Essais

Vivre avec le trouble – sur De la liberté de Maggie Nelson

écrivain et musicienne

Un livre sur la liberté pareil à une ligne de crête, où avancer en équilibriste : voilà le nouvel essai de Maggie Nelson, cette autrice queer et autocritique, qu’on compare volontiers à Susan Sontag et qu’on dit « oracle de la génération millennials ». Une femme dont la force est d’être rigoureuse sans jamais céder à l’autorité d’un genre.

De Maggie Nelson, je garde l’impression de livres qui m’apprennent des choses sans en avoir l’air : une écriture sensuelle et intellectuelle, des essais charnels et bizarroïdes, enquêtes sur le meurtre d’une tante ou sur la couleur bleue, récit d’un accouchement et d’une transition de genre. Je garde d’elle la description d’un corps mourant, et celle d’organes génitaux (« visqueux, pendants et répulsifs : cela fait partie de leur charme »). Je garde l’idée que le noyau de l’univers est bleu pâle ou encore la formule « ô glorieuse dédramatisation sans déni », volée dans plusieurs de mes textes.

De Maggie Nelson, je garde une incroyable liberté de ton.

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Son nouvel essai, pourtant, détone. Dans la forme, du moins ; en dépit du nom de « chants » donnés aux quatre parties qui le composent, De la liberté (On freedom) n’est pas gracieux comme Les argonautes ou Une partie rouge. Ce n’est pas un de ces textes hybrides auxquels Maggie Nelson nous avait habitués. Pas un essai-poème mais un essai-essai. Un essai tout court. Bien qu’un essai très long. Un texte moins accessible que ses précédents livres, mais dont la problématique reste urgente. Et passionnante.

Notre obsession contemporaine pour le soin, le care, est-elle compatible avec la liberté ? L’idée même de faire attention nous emprisonne-t-elle ? Et dès lors, comment retrouver à la fois le sens de la liberté et celui de l’altérité ? Pour le dire autrement comment, sans renoncer aux autres, peut-on espérer être libre ?

Le texte part d’un constat : Maggie Nelson, née en 1973, remarque combien le mot « liberté » est devenu suspect ces dernières années, au point d’embarrasser toute une partie de la gauche. D’une part parce que la notion a été prise en otage par une certaine droite populiste et réactionnaire (celle qui voudrait croire « qu’on ne peut plus rien dire »), et d’autre part car personne ne s’entend plus sur ce que le mot « liberté » veut vraiment dire. Un terme opaque pour une notion suspecte. Or, sur un


Blandine Rinkel

écrivain et musicienne

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