Pénélope, maîtresse d’elle-même – sur Sans plus attendre de Sylvie Durastanti
Ulysse est l’homme aux mille ruses mais Pénélope n’est pas moins stratège que lui : en défaisant la nuit le linceul qu’elle tisse le jour depuis trois ans, elle évite le remariage avec l’un des prétendants qui occupent sa maison. Ulysse est un héros de l’endurance ? Pénélope aussi : depuis presque vingt ans lorsque s’ouvre ce roman, elle attend son mari, protège son fils et elle-même contre ceux qui leur veulent du mal. Quels effets ont sur elle l’attente et l’incertitude ? Pleure-t-elle ? Se lamente-t-elle ? Se torture-t-elle jusqu’à en perdre la santé, comme la Phèdre de Racine ? Pas du tout. Elle exprime plutôt une colère, une « rage » qui la pousse à agir autant que le permettent l’île dont elle est prisonnière et la surveillance dont elle fait l’objet.

Les prétendants sont aux aguets. Ils attendent leur heure. En silence, en elle-même, elle adresse avec véhémence à son époux des reproches froids : « Oui, ton absence contagieuse vide le monde de sa lumière, et nous nous retrouvons absents à nous-mêmes. » Réfléchie, maîtresse d’elle-même, étrangère au larmoiement, ainsi Sylvie Durastanti imagine-t-elle Pénélope dans un beau et sobre premier roman intitulé Sans plus attendre.
L’autrice s’infiltre dans les pensées de la femme d’Ulysse qu’elle métamorphose et appelle d’ailleurs « la maîtresse » (elle n’écrit jamais « Pénélope »), comme pour souligner la force et de cette femme à la tête de sa maison, tandis que les hommes en grignotent l’espace chaque jour un peu plus. Sa « maîtresse » est moins altière que l’originale ; elle ne se loue pas elle-même, comme le fait Pénélope par exemple au chant XVIII de L’Odyssée : « Ma valeur, ma beauté, mes grands airs (…) » Elle ne tient pas de discours en public et ne parle qu’avec Eri, autre personnage du roman en lequel on reconnaît Euryclée, la nourrice d’Ulysse, Pénélope est aussi une maîtresse ; Eri est à son service. À elles deux elles affrontent la « meute stupide et avide » des prétendants désireux de s’emparer