Cinéma

Portrait de l’acteur en tirailleur sénégalais – sur Tirailleurs de Mathieu Vadepied

Anthropologue

Tenus dans le cadre de la promotion du très honorable Tirailleurs, les propos d’Omar Sy ont débouché, à l’encontre de la volonté de l’acteur-producteur, sur une controverse politique qui révèle un passé colonial que la France est loin d’avoir soldé.

Le film Tirailleurs de Mathieu Vadepied, co-produit par Omar Sy et dans lequel il joue l’un des deux rôles principaux, est en train de provoquer, suite à ses propos, une véritable affaire politico-médiatique. Le film est honorable, une sorte de remake d’Indigènes de Rachid Bouchareb, mais pour la partie subsaharienne « noire » de l’Afrique. Mais, c’est aussi d’une certaine façon un décalque de Frères d’âme de David Diop, livre multi-primé auquel Omar Sy a consacré une lecture au Festival d’Avignon en 2021[1].

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Le pitch est en effet en gros le même : l’opposition entre le beau Bakary Diallo (Omar Sy) et le chétif Thierno Diallo (Alassane Diong) à ceci près que dans Tirailleurs, l’un est le père, l’autre le fils. Le film est par ailleurs construit sur l’opposition entre un humanisme africain et une déshumanisation européenne, occidentale ou bien encore entre la préservation de l’authenticité africaine et la volonté d’assimilation aux valeurs patriotiques pratiquée par les officiers français envers les soldats africains. Bakary fait tout pour préserver son fils de cet endoctrinement, pour le protéger, le sauver de la mort et pour finalement se sacrifier pour lui.

À l’inverse le lieutenant français « blanc » est victime du désamour de son père le général qui commande les troupes et qui ne souhaite que de voir son fils périr au combat. Le lieutenant parvient à gagner à sa cause Thierno qui se prend au jeu de la bravoure et devient ainsi un parfait instrument de la hiérarchie militaire.

Comme dans le roman Frères d’âme de David Diop, on assiste à une ethnicisation du récit puisque tous les dialogues sont en pulaar, langue des Al-Pulaaren (autrefois nommés « Toucouleurs » par les Français) qui vivent sur les rives du fleuve Sénégal, région dont est originaire la famille d’Omar Sy[2].

Dans le film, Bakari et Thierno ne s’expriment qu’en pulaar et ont le plus grand mal à communiquer avec les autres tirailleurs même si on leur répond parfois en bambara, langue que Ba


[1] D. Diop, Frères d’âme, Paris, Points- Seuil, 2019. Pour une analyse du livre de D. Diop votre notre livre L’invention du Sahel, chapitre II, Le formatage de l’intellectuel sahélien francophone, Editions du Croquant, 2022, pp. 48-50.

[2] La famille d’Omar Sy est originaire de Bakel, l’une des localités située sur les rives du fleuve Sénégal.

[3] O. Sy a déclaré que pour les besoins du film, il avait appris une forme purifiée du pulaar débarrassée des alluvions françaises.

[4] Sur ce point voir L’Invention du Sahel, op. cit., chapitre II.

[5] Sur cette question, voir l’article de M. Michel, « La Force noire et la « chair à canon », Diagne contre Mangin, 1917-1925 ».

[6] Le Canard Enchaîné, 4 janvier 2023.

[7] Le Parisien, 1er janvier 2023.

[8] Nathalie Loiseau : « Il y a 58 militaires français qui sont morts au Sahel en luttant contre les jihadistes. Non, Omar Sy, les Français ne sont pas « moins atteints » par ce qui se passe « en Afrique ». Certains ont donné leur vie pour que les Maliens cessent d’être menacés par des terroristes ».

[9] R. Werly, « Black-Blanc-Beur », le slogan que la France ne parvient plus à entonner », Blick.

Jean-Loup Amselle

Anthropologue, Directeur de recherche émérite à l'EHESS

Rayonnages

Cinéma Culture

Notes

[1] D. Diop, Frères d’âme, Paris, Points- Seuil, 2019. Pour une analyse du livre de D. Diop votre notre livre L’invention du Sahel, chapitre II, Le formatage de l’intellectuel sahélien francophone, Editions du Croquant, 2022, pp. 48-50.

[2] La famille d’Omar Sy est originaire de Bakel, l’une des localités située sur les rives du fleuve Sénégal.

[3] O. Sy a déclaré que pour les besoins du film, il avait appris une forme purifiée du pulaar débarrassée des alluvions françaises.

[4] Sur ce point voir L’Invention du Sahel, op. cit., chapitre II.

[5] Sur cette question, voir l’article de M. Michel, « La Force noire et la « chair à canon », Diagne contre Mangin, 1917-1925 ».

[6] Le Canard Enchaîné, 4 janvier 2023.

[7] Le Parisien, 1er janvier 2023.

[8] Nathalie Loiseau : « Il y a 58 militaires français qui sont morts au Sahel en luttant contre les jihadistes. Non, Omar Sy, les Français ne sont pas « moins atteints » par ce qui se passe « en Afrique ». Certains ont donné leur vie pour que les Maliens cessent d’être menacés par des terroristes ».

[9] R. Werly, « Black-Blanc-Beur », le slogan que la France ne parvient plus à entonner », Blick.