Séries télé

Désagrégation à l’œuvre – sur la saison 2 d’En thérapie

Critique Littéraire

L’enchaînement de calamités qui semble caractériser l’actualité est présent à l’esprit des créateurs d’En thérapie, dont la saison 2 sera diffusée sur arte.tv à partir du 31 mars. Mais ce sont des afflictions d’un autre ordre qui apparaissent à l’écran. Celles qui requièrent l’aide d’un confident, d’un conseil, d’un parent, mais pas n’importe quel parent : le psychanalyste Philippe Dayan est dans cette saison de nouveau convoqué par ses patients, qu’il s’efforcera de soigner, de soutenir, de révéler.

«Mais quand est-ce que ça s’arrêtera ? » : les suicides, les dépressions, les maladies, les conflits en tous genres cesseront-ils un jour de se passer le mot et de former un chapelet de calamités ? Philippe Dayan, le psychanalyste d’En thérapie incarné cette fois encore par le formidable Frédéric Pierrot, pose cette question dès le premier épisode et donne ainsi la couleur de la saison entière : autant vous prévenir, Dayan est exténué, pessimiste, usé jusqu’à la corde par des crises successives, les siennes et celles de ses patients. La coupe est pleine, il en a marre. Ça tombe bien, nous aussi : les avalanches se succèdent sans nous laisser le temps de reprendre notre souffle.

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Après les attentats de 2015, toile de fond de la première saison d’En thérapie, est arrivé le Covid ; et maintenant, la guerre. Si bien que cette seconde tranche de thérapie colle parfaitement à l’atmosphère actuelle : Dayan, en réclamant un peu de repos, apparaît aussi lessivé que les spectateurs d’avril 2022. À la question de savoir quand cela s’arrêtera, la réponse est : pas de sitôt. Cette tonalité sombre n’empêche pas les trente-cinq nouveaux épisodes pilotés comme les précédents par Éric Toledano et Olivier Nakache de former un ensemble de grande qualité malgré quelques passages ou épisodes ennuyeux. Les angoisses, les blocages, les plaintes, la mort qui hantent les biographies des personnages parleront à tout le monde. Sans savoir à quel point ils tomberaient juste, les scénaristes ont dressé un tableau fidèle de l’état mental d’une grande partie des Français : la désagrégation est à l’œuvre.

Éric Toledano et Olivier Nakache jouent la carte du changement dans la continuité après le succès de la première saison, diffusée il y a un an. Exceptés Frédéric Pierrot et quelques apparitions à l’écran de Clémence Poésy et Pio Marmaï, présents dans la saison 1, les comédiens ne sont plus les mêmes, les patients et les problèmes non plus. Le décor a changé : Philippe Dayan a divorcé, il a laissé son appartement à son ex-épouse et emménagé dans une maison en banlieue. L’usure s’incarne ici aussi : la pièce dans laquelle il reçoit est veillotte. On aperçoit sa cuisine, qui n’est pas non plus de la première fraîcheur.

La série pose d’emblée la question de la responsabilité et du libre arbitre de chacun d’entre nous, jusque dans le choix de se transformer en kamikaze, en assassin de soi ou des autres.

Les scénaristes sont nouveaux également. Emmanuel Finkiel est entré dans l’équipe et s’est concentré sur la fabrication du nouveau superviseur de Dayan : à la solide Esther (Carole Bouquet, qui fait un passage éclair) succède la cristalline Charlotte Gainsbourg, moyennement convaincante en psychanalyste tant elle est hésitante, fragile, peu sûre d’elle. Un ou une psy doit en avoir sous le pied, et le patient doit le sentir. Gainsbourg joue Claire, psy et autrice d’un essai qui a remporté un large succès. Dayan la consulte par devoir, non par plaisir, car il est – et c’est le sujet de l’épisode d’ouverture – accusé de non-assistance à personne en danger par la famille d’un patient décédé. Le procès s’ouvre bientôt. Dayan a besoin d’un superviseur comme caution morale : la renommée de Claire fait d’elle la femme de la situation. Elle le protégera d’un éventuel soupçon d’incompétence ou de légèreté.

