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Quelle est la qualité des emplois verts en France ?

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Les premiers emplois verts apparaissent en moyenne moins stables et moins bien rémunérés mais disposant d’une organisation du temps de travail relativement plus favorable que les autres emplois. Cela veut-il dire que la transition écologique va dégrader la qualité des emplois ?

Répondre au défi environnemental implique des restructurations de l’économie qui ne laisseront pas inchangé le marché du travail, en premier lieu car celui-ci doit accompagner la nécessaire écologisation de l’appareil productif. Ainsi, la question du lien entre emploi et transition écologique amène souvent à des estimations du volume d’emploi qui sera créé ou détruit selon différents scénarii.

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Bien qu’utiles, ces exercices laissent de côté un autre aspect qui n’en est pas moins décisif : celui des caractéristiques de ces emplois. Cette dimension revêt pourtant une importance toute particulière, que ce soit dans une perspective purement « adéquationniste » qui insiste sur la nécessité d’avoir à disposition une main-d’œuvre ayant les bonnes compétences et qualifications pour occuper les emplois qui assureront le verdissement de la production ; ou dans une perspective plus « stratégique » qui, à l’image du récent rapport Pisani-Ferry/Mahfouz, voit dans l’attractivité de ces métiers un facilitateur (politique) à la transition écologique. En outre, pour que la transition écologique soit également sociale, la question de la qualité de l’emploi doit être appréhendée pour elle-même.

Particulièrement rediscutée depuis la crise Covid et, plus récemment encore, mobilisée pour éclairer les difficultés de recrutement de certains secteurs, la question de la qualité de l’emploi doit donc être pensée en relation étroite avec la transition écologique.

Or, malgré l’existence d’un Observatoire national des emplois et métiers de l’économie verte (Onemev), on en sait finalement assez peu sur les caractéristiques des « emplois verts » en France. On dispose pourtant de plusieurs méthodes pour les identifier, mais les travaux existants n’exploitent que trop peu la richesse des données françaises. Le profil socio-démographique et le niveau de qualification des individus occupant ces emplois est plutôt bien cerné, mais les informations plus directement liées à la qualité de ces emplois sont peu nombreuses. Grâce aux données de l’Enquête Emploi 2021 de l’Insee et à la dernière définition de l’emploi vert mise à disposition par l’Onemev, nous avons pu récolter des informations inédites à ce sujet.

Le point de départ est d’établir le périmètre de ces emplois verts. Pour ce faire, nous nous basons sur la liste de l’Onemev répertoriant 143 professions qui, « par leur finalité et/ou les compétences mises en œuvre, contribuent à mesurer, prévenir, maîtriser, corriger les impacts négatifs et les dommages sur l’environnement ». En pratique, sont identifiés des métiers aussi divers que les agents d’entretien des espaces verts ou du tri des déchets, les chargés de mission RSE, les ingénieurs forestier ou géotechnique, les météorologistes ou hydrogéologues, etc.

Issue d’une analyse textuelle automatisée des titres de professions collectés dans des enquêtes sur l’insertion professionnelle, cette identification assez précise constitue une amélioration en ce qu’elle vient affiner l’ancienne définition de l’Onemev qui est encore celle utilisée dans tous les rapports institutionnels sur les emplois verts. En effet, l’Onemev utilisait précédemment une définition des emplois verts plus large, fondée sur la classification des catégories socio-professionnelles de l’Insee de 2003, mais qui avait le défaut d’agréger des métiers très variés dont on pouvait douter, pour une grande partie d’entre eux, du caractère vert. Le choix d’une définition plus circonscrite permet de mieux cerner les emplois verts mais réduit considérablement leur nombre, comme le montrent nos analyses empiriques sur la base de l’Enquête Emploi, présentées ci-après[1].

Une fois ces emplois identifiés, il s’agit de les caractériser : quelle part de l’emploi français représentent-ils ? Qui les occupe ? Et, surtout, quelle est leur qualité ? Plus précisément, on cherche à savoir quelles sont leurs spécificités en termes de sécurité socio-économique (salaires, type de contrat de travail), de conditions de travail (intensité, risques physiques et psychosociaux), de temps de travail et d’équilibre vie professionnelle/vie personnelle (horaires atypiques ou non), et enfin de possibilités de formation et de dialogue social[2]. L’Enquête Emploi se prête à cette analyse car, en plus d’être utilisée pour calculer le taux de chômage, elle renseigne aussi sur plusieurs de ces dimensions.

