Gazouillis et grognements – sur Sátántangó de Béla Tarr
« Qu’est-ce que t’as de mieux à faire » ? Rien. Question qui m’accule autant qu’elle me libère. Cet après-midi-là, je suis, en outre, effroyablement triste, rongée par le sentiment d’être vieille et finissante. Dans la salle de cinéma où j’ai rejoint mon ami, nos voisins ont préparé des thermos de café. Certains s’équipent, pour assister aux 7 heures 30 minutes de Sátántangó, chef d’œuvre de Béla Tarr, fresque monumentale et enténébrée aux confins d’un monde.
Un envoûtement qui commence par des vaches. Dans l’atmosphère détrempée d’une campagne boueuse, devant une grange délabrée, un plan-séquence enregistre des vaches en train de ne rien faire ou presque, indifférentes à la bruine. Lents mouvements de caméra, ambiance de désolation brumeuse, disparition des hommes : pas de doute, on est chez Béla Tarr, cet obsessionnel du cosmos – dont il ne cesse d’envisager la fin et la recréation à longueur de film –, juste avant l’engloutissement dans ses nappes de noir et blanc crépusculaires, au seuil étrange du printemps qui commence dehors, et de la décomposition sur écran noir d’un monde de vent et de pluie, de plaines rases et de fermes soviétiques. Je pense : Sátántangó, go.
Un événement vient secouer le climat de déréliction stagnante du village : une rumeur annonce le retour de deux anciens supposés morts, Irimias et Petrina. Tandis que certains attendent une mystérieuse parousie, conciliabules et conjectures commencent, entre espoir messianique et crainte satanique. À la suite de l’étrange apparition d’Irimias, magnétique semeur de zizanie lente dont personne ne sait qui il est, les villageois complotent les uns contre les autres pour empocher des gains agricoles. Sous l’effet de ce prophète infernal ou ange exterminateur, c’est toute l’utopie collectiviste qui révèle son effondrement.
C’est cette humanité grimaçante, à l’image de celle de Bosch et Bruegel, que capture Béla Tarr, dans des plans-séquences qui semblent porter chacun au bord de son monstre. Au