Littérature

Flaubert est un je(u) ? – sur Le dernier bain de Gustave Flaubert de Régis Jauffret

Professeur émérite de lettres modernes

Le dernier bain de Gustave Flaubert est une (auto)biographie autorisée, au sens où on le dit d’un récit de vie contrôlé par le biographié lui-même. Mais le livre de Régis Jauffret efface les frontières entre autobiographie et biographie, jouant de manière retorse avec notre connaissance (lacunaire) de l’intimité du romancier. Si bien que les écarts entre le roman et ce qu’on apprend par d’autres sources appartiennent encore à la vie de Flaubert : la vie que le romancier nous raconte en se la racontant, en se « bovarysant ».

Ce n’est probablement pas pour imiter l’organisation ternaire de certaines œuvres de Flaubert (trois parties dans Madame Bovary, dans L’Éducation sentimentale, dans le premier plan de Bouvard et Pécuchet, Trois contes) que Le dernier bain de Gustave Flaubert comporte aussi trois grands chapitres.

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En fait, cette trinité ne recouvre pas un plan homogène : ce sont deux chapitres réunis par les pronoms personnels placés en titre, « Je » et « Il », auxquels s’ajoute un troisième chapitre nommé « chutier », supplément décalé dont la plupart des fragments auraient pu prendre place dans l’une ou l’autre des parties précédentes, et qui s’apparente, jusque dans sa typographie à la limite de la lisibilité, aux annexes publiés dans la section « L’Atelier de Flaubert » des Œuvres complètes de la Bibliothèque de la Pléiade, comprenant les scénarios d’œuvres non réalisées, les passages finalement supprimés ou les brouillons.

On peut voir là, de la part de Régis Jauffret, un geste identique à celui de Flaubert, fétichiste qui n’a jeté aucun papier, même s’il ne lui serait pas venu à l’idée de donner au public autre chose qu’une œuvre parfaitement achevée.

Du « Je » au « Il »

Continuons la comparaison entre Jauffret et Flaubert : le passage de la première à la troisième personne rappelle la structure de Novembre, ce récit fortement autobiographique écrit en 1842. Trois parties là encore : d’abord l’autobiographie du narrateur, ensuite le récit de la prostituée Marie, également à la première personne, et dans les dernières pages, un ami du héros prend le relais pour raconter la fin de la vie du premier narrateur, à la troisième personne.

Ce glissement de pronom introduit un jugement critique du second narrateur sur le premier, en créant un effet de détachement. On interprète le changement de point de vue dans ce texte de la vingt-et-une année comme un acte de rupture décisif dans la manière de Flaubert : il rompt avec les confessions, la littérature « à la première personne


 

Yvan Leclerc

Professeur émérite de lettres modernes, Membre associé du laboratoire CÉRÉdI

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