L’accusation vient de la veuve d’Adel Chibane (qu’interprétait Reda Kateb dans la saison 1). Parti en Syrie se battre contre les djihadistes, Chibane y est mort. Sa veuve reproche à Dayan de ne pas l’avoir convaincu de rester en France. Le psy risque une interdiction d’exercer et de la prison avec sursis. Qu’il ait eu une aventure avec une patiente avec laquelle Adel couchait aussi pourrait valoir des ennuis à Dayan si cette liaison venait à être révélée aux juges. Les auteurs de la série posent ainsi d’emblée, habilement et opportunément, la question de la responsabilité et du libre arbitre de chacun d’entre nous, jusque dans le choix de se transformer en kamikaze, en assassin de soi ou des autres. L’étendue du pouvoir du psy est interrogée dès le début. La psychanalyse peut-elle sauver une vie ? Oui, à condition que le patient le veuille.

L’attente du verdict crée un suspense qui fonctionne bien et permet d’équilibrer des intrigues secondaires plus faibles, celle d’Inès notamment. Incarnée par Eye Haïdara, cette avocate crispée, rigide, célibataire et sans enfant peu à peu se déplie, comprend les raisons de sa solitude volontaire et s’autorise à en vouloir à sa mère, qui n’a pas été à la hauteur à la naissance de sa fille. Plus la série avance, plus Inès est lassante. Froide dès le premier épisode, elle ne se réchauffe pas. Ses problèmes sont banals. Inès entretient avec un homme marié une relation amoureuse qui pourrait capter l’attention du spectateur, mais elle n’est pas suffisamment intéressante pour que ce soit le cas.

Autre point faible de cette nouvelle saison, le parcours de Robin (Aliocha Delmotte), un garçon d’une douzaine d’années complexé d’être trop enrobé. Il est déstabilisé par ses parents chaotiques, nerveux, et peu attentifs. Robin est le fils de Damien et de Léonora (Pio Marmaï et Clémence Poésy), deux anciens patients de Dayan. Bien que séparés, ils ne se lâchent pas et se disputent sans cesse. Malheureusement Dayan ne soulève pas ce motif de la séparation impossible, et le scénario n’est pas clair quand il s’agit de Robin : la toile de difficultés dans laquelle il se débat demeure gazeuse. La marge de manœuvre de cet enfant est étroite : alors qu’une thérapie est censée ouvrir l’horizon du patient, ce processus ne fonctionne pas avec Robin qui reste l’objet, le jouet, le prisonnier de ses parents.

Le problème vient d’eux, non de l’enfant. Or Dayan, n’ayant pas prise sur eux, ne peut pas grand-chose pour Robin. La liberté du garçon n’est pas entravée par lui-même, mais par ses parents. Les pistes que Dayan propose à l’enfant sont des pis-aller, des astuces qui permettront au garçon de traverser cette période plus confortablement. Cette trame bancale sape la possibilité de s’attacher à ce jeune héros alors que Camille, l’adolescente que jouait Céleste Brunnquell dans la première saison crevait l’écran et que ses problèmes étaient très intéressants.

Celui qui crève l’écran de la saison 2 n’est pas un nouveau venu. Il s’agit de Jacques Weber, remarquable en Alain. Septuagénaire, chef d’entreprise prospère d’une chaîne de magasins d’électroménagers, Alain est pris dans une tempête médiatique : une de ses employées s’est suicidée. Elle aurait été mise sous pression pour satisfaire les demandes des clients pendant le confinement. Étranger à la psychanalyse et à ses rituels, Alain attend des réponses pragmatiques de la part de Dayan. Il le considère comme un conseiller en temps de crise. Dayan remet les pendules à l’heure, lui apprend les règles, le cadre.