Sans prétendre préfigurer les évolutions futures (qui sont, de toute évidence, très dépendantes des choix politiques), poser ce diagnostic informe sur l’état actuel de la situation et éclaire sur les potentielles tendances à l’œuvre. En ce sens, s’il apparaissait que la majorité des emplois verts se situait dans le bas de la distribution en termes de qualité de l’emploi, on pourrait alors légitimement douter que, sans politique publique forte, la transition écologique puisse être sociale.

Des emplois moins bons que la moyenne ?

Avant d’analyser leur qualité, il faut préciser que le nombre d’emplois verts demeure pour l’instant faible en France : si l’on retient la dernière définition de l’Onemev, ils représentent seulement 1.5 % de l’emploi en 2021.

Ils sont en immense majorité occupés par des hommes (83.5 %), et par des individus âgés entre 25 et 49 ans (67.5 %) – une tranche d’âge surreprésentée de 8 points par rapport à la moyenne. À l’image du reste des emplois, on les retrouve en premier lieu dans le secteur de l’administration publique (33 %) ; et plus particulièrement au sein des collectivités territoriales, qui emploient 28 % des salariés d’emplois verts (contre 7.5 % pour l’ensemble des emplois). Leur surreprésentation la plus importante est dans les activités spécialisées, scientifiques et techniques et les activités de services administratifs et de soutien (29.5 %), et ils sont aussi plus nombreux que la moyenne dans l’industrie manufacturière et extractive (18 %). A l’inverse, ils sont particulièrement absents du secteur du commerce, des transports, de l’hébergement et de la restauration (4.5 %).

Ce sont en majorité des emplois d’ouvriers qualifiés (48.5 %), le reste étant surtout séparé entre cadres (18.5 %) et professions intermédiaires (18 %). On n’y compte presque pas d’employés (1 %) ; tandis que la part d’artisans, commerçants et chefs d’entreprise est proche de la moyenne du reste de l’économie (7 %). Cette répartition en termes de catégories socioprofessionnelles se reflète dans les niveaux de diplômes : presque la moitié de ces travailleurs et travailleuses dispose d’un niveau inférieur au Bac (49 % contre 33 % en moyenne). Toutefois, on compte aussi un nombre important de diplômés du supérieur long (28 %) : ce sont surtout les diplômés de niveau Bac ou du supérieur court qui sont peu nombreux.

Mais alors quid de la qualité de ces emplois verts ? En termes de sécurité socio-économique, il apparaît d’abord que leurs salaires sont en moyenne moins élevés : 1829 € mensuels contre 2000 € pour l’ensemble des emplois. Ce constat vaut également pour les revenus des indépendants, qui atteignent une moyenne de 2127 € pour les emplois verts, contre 2791 € en général. Dans le même temps, ces emplois sont moins souvent des postes en CDI ou de fonctionnaire (69 % contre 73 % en moyenne), et sont donc davantage à durée déterminée (en particulier en CDD). Ils sont cependant plus nombreux à temps plein (86.5 % contre 82 % en moyenne) ; mais parmi ceux à temps partiel, on observe qu’ils le sont davantage par défaut (48 % contre 30 %), au sens où ils n’ont pas trouvé d’emploi à temps complet[3].

Malgré des temps partiels moins fréquents, les emplois verts ont en moyenne une durée de travail effectif hebdomadaire plus basse que le reste des emplois (35h43 contre 37h01). Ce temps de travail est également moins atypique : il y a très peu de travail régulier le week-end (11.5 %) et de soir ou de nuit (1.5 %) parmi ces emplois. Il est aussi plus stable et libre : la part de ces emplois à avoir des horaires à peu près similaires d’une semaine sur l’autre est bien plus importante que la moyenne (82 % contre 72 %) ; et les travailleurs et travailleuses les occupant sont aussi plus nombreux à dire avoir entièrement (ou dans une certaine mesure) la possibilité de choisir leurs horaires.

Du point de vue de la carrière, il apparaît que les individus occupant des emplois verts suivent légèrement moins de formations[4] que la moyenne (27 % contre un peu plus de 30 %). Ils ne sont pas plus nombreux à vouloir changer d’emploi, mais ceux qui le veulent sont plus nombreux à le justifier par le fait de vouloir un emploi plus intéressant ou plus stable. Inversement, le fait de vouloir de meilleures conditions de travail est moins invoqué.

