Temple vide – sur l’exposition « Mark Rothko »
Les faits sont connus et racontés à l’envi : en 1958, après avoir commencé à peindre de grandes toiles pour le très luxueux restaurant Four Seasons du Seagram building à New York, Mark Rothko commença à émettre des doutes.

Selon la critique et amie Dore Ashton, il déclara : « Quiconque peut manger cette sorte de nourriture pour cette sorte de tarif ne regardera jamais une de mes peintures » ; et selon l’écrivain John Fischer, il pestait même plus sèchement encore contre un tel « endroit où les salauds les plus riches de New York vont venir manger et se montrer », au point de vouloir « peindre quelque chose qui détruira l’appétit de tous les fils de pute qui viennent manger dans cette salle. » Rothko finira par annuler la commande, garder les tableaux et rendre le chèque qui lui avait été avancé.
Quand on visite la belle exposition rétrospective qui lui est consacrée à la tout aussi luxueuse fondation d’entreprise Louis Vuitton à Paris, on peut trouver ironique que ses œuvres – parmi les plus chères du marché de l’art – finissent adulées et collectionnées par de semblables salauds, et appréciées par un public des plus privilégiés. Là est tout le paradoxe d’un artiste qui assumait par ailleurs de « fortes sympathies sociales » : « En tant qu’anarchiste, résumait John Fischer, il désapprouvait les gens aisés et critiquait leur goût, mais ses tableaux paraissaient conçus pour finir entre leurs mains. »
Né en 1903 au sein d’une famille juive de l’Empire russe, alors en proie aux pogroms, Markuss Rotkovičs arriva aux États-Unis âgé d’à peine 10 ans. De Dvinsk (actuelle Lettonie), où il suivit l’école talmudique, à Portland dans l’Oregon, le décalage fut brutal. Rien ne disposait alors le jeune Markuss – qui changea de nom après l’obtention de sa nouvelle nationalité en 1938 – à devenir l’un des principaux représentants de la peinture américaine aux côtés de Jackson Pollock, Barnett Newman et Clyfford Still.
On souligne souvent – en général avec lyrisme et grandi