Littérature

Manière de dire – sur Veilleuse du Calvaire de Lyonel Trouillot

Écrivain

Veilleuse du Calvaire adopte pour s’y risquer le mode de l’allégorie pour raconter une colline abîmée par la violence et la cupidité des hommes au long des trois dernières générations. La colline vaut ici pour le tout, bien entendu : cela se passe d’évidence en Haïti, mais cela pourrait hélas se passer dans bien d’autres endroits du monde.

«Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience », disait René Char, ainsi que le rappelle Lyonel Trouillot en exergue de Veilleuse du Calvaire.

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Cela vaut pour le roman aussi bien, et celui-ci revendique expressément, dès ses premières pages, la quête potentiellement troublante d’alternatives narratives : qu’on ne s’attende pas, sur fond d’une terrible et hélas constante dégradation des formes de (sur-)vie en terres haïtiennes, à embarquer dans une narration se réclamant de « la belle langue des chroniqueurs » pour dérouler dans une chronologie sagement ordonnée une « phrase qui fait dans la dentelle, prend le temps de choisir ses mots, de poser comme pour une photo », une phrase « d’enfant gâté flottant dans la distance qui donne droit à l’humour, l’élégance, le bon rythme, le style ».

Alors que les médias occidentaux détournent pudiquement les regards d’Haïti, comme le notait Lyonel Trouillot à l’occasion d’un article paru dans AOC en décembre 2020 (c’est bien parce que « la mort au quotidien est moins spectaculaire qu’une catastrophe naturelle », notait-il alors, que « la légende d’un pays maudit dont l’histoire est constituée d’une succession de petits et de grands malheurs s’est subtilement infiltrée même chez des esprits savants qui ont, sur d’autres sujets, fait métier de comprendre et de penser »), la situation de l’île que les colons français appelaient autrefois « la perle des Antilles », aujourd’hui livrée aux gangs meurtriers, est si catastrophique que l’urgence commande de chercher une autre manière de raconter : une manière susceptible, peut-être, d’ouvrir d’autres perspectives à ce qui se raconte, et par là même d’ouvrir des brèches dans un avenir sinon ruiné d’avance, du moins miné par les outrances et les secrets des générations précédentes.

Veilleuses du Calvaire adopte pour s’y risquer le mode de l’allégorie, empruntant la voix d’une conteuse immémoriale qu’animerait une sorte « d’esprit du lieu » pour racont


Bertrand Leclair

Écrivain, Critique littéraire

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