Privations, prédations et politiques du ressentiment : retour de Lattaquié (Syrie)
Après avoir débuté dans la ville de Swayda, dans le Sud du pays, les manifestations et les grèves se propagent dans d’autres villes syriennes, à l’image de la banlieue Damas ou Deraa, au cours de l’été 2023. Ce mouvement du « 10 août » (‘ashra ’ āb) prend racine dans des questions sociales et économiques – les difficultés d’accès à l’eau ou l’électricité, l’inflation et les pénuries – pour devenir politique. Comment, dans une Syrie privée de tout, après des années de répression, de guerre, de sanctions internationales, quelques mois seulement après des tremblements de terre meurtriers, un régime prédateur peut-il rester au pouvoir ? Face au journaliste de Sky New Arabia, le 9 août 2023, Bachar al-Assad est catégorique : « si nous devions revenir en arrière, reprendrions-nous les mêmes décisions ? Oui ». Le président affiche la même confiance au cours de ses déplacements internationaux, lorsqu’il réintègre la Ligue arabe en mai 2023 après douze ans d’absence, lorsqu’il est reçu en Chine en septembre 2023.

Le 21 juillet dernier, je retournais en Syrie pour la première fois depuis 4 ans, pour séjourner deux semaines à Lattaquié dont ma famille et moi sommes originaires. Jamais, depuis le début de la guerre en 2011, je n’avais senti une telle colère parmi les habitants de la ville. Cette ville et sa région sont considérées comme l’un des ultimes bastions du régime, notamment du fait des minorités alaouites et chrétiennes qui y résident en large proportion. C’est dans cette région que se trouve le village de Qerdaha dont sont originaires les Assad, eux-mêmes alaouites, ainsi que l’importante base aérienne russe de Hmeymin. Je livre ici un reportage subjectif et non exhaustif, autour de trois étonnements liés à la situation économique, sociale et politique de cette région. Le premier est un choc, face aux nouveaux seuils franchis dans la pauvreté, dans cette zone violemment touchée par les tremblements de terre de février 2023. Le deuxième réside dans la persis