Installer les corps – sur « Les volontaires pigments-médicaments » d’Anne Le Troter
On y est appelé par des voix. La pièce est vaste. Ses larges baies vitrées donnent sur l’esplanade Pierre Vidal-Naquet. On est dans le 13ème arrondissement de Paris, entre les livres ouverts de la bibliothèque de Dominique Perrault et la jeune tour savamment déséquilibrée de Jean Nouvel. Le sol de béton ciré est maculé de trainées brillantes, rigoles et amas d’étain coulés sans ordre apparent. Certaines dessinent des figures étendues. D’autres courent à travers le lieu. Cinq chaises et deux bancs occupent l’espace, structures d’acier autour desquelles s’enroulent de longs câbles noirs qui descendent du plafond. Qui cherchera à savoir ce qu’ils conduisent devra suivre leur course jusqu’aux lignes d’étain où ils plongent leurs fils, puis de l’étain à l’acier des chaises et de celui-ci à des constellations de petits haut-parleurs sans armatures. Les voix viennent de là. De neuf grappes de piézos posés sur le sol et sur l’assise des chaises. Elles parlent. Chacune a sa place. Chacune figure un corps possible. Ensemble, elles font théâtre.

L’installation est l’œuvre d’Anne Le Troter, artiste dont j’ai eu l’occasion d’admirer deux précédentes installations : Liste à puces en 2017 au Palais de Tokyo et Parler de loin ou se taire en 2020 au Centre Pompidou. Les volontaires pigments-médicaments occupe le centre d’art et de recherche Bétonsalon. Elle est le résultat d’un travail accompli dans les archives du fonds Marc Vaux, un des grands photographes de la vie artistique parisienne des années 1920 aux années 1960. Anne Le Troter n’en a pas extrait des images, mais des personnes dont l’art n’était pas la seule occupation, qui étaient aussi infirmières, ambulanciers, modèles, résistante, gérante de cabaret ou meneuse de revue : Suzanne Duchamp, Max Beckmann, Joy Ungerer, Anne Chappelle, Jean Cocteau, Bessie Davidson, Kiki de Montparnasse, Paul Éluard, Joséphine Baker, Marie Vassilieff, etc.
Elles forment ensemble une étrange constellation qui nous oblige à réviser no