Littérature

Recycler la terre ou faire les poubelles ? – à propos de Freshkills de Lucie Taïeb

Professeur de littérature comparée

Que faire de nos tas d’ordures ? Les déchets et leur recyclage sont prompts à emporter nos imaginaires dans les tréfonds de l’immondice : la puissance évocatrice de le boue transformée en or, le pur et l’impur, le propre et le sale. Une façon pour Lucie Taïeb de continuer d’interroger dans Freshkills. Recycler la terre le rejet (des hommes comme des choses) et les manières dont les sociétés se débarrassent de ceux ou de ce qu’elles ne veulent plus voir.

Les éditions La Contre Allée rééditent un court livre de Lucie Taïeb d’abord paru en 2019 au Québec, au titre énigmatique : Freshkills. Recycler la terre. La couverture ne dit pas s’il s’agit d’un roman, d’un récit ou d’un essai, mais pour indiquer ce dont il s’agit, les premiers mots du livre situent le début de « cette histoire » à Berlin, où la narratrice travaille au sein d’une commission qui recherche, dans les archives, les dossiers de demande d’indemnisation de descendants de victimes juives de spoliation pendant la deuxième guerre mondiale.

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On comprend vite que l’étudiante attelée à cette tâche est Lucie Taïeb elle-même et que « cette histoire » commence comme un fragment autobiographique. Pourtant, les pages qui suivent obliquent d’une curieuse manière : l’autobiographie se poursuit, mais sous couvert d’enquête, reportage ou, selon l’expression qui s’impose aujourd’hui, littérature de terrain. Berlin s’efface, la jeune femme part à New York.

Elle va voir le lieu le moins visité, le moins touristique de la ville, et d’ailleurs, quand elle arrive, il est fermé au public. C’est la décharge de Fresh Kills, sur Staten Island, qui a été la plus grande décharge du monde. Elle en a découvert l’existence dans un roman et depuis, dit-elle, la décharge l’obsède. Elle doit la voir, elle doit écrire dessus. Le livre raconte cette enquête et, en filigrane, ce qui la rattache à l’épisode berlinois initial. En reliant les deux, il raconte aussi comment l’étudiante est devenue écrivain.

C’est dans un roman qu’elle a découvert Fresh Kills : dans Outremonde, Don DeLillo la décrit comme une décharge « impressionnante et démoralisante » qui empuantit l’air à « des kilomètres à la ronde ». Or ce qui lui apparaît à cette lecture, comme une épiphanie, c’est « un continent immense, tentaculaire et jusque-là invisible ». Les déchets ne la lâchent plus, elle dévore les livres qui en traitent et n’a plus qu’un désir : voir Fresh Kills de ses propres yeux.

Mais il est trop ta


 

Jean-Paul Engélibert

Professeur de littérature comparée

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