Cinéma

Andréa-Duras – sur Vous ne désirez que moi de Claire Simon

Critique

Au début des années 1980, la journaliste Michèle Manceaux enregistre Yann Andréa, qui a souhaité lui parler de sa relation avec Marguerite Duras. Quarante ans ans plus tard, donnant la parole à Swann Arlaud et Emmanuelle Devos, Claire Simon fait de ce dialogue un récit captivant : un film qui pense.

À l’automne 1999, le dernier compagnon de Marguerite Duras, Yann Andréa, publie le récit des 16 années tumultueuses qu’il a vécues au plus près de l’écrivaine-cinéaste : deux ans et demi après sa disparition, Cet amour-là est un livre à trois voix (je, vous, elle) qui répond à la créatrice en faisant le contrechamp et la contreparole de ses livres et de ses films à elle – pour certains inspirés de leur histoire.

Abstracteur de quintessence et ventriloque surdoué, Yann Andréa regroupe et restitue en 230 pages thèmes et figures principaux de l’œuvre – mêlés à sa vie à lui. Ce faisant, il prend la conduite du récit, rééquilibre les forces entre elle et lui, le lecteur et l’auteure, la personne écrite et la personne qui écrit, l’objet et le sujet, le mâle et la femelle, le dominant et le dominé[1]

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Quelques semaines plus tard, à l’occasion d’une rétrospective des films de Marguerite Duras à Rennes[2], il est invité à la projection d’Agatha ou les lectures illimitées : de ce film il est l’inspirateur et le « performeur » – le sujet. Au moment du débat, il refuse de parler du tournage ; il consentira seulement à lire des passages de son propre livre, avant de répondre à des questions du public. L’une d’elles porte sur l’intrigante soumission de cet homme à cette femme, sa fascination pour le grand écrivain. Agacé, Yann Andréa retourne la question à l’envoyeur : « N’avez-vous jamais pensé que Duras pouvait être fascinée par moi ? »

De Cet amour-là, Josée Dayan a fait en 2002 une adaptation décevante : la traduction des mots en images frappe par son obscénité, parce que l’action du livre est action de langage – peu propice à l’exhibition. Pour le coup, les postures de Jeanne Moreau endossant la panoplie durassienne (tics, vêtements et sentences) et la gestuelle d’Aymeric Demarigny composant la candeur supposée de Yann Andréa reproduisent l’apparence des choses, en détruisant toute vérité cinématographique. La caméra qui voulait éclairer l’intimité des deux perso


[1] Entre-temps, Yann Andréa avait publié sous leur nom M.D.— récit par Yann Andréa de la cure de désintoxication de Duras (Éditions de Minuit, 1982) et C’est tout (Éditions de Minuit, 1995), transcription dialoguée des derniers échanges entre elle et lui.

[2] Du 15 au 28 novembre 2001, 12 films de Marguerite Duras étaient présentés au Ciné TNB.

[3] Michèle Manceaux, Je voudrais parler de Duras, Pauvert, 2016

[4] La Pute de la côte normande, Éditions de Minuit, 1986

[5] Le Marin de Gibraltar, Gallimard, 1952, p. 102

[6] Cet amour-là est rythmé par des remarques de cette sorte de la part de Duras : « C’est incroyable de ne rien faire à ce point-là, ce n’est pas mal non plus, vous avez toujours été comme ça ? » (op. cit. p. 25).

[7] Je voudrais parler de Duras, Ibid., p. 65

[8] Ibid. p. 47

[9] Dans le roman de Stephen King (1987) comme dans son adaptation par Rob Reiner (1990), un romancier soucieux de mettre un terme à la série qui a fait son succès (en faisant mourir son personnage principal, Misery) est capturé par sa meilleure lectrice, qui l’oblige sous la torture à modifier la fin du roman.

[10] Les Yeux bleus cheveux noirs, Paris, Les Éditions de Minuit, 1986 ; Yann Andréa Steiner, Paris, P.O.L., 1992.

Jean Cléder

Critique, Maître de conférences en littérature générale et comparée à l'Université Rennes 2

Rayonnages

Cinéma Culture

Notes

[1] Entre-temps, Yann Andréa avait publié sous leur nom M.D.— récit par Yann Andréa de la cure de désintoxication de Duras (Éditions de Minuit, 1982) et C’est tout (Éditions de Minuit, 1995), transcription dialoguée des derniers échanges entre elle et lui.

[2] Du 15 au 28 novembre 2001, 12 films de Marguerite Duras étaient présentés au Ciné TNB.

[3] Michèle Manceaux, Je voudrais parler de Duras, Pauvert, 2016

[4] La Pute de la côte normande, Éditions de Minuit, 1986

[5] Le Marin de Gibraltar, Gallimard, 1952, p. 102

[6] Cet amour-là est rythmé par des remarques de cette sorte de la part de Duras : « C’est incroyable de ne rien faire à ce point-là, ce n’est pas mal non plus, vous avez toujours été comme ça ? » (op. cit. p. 25).

[7] Je voudrais parler de Duras, Ibid., p. 65

[8] Ibid. p. 47

[9] Dans le roman de Stephen King (1987) comme dans son adaptation par Rob Reiner (1990), un romancier soucieux de mettre un terme à la série qui a fait son succès (en faisant mourir son personnage principal, Misery) est capturé par sa meilleure lectrice, qui l’oblige sous la torture à modifier la fin du roman.

[10] Les Yeux bleus cheveux noirs, Paris, Les Éditions de Minuit, 1986 ; Yann Andréa Steiner, Paris, P.O.L., 1992.