Littérature

L’espion qui venait de la foi – sur Les Amants de Jésus de Paul Auer

Ecrivain et essayiste

Fin du XXe siècle, un jeune séminariste pris entre sa foi et sa sexualité fait son entrée à la Compagnie de Jésus. Chronique d’une tempête dans les soutanes, Les Amants de Jésus de Paul Auer prend en écharpe l’histoire individuelle et celle de ces années sida. Homosexuel infiltré au séminaire, jésuite infiltré dans le milieu homo, le narrateur espion trouvera au plus près des jeunes agonisants « son Jésus ». Un texte qui cherche la lumière qui guérit de l’inquiétude d’exister, même s’il passe par les ténèbres.

Avec Les Amants de Jésus, Paul Auer signe un texte grave et léger, émouvant et drôle, qui tient de la fiction et du document. Un « romanquête » pour reprendre un fameux mot-valise, sur le monde de la Compagnie de Jésus au moment où, dans le dernier tiers du XXe siècle, elle est sommée de faire face, à travers un jeune séminariste, à la question de l’homosexualité. Que faire de ce jeune étudiant en mathématiques, aspirant jésuite et homosexuel dans une communauté religieuse tenue par les vœux de chasteté ? Que penser de la « mission » que le séminariste se propose de porter auprès des malades du sida, très nombreux alors dans les premières années de l’épidémie ? Comment accepter même d’en parler au moment où, dans la société, progresse la revendication d’une union civile entre personnes de même sexe ?

publicité

Cette chronique de tempête dans les soutanes prend en écharpe l’histoire individuelle, mais aussi celle de ces années sida. Des multiples contradictions qui transpercent ce Saint-Sébastien jésuite naissent parfois le drame et parfois la farce. C’est cette histoire où s’enchevêtrent drame intime et réflexion politique, sous les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI, que livre l’auteur.

Mais il ne faudrait pas se figurer un roman austère. L’auteur confesse dans le prologue qu’il voudrait « seulement écrire sur cette chanson de Françoise Hardy (“La mer, les étoiles et le vent”) et, au passage, raconter une tranche de vie religieuse moderne… ». Musical jusqu’au bout, semé de ritournelles, le roman se clôt sur un entretien de rupture avec le provincial qui « était entré dans la Compagnie l’année où son homonyme (Mike Brant) chantait “qui saura, qui saura, oui, qui saura ?” ».

De l’évocation d’un amour plus grand que le cosmos, à cette dernière interrogation angoissée, mais sans réponse, ces petites mélodies apportent des respirations dans l’étouffoir de la vie religieuse.

Autobiographie fictive, Les Amants de Jésus hérite de la rage des Confessions d’Augusti


Thierry Grillet

Ecrivain et essayiste

Rayonnages

LivresLittérature