Art contemporain

Polygraphe – sur « Immortelle, vitalité de la jeune peinture figurative française »

Critique d'art

Elle vient de s’achever mais « Immortelle », panorama inédit et ambitieux de la jeune peinture figurative française, restera comme une exposition marquante par le sens de son engagement. Entre les murs conjoints des deux centres d’art montpelliérains, le MO.CO. et le MO.CO. Panacée, s’est ainsi opéré un partage des missions de cet art noble entre réalisme à propos, travaux d’actualité et sujet du souvenir.

Au seuil de l’exposition, dans cet entre-deux bourgeois, sur les murs d’un hôtel qui s’appelait, autrefois « des collections », on est tout de suite saisi par l’ensemble des adjectifs qui accompagnent le titre de l’ensemble. Vitalité, jeune, figurative et française sont donc l’ensemble des qualificatifs qui viennent ici nous raconter la peinture que l’on montre, et ce que l’on en fait.

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Probablement l’œuvre d’Alison Flora fera-t-elle, à sa manière, la synthèse la plus probante de cet enchainement bouleversant. Les Coquillages ou Feu de Joie sont deux pièces présentées avec forte délicatesse dans l’exposition « Immortelle » au MO.CO. de Montpellier. Elles ont la particularité d’avoir pour technique « peint avec du sang humain sur papier. » Singularité du médium et des manières de faire, c’est aussi dans les méthodes d’exécution que s’écrivent les approches figuratives comme la « vitalité » de ce dernier tour de sang. Immortelle vous avez dit ? Réalisé à la sanguine, lente, sérieuse, consciencieuse est la réalisation et la conception du peintre, mais preste aussi se fait l’exécution, comme le témoin et la preuve d’une ambition des commissaires : une exposition « de combat » laquelle aura fait des victimes. There will be blood.

Donner à voir la vitalité de la peinture n’est pas une mince affaire tant cette dernière occupe, dans notre imaginaire artistique, une place à part. On l’aura faite fantomatique, critique, abstraite, réaliste puis néo-réaliste, moderne, contemporaine, post-moderne… Au sortir d’ « Immortelle » et des deux espaces qui la composent, elle nous semble avant tout plurielle, riche mais aussi inégale et défricheuse. « Immortelle » est avant tout, hors de son chapitrage, une exposition marquante par le sens de son engagement, et cela pour une ou des générations d’artistes pionniers, dans l’éternelle redécouverte voulue de l’art pictural.

Finir en beauté

En juin 1981, le critique d’art Bernard Lamarche-Vadel organise dans son appartement parisien l’exposition « Finir en beauté ». Hasard du calendrier (ou non) cette date marque également l’ouverture d’une nouvelle période pour l’implication étatique dans le champ culturel, marqué par les colonnes de Buren, la création des Fonds régionaux d’art contemporain et l’art conceptuel. Le projet de Lamarche-Vadel marque, pour sa part, la naissance du mouvement de la figuration libre et ses très jeunes protagonistes dont Catherine Viollet, Robert Combas ou encore Jean-Michel Alberola. Si aucun d’eux n’apparaît, chronologie oblige, dans l’exposition du MO.CO., des dynamiques similaires sont évidentes sur les cimaises de la noble institution montpelliéraine, figuration et jeunesse oblige. Les rencontres, à propos, entre les travaux Stéphane Pencreac’h, Damien Deroubaix ou encore Iris Levasseur nous permettent d’entrevoir, entre les générations, les dialogues d’une manière de faire et d’échanger sur la peinture. On le comprend rapidement, la peinture si souvent enterrée doit se montrer « Immortelle » « en beauté », quitte à se faire parfois morte-vivante. Et de nous rappeler ainsi que le medium dialogue en permanence avec son époque. On le croit parfois de passage mais il devient le lieu des savoirs secrets, comme l’indique l’ouvrage éponyme de David Hockney (2001).

