Littérature

Une biographie sorcière – à propos de Giono, furioso d’Emmanuelle Lambert

Critique

C’est dans un rapport dénué de toute complaisance, d’un ton affectueux, et presque de douceur, qu’Emmanuelle Lambert fait surgir l’intime rencontre, qui se moque de la mort, entre elle et Jean Giono. Le projet biographique est un défi de faire tenir la vie d’autrui en un nombre de pages fini, de se l’approprier – et l’auteure s’en empare – faisant surgir l’image et la chair d’un Giono vivant au détour d’une armature biographique et scientifique efficace et limpide.

Je l’avoue : pour moi, Giono a toujours été le nom d’une littérature enfantine et contrainte – bucolique, gentillette, très honorable et franchement ennuyeuse. Ce cliché, Emmanuelle Lambert en fait le point de départ de son enquête : Giono ? Un monument, une statue, un talent « énorme, égoïste, impossible ». Et des cigales, des paysans, des paysages tremblants de chaleur… Des histoires simples, souvent terribles, non loin de celles de Pagnol ou de Daudet. Un mort, quoi… ! Cantonné à son attachement à sa région, coincé entre deux pages du Lagarde & Michard puis de leurs avatars modernes. L’un des jalons essentiels de la belle histoire de la littérature française ; la rançon de la gloire, en somme.

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Car c’est bien là la contrepartie de l’unanimité et du succès : « Agitez trop la postérité, elle vous explose à la figure : caricature, dogmatisme, lieu commun sont les menaces qu’elle traîne à sa suite. La notoriété fige, et la fixité, c’est la mort. »

Par quelle opération savante, ou peut-être magique, Emmanuelle Lambert fait-elle éclater cette gangue glorieuse, comment arrive-t-elle à faire surgir l’image et la chair d’un Giono vivant, palpitant de sève et fascinant plus que jamais le lecteur d’aujourd’hui ? Bien sûr, d’abord en « balisant les chemins de l’œuvre », en « créant des périodes », en « tendant des fils ». Cette armature biographique et scientifique est bien là, rassurant la lecture, tenant ferme la boussole qui permette de naviguer sans crainte dans l’œuvre si ample de Giono. La mesure est subtile entre l’évocation de la vie et celle de l’œuvre de l’écrivain ; progressant à la fois thématiquement et chronologiquement, le livre réussit à être limpide et érudit, documenté et personnel – efficace et anti-didactique, surtout.

La réussite de ce livre tient d’abord à son éthique. Le projet biographique implique, par nature, de maîtriser la vie d’autrui, de la faire tenir en un nombre de pages fini ; de la rationaliser, de se l’approprier. De cette positi


[1] Elle est la commissaire de la grande exposition sur Giono qui se tient au MUCEM à Marseille jusqu’au 17 février 2020.

Sophie Bogaert

Critique , Éditrice

Rayonnages

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Notes

[1] Elle est la commissaire de la grande exposition sur Giono qui se tient au MUCEM à Marseille jusqu’au 17 février 2020.