(Re)lire au temps du confinement

« Nous ne sommes pas le nombre que nous croyions être » – relire Les Microbes de Bruno Latour

Historienne des sciences

En ces temps de confinement, prenons le temps de réviser des classiques que l’actualité remet en lumière. Ainsi Les Microbes : guerre et paix, paru en 1984 sous la plume d’un jeune anthropologue alors, Bruno Latour. Cet ouvrage majeur donne l’occasion de réfléchir à l’application du vocabulaire martial à un contexte de crise sanitaire : partant de la croisade des hygiénistes contre les microbes au XIXe siècle, Latour restitue brillamment la construction d’un véritable rapport entre humains et non-humains.

La métaphore guerrière pour parler des pandémies n’est pas nouvelle, et n’a, à l’origine, pas grand-chose à voir avec le déploiement de la force armée pour surveiller la population, ni avec la fermeture des frontières.

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Née (en ce qui concerne la France) dans le contexte du mouvement hygiéniste du XIXe siècle, et à la suite de la défaite de la France dans la guerre contre la Prusse en 1870, la « guerre » contre les microbes a d’abord signifié un vaste mouvement alliant médecine, recherche, éducation, et investissements publics massifs. Retour sur le livre majeur que Bruno Latour publiait en 1984 : Les Microbes, guerre et paix. Où l’on découvre comment l’apparition sur la scène scientifique, politique et sociale d’un être jusqu’alors méconnu conduisit l’Europe à transformer radicalement, et en quelques années, ses conditions d’existence.

C’est l’histoire d’une lutte, d’une guerre sans merci contre un fléau invisible. Rapports de force, épreuves, trahisons, batailles, victoires, duels, harangues, alliances, maîtrise du terrain. Les Microbes : guerre et paix est une épopée. Paru en 1984, il s’agit du second livre d’un jeune anthropologue de 37 ans, Bruno Latour, qui avait déjà publié quelques années auparavant La vie de laboratoire, une importante ethnographie de laboratoire.

Les Microbes raconte l’entrée sur la scène politique, scientifique, économique et sociale d’un nouvel acteur qui devient progressivement incontournable. Le livre commence par la découverte des microbes comme agents destructeurs de l’humanité : « Voilà des acteurs. Sont-ils humains ou inhumains ? Non humains. Que veulent-ils ? Le mal. Que font-ils ? Des embuscades. Depuis quand ? Depuis toujours. Que vient-il de se passer ? Un événement, ils deviennent visibles. Qui les rend tels ? La science, un autre acteur qu’il faut à son tour enregistrer et définir dans les mêmes termes. »

Des acteurs sur une scène : la métaphore théâtrale n’a ici rien de fortuit. Il faut la suivre pour tenter de com


Frédérique Aït-Touati

Historienne des sciences, Chargée de recherche au CNRS

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