Littérature

Faussaire de vie – sur Le plus menteur d’entre nous de Nicole Lapierre

Critique Littéraire

Il avait un nom invraisemblable – Ulysses Moïse – se disait noir américain à Paris, et juif aussi, avec un père asiatique, il évoquait ses amis célèbres, qui pour certains découvrirent son existence à sa mort (mystérieuse). Nicole Lapierre l’a rencontré en 1968 à Nanterre, plus de cinquante après elle livre une belle et délicate enquête littéraire sur Le plus menteur d’entre nous.

C’était un faussaire. Il ne fabriquait pas de faux papiers (enfin, pas vraiment), il ne copiait aucun peintre, ne frappait aucune monnaie, mais il s’inventait des aventures à n’en plus finir, se présentait aux autres en déroulant un ruban d’origines et d’aïeux dont le mélange était exotique, des héritiers d’histoires qui n’avaient rien à voir les unes avec les autres, et qui toutes étaient prestigieuses.

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Des victimes, il en avait derrière lui, il en avait sous le pied. « Quel splendide cumulard ! », écrit Nicole Lapierre. L’essayiste et sociologue, autrice de Sauve qui peut la vie (Seuil), un récit littéraire récompensé du Prix Médicis Essai en 2015, a bien connu ce menteur. Il appartenait à sa bande d’amis lorsqu’elle avait vingt ans. Le nom de cet original était invraisemblable, Ulysses Moïse, « Ulysses avec un « s » à l’américaine, évidemment) ». Il est mort en 1991, des suites d’une maladie qui n’a pas été précisée ; la cause en est restée floue. Ulysses était jeune pour mourir, âgé seulement d’une quarantaine d’années.

Après son décès, les langues se sont déliées et ses amis ont réalisé que ceux qu’Ulysses prétendait fréquenter – Barbara Hendricks, Isabelle Adjani, le philosophe Habermas, ainsi qu’une ribambelle de femmes séduisantes avec lesquelles il aurait entretenu des relations amoureuses – n’étaient pas du tout ses proches. Après l’enterrement, quelqu’un du groupe a téléphoné à Habermas, pour l’avertir : « « Moïse, votre disciple, est mort. » Après un moment de perplexité, le philosophe s’est vaguement souvenu que quelqu’un lui avait demandé de signer un papier pour une bourse à ce nom. C’était bizarre mais, ébranlés par ta disparition, on n’y a pas prêté attention. On s’en est souvenu plus tard ». Nicole Lapierre garde un ton neutre quand elle remet les pendules à l’heure ; la vérité parle d’elle-même et cette impassibilité donne à son livre un mélange d’affection et de piquant.

Elle avait rencontré ce personnage « très attachant » en 1968, à N


Virginie Bloch-Lainé

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