Dénominateurs communs – à propos de « Civilization, quelle époque ! »
Comment comprendre cette tendance à l’exclamation qui semble clôturer sur une note allegro de plus en plus de titres d’expositions, et plus généralement de festivals ou autres manifestations culturelles (« Mouvements ! » à l’Institut Suédois, « Extra ! » au Centre Pompidou, « Chefs d’œuvre ! » au musée Picasso, etc.) ? Que pourrait signifier cette tendance curatoriale à l’exclamation : enthousiasme que l’on espère contagieux (méthode Coué), recette marketing ou simple gimmick ? Dans le cas de « Civilization, quelle époque ! », qui se tient jusqu’à la fin du mois de juin au MuCEM, on hésite : titre ambitieux et racoleur, cri fasciné ou saillie satyrique, l’expression a le mérite d’annoncer une ambiguïté que l’exposition maintiendra dans le point de vue déployé.

Cerner « notre » civilisation – celle du début du XXIe siècle – en une centaine de photos réalisées par une trentaine de photographes internationaux peut sembler démesuré. L’exhaustivité étant impossible, les commissaires se sont plutôt attachés à cartographier les traits les plus caractéristiques de notre époque, assumant le caractère partiel et partial, parfois même cliché, de leur sélection.
Car s’il fallait garder trace et mémoire de notre temps, que montrerions-nous ? Logement, travail, loisirs, transports, éducation, arts, sciences, techniques… l’exposition échantillonne, parcourt, survole et, sans nier les différences culturelles, elle les subsume sous une unique « civilization ». Cette dernière, héritière de la révolution industrielle, serait-elle le rejeton de la soi-disant « fin de l’histoire », issue de la victoire de l’idéologie néolibérale ? Songeons à cette enseigne de Starbucks illuminant un fastueux décor de mosquée persane, dans un centre commercial à Dubaï, capturée par Nick Hannes. Du pain et des jeux – et l’art du syncrétisme par le capitalisme.
Sans s’encombrer d’un appareil conceptuel trop lourd, ni même discuter en son sein des théories comme celle du « choc des civilisations » de Samuel Huntington, les curateurs ont préféré mettre en évidence les dénominateurs communs d’un monde rétréci. L’alliance de la technologie et de l’économie de marché globalisée accentuent la perméabilité des cultures : elles influent sur les modes de vie des habitants de toute la planète comme rien d’autre auparavant.
Quelle serait, alors, « notre » civilisation ? Les photos, rassemblées et perçues à travers cette grille de lecture, lui servent de définition souple et impressionniste, et la multiplicité des regards proposés neutralise tout manichéisme, suspendant le jugement hâtif – libre au spectateur de se faire sa propre opinion sur cette civilisation à laquelle il prend part.
La pandémie du Covid-19, tout comme les défis écologiques ou migratoires, en témoigne : désormais les enjeux prennent une dimension planétaire et le monde est devenu une entreprise collective, comme la plupart des inventions qui nous entourent. Sur les photographies choisies, le nombre domine l’individu, rappelant que nous n’avons jamais été aussi nombreux sur la planète.
À cette croissance exponentielle s’ajoute une révolution : depuis 2008, et pour la première fois depuis les 200 000 ans d’existence de l’homo sapiens, la majorité des êtres humains vivent en ville. Mais à quel prix ? La plongée par Benny Lam dans ce que l’on n’osera pas appeler un appartement, à savoir un placard de 4m2 dans lequel vit un famille hongkongaise, montre l’envers du décor. À côté, les jungles urbaines asiatiques s’étalent comme des tableaux abstraits sous l’œil de Micheal Wolf, et un panorama sur plusieurs panneaux dé