La question du dialogue social et de la représentation collective n’est pas couverte par l’Enquête Emploi ; de même que ce qui pourrait être regroupé sous la dimension « conditions de travail » – si ce n’est l’utilisation du télétravail qui s’avère moins répandue parmi les emplois verts (18.5 % contre 23 %).

Trois groupes d’emplois verts aux qualités variées

Les emplois verts apparaissent donc en moyenne moins stables et moins bien rémunérés mais disposant d’une organisation du temps de travail relativement plus favorable que les autres emplois. Ces constats « en moyenne » cachent cependant une forte hétérogénéité. Il est donc utile de mener une analyse typologique permettant de distinguer des groupes d’emplois verts présentant des caractéristiques similaires en termes de qualité de l’emploi. En mobilisant des techniques statistiques d’analyse de données[5], nous identifions ainsi trois groupes d’emplois verts de qualités différentes.

Le premier groupe pourrait être qualifié de « fraction stable du salariat vert ». Représentant près de 60 % de l’échantillon des emplois verts, il est surtout composé d’ouvriers qualifiés hommes travaillant à temps complet et à durée indéterminée, avec un salaire se situant pour la majorité entre 1500 et 2000 € (et, pour 38 % d’entre eux, entre 1000 et 1500 €). Ces emplois sont principalement caractérisés par des horaires de travail contraints mais stables et par leur absence de télétravail. On y retrouve des paysagistes, jardiniers municipaux, désamianteurs et chauffeurs de bennes à ordures. Les travailleurs et travailleuses de collectivités territoriales composent 37 % de ce groupe et y sont particulièrement surreprésentés.

Représentant près de 25 % des emplois verts, le second groupe pourrait quant à lui être appelé le groupe des « cadres verts ». En effet, les cadres et professions intellectuelles supérieures composent près de 70 % de ce groupe, qui est dans le même temps caractérisé par des revenus élevés : plus de 90 % ont un salaire mensuel supérieur à 2000 €, et 35 % vont même au-delà de 3000 €. 92 % occupent un poste en CDI ou de fonctionnaire, avec pour la quasi-totalité des horaires adaptables voire libres (93 %), en temps complet (97 %), avec beaucoup plus de télétravail qu’ailleurs.

Les formations sont plus fréquentes que la moyenne, et on y retrouve beaucoup de postes d’ingénieurs (de prévention des risques industriels, de protection de l’environnement, de recherche et développement en énergie, etc.). Les agents de l’Etat sont aussi surreprésentés dans ce groupe, suggérant que les emplois verts proposés par l’Etat sont des emplois plutôt qualifiés. Enfin, alors qu’elles sont peu présentes dans les emplois verts en général (16.5 %), les femmes le sont davantage dans ce groupe puisqu’elles occupent près d’un tiers de ces emplois de « cadres verts ».

Le dernier groupe, représentant un peu plus de 15 % des emplois verts, peut être considéré comme celui du « salariat vert précaire ». Ces emplois sont caractérisés (pour 82 % d’entre eux) par des revenus inférieurs à 1000 €, du temps partiel (notamment contraint, pour près de la moitié du groupe) et donc du sous-emploi. Près de 80 % de ces emplois sont des contrats courts (CDD, intérim, alternance, stage, etc.). Les horaires instables y sont également surreprésentés, touchant près d’un tiers du groupe.

On y retrouve toutefois, comme dans le premier groupe du « salariat vert stable », une grande partie d’ouvriers qualifiés (avec des jardiniers, des agents d’entretien des espaces verts ou du tri des déchets), mais ceux des collectivités territoriales sont ici sous-représentés. A l’inverse, les emplois dont l’employeur est un particulier sont surreprésentés dans ce groupe. Enfin, les possibilités de progression de carrière sont probablement limitées dans ce groupe dans la mesure où la formation en emploi est très rare alors même que près de la moitié de ses membres n’a aucun diplôme.

