Les cibles varient, la langue reste belle – sur La Vie légale de Dominique Dupart
La Vie légale : son titre a beau faire penser à la médecine légale, ce roman n’a rien de morbide. Il est rempli d’énergie et avance avec des airs de Zazie dans le métro. Le « Doukipudonktan » ou le « Napoléon mon cul » de Raymond Queneau traversent la tête du lecteur de La Vie légale, dense (397 pages) fresque sociale pessimiste qui déroge aux règles grammaticales en ne s’embarrassant pas de la double négation. S’y mélangent avec brio langage de la rue et tournures savantes.

L’autrice, Dominique Dupart, est née en 1972 et enseigne à Lille. Sa page Wikipédia nous apprend qu’elle a pour spécialités l’éloquence politique et Lamartine. Elle connaît très bien la littérature du XIXe siècle en général, et donc Stendhal et Napoléon. Ces grands hommes apparaissent dans le roman. La Vie légale est moqueur, souvent juste dans ses jugements, souvent très injuste aussi, comme lorsqu’il pointe à l’excès la violence du « pays des Droits de l’Homme » ou met en accusation l’« accordéon législatif » en vigueur en France. L’image est excellente : on déplie et replie l’accordéon au gré des événements, des attentats, des menaces ; on en joue. Mais s’il est exact que la loi empêche, elle protège aussi, et notamment les illégaux en attente de légalité.
La Vie légale compte une réfugiée. Elle dit s’appeler Joséphine pour faciliter les démarches administratives (la vie légale…). Elle est soit ouïghour, soit afghane, le doute plane. Dans les deux cas elle fuit un pays où la loi est arbitraire et meurtrière, surtout pour une femme. Alors merci la loi et la République. Mais au diable les coups de griffes abusifs de Dominique Dupart : au moins ce texte complexe et exigeant a un ton, un rythme, une langue, un projet littéraire qui le portent.
La Vie légale présente un condensé des obstacles qu’oppose la Loi à la volonté de certains : les femmes désireuses de porter le « foulard » dans certains lieux, les étrangers sans papiers qui demandent l’asile politique, les caïds qui s’affrontent