« Discorde » ou l’art du chaos
Comment navigue-t-on dans un monde redevenu manichéen après que le mythe de la fin de l’histoire cher à Francis Fukuyama s’est dégonflé ? Un monde où tous les mouvements, qu’ils soient de gauche ou de droite, féministes ou sexistes, républicains ou religieux, sont en train de se radicaliser et de prétendre dur comme fer qu’ils détiennent la vérité ? Quelle est à présent la différence entre le bien et le mal, et quelles sont les forces qui parviennent à écrire ou réécrire l’histoire de cette différence ? Le Palais de Tokyo vient d’ouvrir ses portes à une série d’expositions spectaculaires sur les plus grands combats et confusions idéologiques contemporains.
L’une des plus impressionnantes est L’Ennemi de mon ennemi, conçue par le Wunderkind du monde de l’art français Neïl Beloufa, et son Virgile, le commissaire d’exposition Guillaume Désanges, connu pour ses nombreuses expositions à la fois narratives et conceptuelles. La première salle baigne dans la pénombre de quelques vidéoprojecteurs accrochés à une lanterne magique moderne qui diffracte, avec ses nombreux jeux de verres et de lumières, des films sur la société de la transparence et de l’hyperconnectivité. C’est une magnifique mise en abyme du Grand Verre duchampien, sauf qu’ici, ce n’est pas la mariée, mais le vide du monde qui est mis à nu par ses célibataires. Dans un film, un homme fait l’éloge d’une cité idéale, où l’on peut faire du canoë le matin, aller à la plage l’après-midi et skier le soir. Si Marx désirait une société où l’on pouvait chasser le matin, pêcher l’après-midi, s’occuper d’élevage le soir et philosopher après le repas, afin d’abolir l’aliénation d’un travail répétitif, l’homme contemporain ne semble désirer qu’une chose : l’aliénation elle-même. Le désir d’aliénation se retrouve également dans les capsules rétrofuturistes de Beloufa dispersées dans l’espace comme des lieux de couchages pour des explorateurs ou des SDF modernes, annonçant un monde où la différence entre les nomad