Se saisir de la question pour assurer une transition écologique qui soit sociale

Les emplois verts français, en particulier du point de vue de leur sécurité socio-économique et en dépit d’horaires plutôt stables et favorables, semblent « moins bons » que la moyenne. Cela veut-il dire que la transition écologique va dégrader la qualité des emplois ? Non, car ce constat agrégé fondé sur une définition restreinte de l’emploi vert en 2021 ne préfigure pas les évolutions futures de l’ensemble du marché du travail, et notamment des actions politiques qui pourront être mises en œuvre pour les orienter.

En outre, notre analyse montre la diversité des emplois verts en termes de qualité de l’emploi. Si certains apparaissent qualifiés, bien rémunérés et/ou relativement stables, une proportion non-négligeable des emplois verts français sont « de mauvaise qualité » (15.5 % en 2021 selon notre typologie). Ce constat vient confirmer à plus grande échelle les nombreuses études de terrain portant sur certains secteurs et métiers clés de la transition écologique qui alertent déjà sur des conditions d’emploi et de travail difficiles. Le caractère vert des emplois ne les prémunit donc pas du risque de précarité.

Si l’Etat semble proposer des emplois verts de relativement meilleure qualité, notamment pour les cadres et pour des travailleurs et travailleuses moins diplômés dans la fonction publique territoriale, son rôle est aussi de garantir la qualité des emplois verts qui sont amenés à se développer dans le secteur privé. C’est le cas pour les particuliers-employeurs ainsi que pour le secteur de l’économie sociale et solidaire qui concentre un certain nombre d’activités vertes et au sein duquel la qualité de l’emploi est souvent plus faible.

Faciliter la transition écologique et plus fondamentalement faire en sorte qu’elle soit sociale implique de se saisir sérieusement de cette question. C’est à cette condition que pourra être atteint l’objectif d’« emplois verts décents » promu par l’Organisation Internationale du Travail.


[1] De nombreux travaux existent sur la définition du périmètre des emplois verts, qui dépasse la question traitée ici. Voir notamment l’approche développée aux Etats-Unis par le Bureau of Labor Statistics sur la base de la classification O*NET, qui n’a pas encore fait l’objet d’une adaptation sur données françaises.

[2] Présentation rapide de la qualité de l’emploi et de son état en France.

[3] Ces tendances sont confirmées par des régressions contrôlées, qui vérifient que ces constats se vérifient aussi à caractéristiques égales. Dit autrement, à sexe, niveau de diplôme, catégorie socio-professionnelle, ancienneté et secteur d’activité équivalents, on estime que les emplois verts sont en moyenne moins bien rémunérés que les autres emplois et qu’ils sont plus souvent associés à des contrats à durée déterminée. La probabilité accrue d’être en temps partiel s’avère cependant peu significative une fois ces contrôles effectués.

[4] On retient ici le fait d’avoir suivi une formation en situation de travail ou une formation non formelle à but professionnel au cours des 12 derniers mois.

[5] Nous menons une analyse des correspondances multiples (ACM) suivie d’une classification ascendante hiérarchique (CAH).

Mathilde Guergoat-Larivière

économiste, professeure en sciences économiques, Université de Lille, Clersé et Cnam-CEET

Mathis Bachelot

économiste, doctorant en sciences économiques, Université de Lille, Clersé et Cnam-CEET

Notes

[1] De nombreux travaux existent sur la définition du périmètre des emplois verts, qui dépasse la question traitée ici. Voir notamment l’approche développée aux Etats-Unis par le Bureau of Labor Statistics sur la base de la classification O*NET, qui n’a pas encore fait l’objet d’une adaptation sur données françaises.

[2] Présentation rapide de la qualité de l’emploi et de son état en France.

[3] Ces tendances sont confirmées par des régressions contrôlées, qui vérifient que ces constats se vérifient aussi à caractéristiques égales. Dit autrement, à sexe, niveau de diplôme, catégorie socio-professionnelle, ancienneté et secteur d’activité équivalents, on estime que les emplois verts sont en moyenne moins bien rémunérés que les autres emplois et qu’ils sont plus souvent associés à des contrats à durée déterminée. La probabilité accrue d’être en temps partiel s’avère cependant peu significative une fois ces contrôles effectués.

[4] On retient ici le fait d’avoir suivi une formation en situation de travail ou une formation non formelle à but professionnel au cours des 12 derniers mois.

[5] Nous menons une analyse des correspondances multiples (ACM) suivie d’une classification ascendante hiérarchique (CAH).