo Sorrentino consacré à Berlusconi, Silvio et les autres (2018).

[5]    Jacques Rancière, « Les fous et les sages : réflexions sur la fin de la présidence Trump », repris dans Les trente inglorieuses. Scènes politiques, Paris, La Fabrique, 2021, page 119.

[6]    Michel Foucault Les Anormaux. Cours au collège de France 1974-1975, Paris, Hautes Etudes / Gallimard / Seuil, 1999, page 86 (cours du 29 janvier 1975).