Littérature

Révolte contre l’héroïsme – à propos de La fille de Vercingétorix de Jean-Yves Ferri et Didier Conrad

Économiste

Que la fille de Vercingétorix puisse être une Greta Thunberg, n’est-ce pas la preuve du flair de Jean-Yves Ferri et Didier Conrad, qui ont su s’inspirer de l’air du temps et livrer une œuvre qui, si elle est par ailleurs d’un inaltérable classicisme, n’en reste pas moins judicieusement actuelle ? Ainsi du refus de jeunes adolescents de l’héroïsme au nom d’un passé mythifié qui ne leur parle plus, et auquel ils préfèrent une lutte tournée vers l’avenir, pour les fleurs et les enfants…

Je lis avec étonnement les critiques accueillant le nouvel Astérix. Pour ma part, je l’ai trouvé excellent, et même… dérangeant. Certes, Le Monde a bien repéré les allusions peut-être involontaires à l’actualité : une fille avec « deux papas » (plus le géniteur biologique, Vercingétorix) et parfaitement équilibrée. Adrénaline est même une anticipation étonnante de Greta, alors que, nous révèle le journal, l’album fut mis en chantier avant que notre petite héroïne planétaire ne surgisse dans l’actualité… Ce qui prouve que les auteurs, Jean-Yves Ferri au scénario, Didier Conrad au dessin, ont l’oreille plus sensible à l’air du temps que la plupart des journalistes.

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Certes, Le Monde note avec raison (pour le regretter) son classicisme intégral, son respect de la contrainte éditoriale de ne révolutionner ni le style ni le cahier de charge : ce n’est pas une « réinterprétation ». Et de fait, l’inscription de Conrad dans le style de Uderzo (le créateur et dessinateur de « première génération ») a quelque chose de stupéfiant. Quant au critique de Libération, il n’y voit qu’une resucée de gags déjà connus, avec les quelques références traditionnelles à l’actualité : un léger tournant écolo voire végan (« Il ne va plus rester de sangliers » …)

Je crains que la lecture de nos critiques n’ait été un peu rapide. Sous une cascade de traits d’humour et de jeux de mots à laquelle on n’était plus vraiment habitués, l’album va nettement plus loin.

Première originalité : l’ensemble de la fable, son « sujet », est interne à la société du village. Les immigrés de seconde génération qu’étaient Goscinny et Alberto Aleandro Uderzo donnaient certes une image affectueuse, gentiment critique et bienvenue de leur pays d’adoption, de ses travers et de son roman national. Mais cette fois, ce n’est pas « le petit village gaulois » bien de chez nous qui en remontre aux Romains, aux Goths, aux Normands, aux Helvètes, etc. La fable prend d’emblée une dimension universelle : même les pira


Alain Lipietz

Économiste, Ancien député européen (Vert)

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