Littérature

Derrière les miroirs déformants de la légende – sur Saint Phalle de Gwenaëlle Aubry

Écrivain

Dans le portrait qu’elle consacre à Niki de Saint Phalle, Gwenaëlle Aubry suit le fil rouge de l’enfance, enfance jamais complètement oubliée, mais qui n’est pas qu’un paradis perdu, puisqu’elle est marquée par le viol commis par son père alors qu’elle était âgée de onze ans. Derrière la grande visibilité de l’artiste, qui l’a parfois enfermée dans l’image d’un art officiel et daté, Gwenaëlle Aubry s’efforce de retrouver quelque chose de la violence et de la rage qui habitent son oeuvre.

Commençons par une petite devinette, et des plus faciles : l’art et l’enfance sont en bateau, l’un des deux tombe à l’eau. Qui reste-t-il ? Si vous pensez avoir une chance sur deux, pile ou face, alors, et quoi que vous prétendiez, vous avez faux – puisque la seule bonne réponse eut été : rien.

L’enfance de l’art, c’est l’art de l’enfance, et tout le reste est billevesées – l’un (masculin) n’est rien sans l’autre (féminin) : vieux fruit blet au mieux. C’est bien sûr Picasso affirmant que tous les petits enfants sans exception sont des artistes, la difficulté étant de le rester (il suffit de les voir être le jeu qu’ils imaginent pour s’en convaincre). C’est Nietzsche, aussi bien, qui faisait des métamorphoses enclenchées par le jeu artistique une chance de retrouver l’état de « l’enfant (qui) est innocence et oubli, un recommencement, un jeu, une roue roulant d’elle-même, un premier mouvement, un “oui” sacré ».

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Dans son prolongement, Georges Bataille, auquel Gwenaëlle Aubry multiplie judicieusement les références dans ce remarquable Saint Phalle. Monter en enfance, élevait l’enfantillage au rang de l’art (« Je crois qu’il y a quelque chose d’essentiellement puéril dans la littérature », disait-il d’ailleurs) – Bataille affirmait également dans Le Petit, l’un de ses textes les plus ésotériques dont le titre renvoie à l’enfance, que « écrire est rechercher la chance[1] ».

Rechercher la chance, malgré tout, dans le geste artistique : on pourrait placer le Saint Phalle d’Aubry tout entier sous ce signe, une fois rappelé que ce mot de chance appartient à la grande famille étymologique issue du latin cadere (« tomber »), aux côtés entre autres de la cadence (ce qui tombe) ou du cadavre (qui ne se relèvera plus) : loin de ce qu’en font les joueurs de loto, la chance, qui a longtemps pu être mauvaise ou bonne, est, en somme, ce qui nous tombe dessus, ne cesse de nous tomber dessus en nous rappelant incessamment à l’ordre du tragique : l’important, dès lors, n’est r


[1] À propos de ces notions de chance et d’enfantillage, on relira avec profit la notice consacrée par Cécile Moscovitz au Petit dans l’édition de la Pléiade des romans de Bataille.

Bertrand Leclair

Écrivain, Critique littéraire

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Notes

[1] À propos de ces notions de chance et d’enfantillage, on relira avec profit la notice consacrée par Cécile Moscovitz au Petit dans l’édition de la Pléiade des romans de Bataille.