Littérature

Volupté de l’effacement – sur Au grand jamais de Jakuta Alikavazovic

Écrivain

Parmi tous les récits centrés sur la figure maternelle dont regorge cette année la rentrée littéraire, Jakuta Alikavazovic trace une voie singulière. Dans Au grand jamais, elle déploie une enquête impossible sur une mère dont le mystère s’épaissit au fur et à mesure que l’on essaie de la saisir, et livre un récit puisant sa densité au cœur même de cette disparition.

Il serait réducteur de lire le dernier roman de Jakuta Alikavazovic Au grand jamais sous le prisme exclusif de la figure maternelle qui domine la rentrée littéraire. S’il y a bien une mère dans ce roman, elle ne se laisse pas approcher ni définir par des critères psychologiques, physiologiques ou sociologiques. C’est une mère sans qualités, ni traits de caractères.

publicité

L’incipit du roman l’avoue d’emblée : « Ce n’est pas moi qui l’ai trouvée » affirme la narratrice, comme on le dit du corps d’une personne décédée mais aussi d’un objet perdu. Morte et perdue à la fois. Cette mère, contrairement à sa fonction naturelle, n’est pas donnée, elle a disparu. Plus encore, selon sa narratrice de fille : elle n’aspirait qu’à ça, disparaître. « Je crois être la seule à le savoir. À mesurer l’étendue du scandale. Elle a disparu. Pas corps et biens, pas comme dans les films et les romans noirs ; mais d’une autre façon. Sans laisser de traces. Sans même d’absence pour faire évènement. (…) Elle s’était absentée d’elle-même. Cette femme qui, à vingt-quatre ans, était arrivée à Paris avec un jeu de clés qui ne lui appartenait pas et une volonté, une curiosité, un désir qui étaient bien à elle – cette femme qui portait des robes d’un rose éclatant, explosif – cette femme qui s’était déguisée un jour en Vénus de Milo – cette femme s’était laissée glisser dans la banalité comme dans un bain. Elle avait disparu et je lui en voulais. Je lui en voulais amèrement. Plus que je ne me l’admettais à moi-même. Elle m’avait trahie. En renonçant au rose, elle m’avait trahie. En renonçant à la poésie, elle m’avait trahie. (…) »

À la question du père, dans son précédent récit (Comme un ciel en nous) : « Et toi, comment t’y prendrais-tu pour voler la Joconde ? », la narratrice en substitue une autre : « Comment ma mère a-t-elle disparu ? Sa réponse, empruntée à la magie des comptines enfantines et à la sorcellerie des légendes, tient en un seul mot : « évaporation ». Comment ma mère a-


Christian Salmon

Écrivain, Ex-chercheur au CRAL (CNRS-EHESS)