Littérature

Ghostwriters de nos vies – sur Trust de Hernan Diaz

Écrivain

Avec Trust, Hernan Diaz livre un grand roman démystificateur, une machine de guerre qui déconstruit le rêve américain dans ses dimensions les plus intimes comme les plus collectives, comme si ce roman voulait faire éclater le noyau intime de la crise de 1929, modèle de toutes les crises du capitalisme jusqu’à aujourd’hui. Trust vaut avertissement : dans l’économie de l’attention qui dicte nos comportements, nous sommes investis d’un pouvoir d’écriture paradoxal, celui d’écrire les fictions mobilisatrices qui nous gouvernent.

Auréolé de son succès outre-Atlantique, Trust, le roman de l’auteur américano-argentin Hernan Diaz débarque en France (traduit par Nicolas Richard, éditions de l’Olivier). Lors de sa sortie aux États Unis au printemps 2022, Trust a fait sensation. Il a reçu un accueil critique unanime et s’est retrouvé en tête des ventes de best-sellers du New York Times, succès inattendu pour une fiction historique d’une grande complexité mais qui « vibre de l’énergie des crises d’aujourd’hui » comme l’écrit la Harvard Review.

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Choisi par Barak Obama parmi ses dix livres préférés, il a obtenu le Prix Pulitzer 2023 (fiction). Un an après sa publication, Trust inspire déjà une série HBO coproduite par l’auteur et Kate Winslet qui en sera l’actrice principale. La série pourrait connaître le même succès que Succession, la saga inspirée de la famille de Rupert Murdoch, qui racontait la fin de règne d’un magnat des médias.

Mais là ou Logan le patriarche de Succession se refusait à transmettre son empire construit de ses propres mains, Andrew Bevel alias Benjamin Rask (son double fictionnel) est le dernier d’une lignée de capitalistes dont le roman explore, en une sorte de coupe architecturale, les différentes phases historiques. « Je suis un financier dans une ville dominée par des financiers. Mon père était un financier dans une ville dominée par des industriels. Son père était un financier dans une ville dominée par des marchands. Son père était un financier dans une ville dominée par une société soudée, indolente et moralisatrice, comme la plupart des aristocraties provinciales. » Une famille à histoires dont le couple que forme le banquier et son aristocrate d’épouse constituent la matrice, un hybride d’aristocratie et de capitalisme.

Des histoires à la fois intime et sociales, captées par le double objectif de Diaz (le grand angle et le gros plan), qui saute sans cesse de l’intime à l’histoire sociale et entrelace les épisodes de l’histoire du couple de banquiers et les cri


Christian Salmon

Écrivain, Ex-chercheur au CRAL (CNRS-EHESS)