International

En Argentine, un pouvoir d’extrême droite

Historien

Javier Milei fait l’objet en France d’un intérêt tantôt amusé tantôt réprobateur, toujours paternaliste. La radicalité des mesures de son gouvernement n’est analysée que comme une forme excentrique d’ultra-libéralisme. Or ses attaques contre la presse, les droits humains, l’IVG, la recherche et la culture ne laissent aucun doute sur la nature du régime qui s’installe. En fait d’« anarcho-capitalisme », il s’agit bel et bien de mettre en place un État autoritaire garantissant le pillage néo-libéral voulu par ses soutiens.

Quarante ans après la fin de la dernière dictature civico-militaire, les Argentins ont élu un candidat d’extrême droite, Javier Milei. En France, l’attention – parfois amusée, souvent paternaliste – s’est surtout portée sur les outrances médiatiques du candidat à la tronçonneuse, sur sa coupe de cheveux et ses phrases à l’emporte-pièce. Le président Macron a même posé, tout sourire, brandissant un maillot de l’équipe de foot de Boca Juniors reprenant le slogan de Milei, « Vive la liberté bordel ! » (¡Viva la libertad, carajo!). Les plus libéraux n’hésitent pas à saluer l’audace supposée d’un programme appuyé par le FMI, la BID et Elon Musk. Le ministre des Affaires Etrangères, Stéphane Séjourné, s’est précipité à Buenos Aires pour être le premier ministre européen à rencontrer le nouveau président et son équipe.

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Un projet clairement autoritaire

Plusieurs éléments ne laissent cependant aucun doute sur la nature du régime qui s’installe : l’entourage du président, où pullulent les partisans de la dernière dictature, sa pratique du pouvoir, ouvertement autoritaire, et la mise en place de mécanismes visant à criminaliser et à écraser toute opposition. Féministes, syndicats et mouvements sociaux sont clairement dans le viseur d’un pouvoir qui entend déréguler tous les secteurs de l’économie, démanteler tous les services publics, de l’enseignement à la santé en passant par l’éducation, privatiser tout ce qui peut encore l’être et faire taire toute voix critique.

Se focaliser, comme le font majoritairement la presse française et certains politologues avides de pseudo-nouveauté, sur « l’ultra-libéralisme » de Milei relève d’une myopie dangereuse. On rappellera tout d’abord qu’il n’y a aucune incompatibilité entre l’extrême-droite et l’ultralibéralisme – ou le néolibéralisme, dont il n’est qu’une variante. La dictature du général Augusto Pinochet au Chili (1973-1990) a été le laboratoire privilégié des Chicago Boys tout en étant un régime particulièrement sanglant.


[1] Cette relation improbable entre deux des cibles privilégiées de l’extrême droite globale – le « mythe » du changement climatique et l’avortement légal – a été développée par Javier Milei au forum de Davos, le 16 janvier 2024. Pour une analyse de discours en version intégrale, on lira : Pablo Stefanoni, « Milei à Davos, le discours intégral », Le Grand Continent, 18 janvier 2024.

[2] Elle regroupe des fils et filles de disparu.es, de personnes assassinées ou exilées pendant la dictature de 1976-1983.

[3] Le Conicet est le premier organisme de recherche publique d’Amérique latine, selon le classement de l’agence d’évaluation SCImago, et occupe la vingtième place au niveau mondial, devant la NASA, par exemple.

[4] Il a été rétrogradé au rang de secrétariat d’État, comme le ministère de l’Éducation ou celui de la Santé et placé sous la tutelle du ministère du Capital Humain.

Christophe Giudicelli

Historien, Professeur à Sorbonne Université t directeur d’études associé à l’Institut des Hautes Études de l’Amérique Latine

Notes

[1] Cette relation improbable entre deux des cibles privilégiées de l’extrême droite globale – le « mythe » du changement climatique et l’avortement légal – a été développée par Javier Milei au forum de Davos, le 16 janvier 2024. Pour une analyse de discours en version intégrale, on lira : Pablo Stefanoni, « Milei à Davos, le discours intégral », Le Grand Continent, 18 janvier 2024.

[2] Elle regroupe des fils et filles de disparu.es, de personnes assassinées ou exilées pendant la dictature de 1976-1983.

[3] Le Conicet est le premier organisme de recherche publique d’Amérique latine, selon le classement de l’agence d’évaluation SCImago, et occupe la vingtième place au niveau mondial, devant la NASA, par exemple.

[4] Il a été rétrogradé au rang de secrétariat d’État, comme le ministère de l’Éducation ou celui de la Santé et placé sous la tutelle du ministère du Capital Humain.