Ainsi, « Immortelle » enfile à de nombreuses occasions, les habits d’un « salon ». Elle prend à de nombreux moment le tour de l’ouvrage posé sur l’établi de l’Histoire pour s’écrire à nouveau. Aucun doute que l’exposition fera date dans sa mise en œuvre, son sujet et ses principes éclectiques, mais aussi dans l’ampleur et le gigantisme de son invitation. On se trouve, à plusieurs endroits, comme l’aurait dit Baudelaire « dans l’hôpital de la peinture ». S’y opère alors un partage des missions de cet art noble entre réalisme à propos, travaux d’actualité et sujet du souvenir. C’est ici que l’on apprécie plus encore des travaux « miroirs » de notre vie moderne à l’image des œuvres d’Eva Nielsen, de Marine Wallon ou encore de la formidable Axel Pahlavi. Ici comme ailleurs : « Les un.es vendangent parfaitement et à pleines mains dans les vignes dorées et automnales de la couleur, les autres labourent avec patience et creusent péniblement le sillon du dessin. » Plus sérieusement nous y croisons l’allégorie éternelle puis l’exercice, sans pareil, de ce paysage vu depuis une fenêtre (Eva Nielsen) et d’une métanoia (Axel Pahlavi).

Parano

« Il est donc parfaitement inutile de se réjouir du retour de la peinture ou de le regretter, comme il serait vain de gloser sur la mort de la littérature ou de la musique. » Voici ce que nous explique en ouverture du catalogue le directeur du MO.CO. Numa Hambursin. Affirmant dès lors la question du contrecourant dans le médium artistique, il frappe, provocation à l’appui, les bornes du projet. C’est ici notamment que se pose la question de la filiation avec Lamarche-Vadel armé de cette question provocante dans sa contemporanéité : « Pour quelles raisons selon-vous la peinture est-elle (en 1986) toujours un moyen crédible de faire de l’Art ? » Alors, c’est dans ce dialogue des mediums que s’écrit le propos de l’exposition. Un corps à corps de la « peinture rétinienne » avec l’art conceptuel entre rejet et attraction, le plaisir de l’œil contre la trajectoire de l’esprit et de sa visualisation.

L’une des forces de l’exposition se trouve probablement dans l’appareil critique qu’elle met à disposition du regardeur. En témoigne le projet fleuve et formidable de Thomas Lévy-Lasne, « Les Apparences », qui donne, chaque semaine, la parole et l’image, à un·e artiste peintre via les réseaux sociaux. L’exposition comme le projet de Thomas Levy-Lasne joue de cette profusion et de la richesse qui compose les scènes picturales françaises. Il s’agirait ici de célébrer un « âge d’or » de la peinture, celui d’une « bataille enfin gagnée. » Néanmoins, nous le savons depuis le temps, la question d’un « âge d’or » comme des clashs artistiques est en de nombreux points celui d’une mythologie artistique à l’image de Booba et Kaaris. Un rapide survol de l’histoire contemporaine de l’Art nous permet d’observer cet éternel retour de la peinture qui vient, à sa manière, écrire notre contemporanéité hors des querelles de clocher.

Fort de ces constantes, le texte d’Amélie Adamo qui conclut le catalogue de l’exposition ouvre solennellement le débat dans un certain manichéisme : « La peinture est partout, dans les musées, dans les galeries et les foires les plus prestigieuses, sur Instagram. » C’est ici que se donne à voir avec talent l’exposition dans l’image produite d’une génération de peintre, laquelle est aujourd’hui sur le devant de la scène, à la mesure du talent qu’elle partage. En cela, on ne peut rester insensible aux œuvres de Jean Claracq, peintre de miniatures et d’icônes qui décrit avec précision les univers de la communauté gay par le biais de référence à l’histoire de l’Art et particulièrement aux écoles d’Europe du Nord. Force est également de soutenir l’analyse de la commissaire concernant les réseaux sociaux. Oui la peinture (et les arts visuels en général) vit des heures fastes sur les réseaux sociaux, entre outil de médiation et de diffusion. Elle trouve de nouveaux interprètes et de nouveaux interlocuteurs et interlocutrices bavards et soucieux de découvrir auteurs et sujets. Autre manière de faire vivre la discipline, il s’agit aussi d’observer la rupture qu’elle constitue à travers le format de l’écran, sans contrainte de distance ou de conservation, l’œuvre voyage et se diffuse, permettant aussi une relation directe avec son auteur.