Leur duo est le meilleur de tous et Emmanuelle Bercot, réalisatrice des épisodes dans lesquels Weber apparaît, excelle. Elle zoome sur le corps encombrant du comédien, gage de mal-être autant que de solidité. Elle s’attarde sur les mains puissantes de Weber, sur son visage merveilleusement expressif. Alain se lâche, parle, raconte son enfance dans un milieu populaire, la mort de son frère aîné lorsqu’il était enfant. Le frère avait 17 ans, il est mort accidentellement en plongeant d’un rocher : tout réussissait à ce jeune homme. Trop belle la vie. Les rares moments de comédie sont permis par Alain également : il couve sa fille à la manière d’une mère juive. Loin du patron sans cœur, Alain est un colosse protecteur qui ne veut de mal à personne. N’ayant pu sauver son frère, il veut sauver son entourage.

À vrai dire, tous les patients avec leur psy sont des enfants malheureux.

La psychanalyse n’était pas du genre d’Alain ; elle le devient. De tous les personnages il est celui qui comprend le mieux les associations libres, les actes manqués, les surprises de la thérapie. Il met en scène sa souffrance devant le psy, grâce à Weber qui déploie toute la gamme de son talent de comédien. Alain est le patient qui émeut le spectateur, plus encore que Lydia, jouée par Suzanne Lindon. Étudiante en architecture, elle commence sa thérapie quand elle se découvre atteinte d’un cancer du sein. Suzanne Lindon joue bien, son histoire résonnera avec la vie de beaucoup de spectatrices mais son personnage manque de charisme. Heureusement, le regard que porte Dayan sur elle la rend singulière. Il lui pose cette jolie question : « Depuis quand avez-vous ce sentiment de ne pas pouvoir être durablement heureuse ? » Lydia répond : « Depuis toujours. »

Il y aura sûrement des spectateurs pour se reconnaître là-dedans. Les interventions du psy donnent du relief aux personnages. L’incontournable et médiatique psychanalyste Serge Hefez a conseillé les scénaristes pour cette deuxième saison et sa patte se devine dans la qualité des interprétations du psy de fiction.

Et Philippe Dayan, dans tout cela ? La caméra saisit ses rides, son léger embonpoint, ses cheveux en bataille. Il a pris des coups (psychiques) et cela se voit. À côté des épisodes consacrés à Alain, les meilleurs moments de cette seconde saison sont ceux où les patients attaquent leur psychanalyste, le chahutent, lui déclarent leur amour en même temps qu’ils l’accusent du pire, signe de leur attachement. « Vous m’avez déjà remplacé » lui dit Alain, débarquant à l’heure de sa séance habituelle alors qu’il n’était pas censé venir ce jour-là. Dayan en effet est avec un autre patient. Il rassure alors l’enfant abandonné que redevient Alain à ce moment-là. À vrai dire, tous les patients avec leur psy sont des enfants malheureux.

La série montre bien à quel point le bon psy est confondu avec le parent idéal : compréhensif, attentif, doux, jamais punitif, stable de caractère, le contraire d’un père et d’une mère réels. Robin, le garçon de douze ans, envisage de s’installer chez Dayan et prévoit même un réaménagement de sa maison, et la place qu’occupera son lit. Lydia souhaite que son psy l’accompagne à ses séances de chimio ; c’est impossible bien sûr. Inès, l’avocate, la battante, dit à Dayan quelque chose de fort : « Vous me devez un enfant ». Davantage que comme un père, elle le voit comme un géniteur, un Dieu. Aux patients comme aux spectateurs, la série, sérieuse et austère dans cette deuxième saison, souligne les limites du pouvoir d’un psychanalyste. Mais elle rappelle le pouvoir de la parole. Déposer les mots quelque part vaut mieux que les garder en soi. À Alain (Jacques Weber), qui frôle la tentative de suicide, Philippe Dayan dit : « Il arrive toujours un moment où ce qui est refoulé ressurgit. Il est très difficile de vivre sa vie quand une partie de soi est enfermée. C’est une lutte inconsciente qui finit par faire des ravages. »

En Thérapie, une série d’Éric Toledano et Olivier Nakache, 35 épisodes de 26 minutes. Sur Arte le jeudi à 20 h 55 du 7 avril au 19 mai 2022. Les deux saisons sur Arte.tv dès le 31 mars.


Virginie Bloch-Lainé

Critique Littéraire