Art

Picasso et Picabia – Histoire de couple

Critique

Picasso et Picabia : la renommée des deux peintres n’est aujourd’hui pas équivalente. Pourtant, le musée Granet d’Aix-en-Provence choisit d’exposer ces deux « Pica » sur un pied d’égalité : le face-à-face n’en est que plus saisissant pour qui se risque à désacraliser la figure de Picasso.

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L’esprit cartésien aime le binaire et l’esprit français les histoires de couple. Jusque dans l’histoire des arts et de la littérature. À usage de salles de classe (programme du ministère) ou de dîners plus ou moins mondains (conversation ennuyée) : Voltaire et Rousseau, Racine et Corneille, Van Gogh et Gauguin. Version pop culture : les Beatles et les Stones. Version chanson française : Brassens et Ferré. Folk : Bob Dylan et Leonard Cohen. Il y a aussi les couples à la ville comme à la scène : Rimbaud et Verlaine, Sartre et Beauvoir, Frida Kahlo et Diego Rivera, Robert et Sonia Delaunay, Robert et Clara Schumann.  Les couples blockbustérisés des grands musées : Matisse et Picasso, Bacon et Freud, Rembrandt et Caravage, Rubens et Delacroix. Les couples d’artistes, aussi, auxquels le Centre Pompidou-Metz consacre son exposition actuelle Couples modernes : une quarantaine dont Picasso et Dora Maar, Max Ernst et Leonora Carrington, Gustav et Alma Mahler parmi les plus célèbres.

Et puis les couples dont le couplage dépasse la contingence ou le sensationnel pour constituer un dispositif critique face à un cheminement artistique. Celui, par exemple, tracé par l’esthétique moderne, ce que révèle l’exposition Picasso Picabia, la peinture au défi au Musée Granet d’Aix-en-Provence, sous la responsabilité des deux commissaires, Aurélie Verdier et Bruno Ely. Révélation. Fulgurance. Pour deux raisons : le rapprochement prouve sa pertinence heuristique ; et puis Picabia est un grand artiste et il tient la comparaison. Si leur commune ascendance méditerranéenne n’est qu’un prétexte circonstanciel,  le rapprochement des œuvres, fait avec une extrême et élégante intelligence, apporte surprise après surprise. Et cette incessante question : pourquoi l’un et pas l’autre au Panthéon populaire ? La réponse est banale : un génie, ça se fabrique. Une société en a besoin à telle ou telle époque et en élit un, pour diverses raisons, parmi les prétendants. Ce qui n’enlève rien évide


Alexis Nouss

Critique, Professeur en littérature générale et comparée