Société

Invisibles mosquées de France

Architecte urbaniste

Dans un contexte où l’Islam, pourtant deuxième religion du pays, est présenté par certains comme antithétique de la « civilisation française », les manifestations de la foi islamique apparaissent comme les indicateurs d’une menace sécuritaire généralisée. Les mosquées en sont le point focal, symboles physiques d’une religion perçue comme une menace.

Étrangère. C’est ainsi que l’Islam fait, depuis toujours, partie de l’Histoire de France. Des croisades aux colonies d’Afrique du Nord, l’identité française s’est construite en contrepoint d’une religion perçue dans sa différence fondamentale, incarnation de l’autre.

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On compterait aujourd’hui près de cinq millions de citoyen.nes musulman.nes en France. Pour cette communauté, l’accès à des lieux de culte est une nécessité ordinaire, relevant du quotidien. Mais pour l’État français, leur gestion relève du ministère de l’Intérieur et de son bureau central des cultes.

Le nombre et la capacité des mosquées françaises sont notoirement sous-dimensionnés[1]. Leur construction reste un processus long et difficile, dans le contexte si particulier de la pratique des religions en France et des restrictions concernant leur financement public. L’imaginaire même des fidèles reste tributaire des lieux d’origine des parcours d’immigration, consolidant l’image d’un Islam étranger au paysage national. Pour l’architecte, le constat est d’autant plus amer qu’il relève de l’évidence : l’architecture publique des mosquées françaises ne reflète ni la diversité de la communauté musulmane française, ni ses besoins.

Les mosquées les plus visibles du pays transposent en France les codes de l’architecture islamique d’Afrique du Nord. C’est le cas, par exemple, de la Grande Mosquée de Paris, ou de celle de Strasbourg. Les débats entourant cette architecture et la nature exacte des éléments censés la caractériser se focalisent d’ordinaire sur sa capacité à s’intégrer au paysage national. L’Islam étant perçue comme étrangère, la visibilité de ses fidèles vient heurter la plupart des discours politiques.

La visibilité de la prière, celle de la religion peut-être, sont présentées au public comme l’échec d’un processus d’intégration. En particulier, les responsables locaux semblent partager l’objectif de réduire la visibilité de la prière musulmane, privilégiant l’établissement de « salles


[1] On compte moins d’une mosquée pour 1 200 fidèles en France, pour la plupart de simple salles polyvalentes, Le Monde, 08/04/2015.

[2] Naomi Davidson, Only Muslim, Cornell University Press, 2012 ; Marcel Maussen, « The Governance of Islam in France: Church-State Traditions and Colonial Legacies. », in Religious Newcomers and the Nation State: Political Culture and Organized Religion in France and the Netherlands, eds. Erik Sengers and Thijl Sunier (Eburon Academic Publishers), 131–154, 2010.

[3] Gilles Kepel, Les Banlieues de l’islam. Naissance d’une religion en France (The suburbs of Islam. Birth of a Religion in France), éditions du Seuil, 1987.

[4] Gilles Kepel, Ibid.

[5] L’historien Michel Renard a examiné les motivations pour la poursuite d’un tel projet, soulignant que, outre les motivations philanthropiques et politiques – et dans le contexte de la pacification coloniale de l’Algérie – il y avait « aussi des motivations religieuses car les Musulmans sont considérés plus proches du christianisme romain que ne le sont les Juifs ». Michel Renard, « Les prémisses d’une présence musulmane et sa perception en France – Séjours musulmans et rencontres avec l’islam », Arkoun, 2e partie, chap. II, p. 573-582, 2006.

[6] Gerbert Rambaud, La France et l’islam au fil de l’histoire : Quinze siècles de relations tumultueuses, Le Rocher, p.32, 2017.

[7] Elsa Provenzano, « Bordeaux : Une mosquée veut un abri extérieur pour faire face à l’afflux de fidèles, la ville refuse », 20 Minutes, 30/01/2023.

[8] Fanny Ohier, « Pleine à craquer aux heures de prière, la mosquée de Cenon s’agrandit », France Bleu, 14/05/2019.

Meriem Chabani

Architecte urbaniste, Fondatrice de l’agence New South

Notes

[1] On compte moins d’une mosquée pour 1 200 fidèles en France, pour la plupart de simple salles polyvalentes, Le Monde, 08/04/2015.

[2] Naomi Davidson, Only Muslim, Cornell University Press, 2012 ; Marcel Maussen, « The Governance of Islam in France: Church-State Traditions and Colonial Legacies. », in Religious Newcomers and the Nation State: Political Culture and Organized Religion in France and the Netherlands, eds. Erik Sengers and Thijl Sunier (Eburon Academic Publishers), 131–154, 2010.

[3] Gilles Kepel, Les Banlieues de l’islam. Naissance d’une religion en France (The suburbs of Islam. Birth of a Religion in France), éditions du Seuil, 1987.

[4] Gilles Kepel, Ibid.

[5] L’historien Michel Renard a examiné les motivations pour la poursuite d’un tel projet, soulignant que, outre les motivations philanthropiques et politiques – et dans le contexte de la pacification coloniale de l’Algérie – il y avait « aussi des motivations religieuses car les Musulmans sont considérés plus proches du christianisme romain que ne le sont les Juifs ». Michel Renard, « Les prémisses d’une présence musulmane et sa perception en France – Séjours musulmans et rencontres avec l’islam », Arkoun, 2e partie, chap. II, p. 573-582, 2006.

[6] Gerbert Rambaud, La France et l’islam au fil de l’histoire : Quinze siècles de relations tumultueuses, Le Rocher, p.32, 2017.

[7] Elsa Provenzano, « Bordeaux : Une mosquée veut un abri extérieur pour faire face à l’afflux de fidèles, la ville refuse », 20 Minutes, 30/01/2023.

[8] Fanny Ohier, « Pleine à craquer aux heures de prière, la mosquée de Cenon s’agrandit », France Bleu, 14/05/2019.