Désir de voir

Autre signe de cet engouement pour la jeune peinture figurative avec un ensemble d’expositions sur le territoire lesquelles mettent en avant le figuratif et affirme de fait sa fameuse vitalité. Alors, comment interpréter ce regain d’intérêt ? S’agirait-il, comme cela a pu être le cas dans l’analyse de Pierre Bourdieu sur Edouard Manet[1] d’une « révolution symbolique » à entendre ici dans les conditions de possibilités et le déroulement de celle-ci. Elle s’écrit à partir d’un nouveau paradigme pictural et de l’exemple de la conversion collective qui, à la fin du XIXe siècle, a totalement bouleversée la manière de comprendre et de produire la peinture. Cette « révolution symbolique » se situerait dans notre « œil » moderne, notre culture visuelle à l’image de la prédominance des réseaux sociaux et dont notre histoire est le produit. De fait, la dimension contemporaine de ce phénomène est en soi particulièrement difficile à étudier. Une « révolution symbolique » implique, en effet, de comprendre des logiques et des mécanismes que la réussite de cette révolution a, précisément, rendus soit incompréhensibles soit invisibles.

Un sentiment similaire peut se retrouver ici chez nombre d’artistes pourtant bloqués dans l’analyse par leur nombre et leur pluralité. Néanmoins, il nous appartient, comme on peut le voir avec Olivier Masmonteil, avec Elodie Lesourd ou dans l’œuvre de Xutang Chén de regarder les modalités de réalisation de cette transformation de nos schèmes de perception esthétique. Bourdieu dans le Manet s’intéresse au parcours et à l’œuvre d’un peintre en particulier, et cela dans la mesure où, à travers les controverses provoquées par ses toiles, Manet permet de « rendre patente l’implicite de l’institution […], de briser les évidences de la doxa, de tout ce qui va de soi.»

Également, la grande conversation collective engagée par les commissaires de l’exposition nous invite à réfléchir cette question de la consécration de la création et, plus localement, de la peinture. Cette peinture qui se poserait « face à l’Histoire » comme l’écrit Amélie Adamo dans le catalogue de l’exposition. C’est ce qui semble être lourdement critiqué dans cette histoire de l’Art récente qui se retrouverait dans « Immortelle », dans un combat contre le monopole de la consécration, c’est‑à‑dire de la production des œuvres achetées, exposées et médiatisées. Aussi, comme toute réflexion symbolique, la « jeune peinture figurative » nous invite à interroger comment on est passé d’un système simple à un système complexe où il semblerait exister plusieurs mondes de l’art entre et de la figuration.

Il s’agit ici, considérant tour à tour les transformations du système de formation et de l’accueil des expositions, l’insatisfaction d’un nombre croissant d’artistes et d’auteurs qui peinent parfois à trouver une place dans le système académique, les effets d’un monde culturel jacobin, les évolutions techniques mais aussi les choix de l’État de plus en plus proche des fondations privées qui essaiment en France, l’invention toujours plus importante de nouveaux circuits pour la commercialisation des œuvres. De fait, au regard d’un modèle multifactoriel complexe on ferait ici face à une exposition sous la forme d’une révolution « de salon », chaque facteur étant lié plus ou moins directement aux autres.

C’est peut-être en revenant vers le geste que la peinture figurative trouve sa meilleure représentation et la plus caractéristique. Nathanaëlle Herbelin expose ici Simon et Sabrine une toile de 2022. Deux personnages accoudés sur un canapé vert nous regardent de face. Ils posent singulièrement leurs bras sur une toile velours, dans un mouvement ample, laissant voir leurs sous-vêtements et leur corps velus. Les lignes du tableau sont relativement évidentes et pourtant quelques choses interroge dans leur position et leur assise. À l’expression du corps répond l’incertitude de la composition qui capte le regard. À propos de sa peinture l’artiste écrit : « J’ai un lien fort avec la notion de documentation et de commémoration voir de perpétuation. Comme si, grâce aux peintures, l’esprit du sujet restait non seulement vivant, mais présent, parmi nous. » Immortelle donc.

L’exposition « Immortelle, vitalité de la jeune peinture figurative française », en deux volets, au MO.CO. Panacée du 11 mars au 7 mai 2023, et au MO.CO. du 11 mars au 4 juin 2023, à Montpellier.


[1] Pierre Bourdieu, Manet, une révolution symbolique : Cours au Collège de France (1998-2000), Seuil, 2000, 784 pages.

Léo Guy-Denarcy

Critique d'art

Notes

[1] Pierre Bourdieu, Manet, une révolution symbolique : Cours au Collège de France (1998-2000), Seuil, 2000, 784 pages.