Histoire

Étienne Anheim : « L’histoire ne peut pas répondre à toutes les difficultés de la société française vis-à-vis de son passé »

Journaliste, Journaliste

Les 21e Rendez-vous de l’Histoire s’ouvrent ce mercredi 10 octobre à Blois. L’occasion d’interroger le médiéviste Étienne Anheim à propos de cet enthousiasme public pour le passé, d’évoquer les bonheurs que procure à l’historien professionnel mais aussi les problèmes que lui pose cet engouement. L’occasion aussi de parler longuement de la manière dont il travaille et se trouve, à son tour, travaillé par l’histoire.

Médiéviste, Étienne Anheim a dirigé, jusqu’à une date récente, la très célèbre revue Annales. Histoire, Sciences Sociales, avant de prendre la responsabilité des éditions de l’EHESS, une école où il enseigne la sociologie historique de la culture en Europe au Moyen-Âge et à la Renaissance. Se pliant en 2015 au dernier exercice scolaire désormais requis par la carrière universitaire, il a présenté un « mémoire de synthèse » dans lequel, selon l’usage, il revient sur son parcours biographique et intellectuel. Ce texte riche, qui propose un portrait de l’historien en travailleur lui-même travaillé par l’histoire, paraît cet automne (Le Travail de l’histoire) et nous offre l’occasion de revenir avec l’auteur sur la place et le rôle des historiens professionnels au moment où ils sont la cible de polémistes qui se mêlent fort différemment de s’occuper du passé. L’occasion aussi d’évoquer les conditions de travail et de publication des chercheurs en sciences sociales comme la question de leur enseignement souvent problématique dans le secondaire. RB et SB

Dans son nouveau livre, le polémiste Eric Zemmour attaque les historiens professionnels. Gérard Noiriel a choisi de lui répondre vertement dans Le Monde. Ce nouvel épisode illustre parfaitement l’un des constats de départ de votre livre, Le Travail de l’histoire : les historiens professionnels n’ont pas le monopole de l’histoire. Quelles conséquences cela emporte-t-il ?
La polysémie du mot histoire produit souvent des dialogues absurdes. Non que le texte de Noiriel soit absurde, j’en partage l’essentiel de l’argumentation. Simplement lorsque Zemmour dit « histoire », il parle d’autre chose que de ce qu’est, en effet, l’histoire pour les historiens professionnels. Éric Zemmour a évidemment le droit d’écrire sur le passé comme les gens qui le veulent. Si l’histoire veut dire le passé d’une société, n’importe qui peut prononcer un jugement sur ce passé. Si l’histoire, en revanche, désigne une discipline qui dispose de règles, d’une communauté s’occupe de ce passé pour en proposer une forme scientifique de connaissance, alors il s’agit d’autre chose, et il faut respecter ces règles. Le fait que Zemmour attaque les historiens de métier, au nom d’une idéologie ou d’une position politique, et en raison des effets que produisent leurs savoirs en termes de déconstruction du passé, me semble en tant que scientifique totalement absurde. Zemmour parle d’autre chose que de mon métier, il parle d’un rapport fantasmé à l’histoire, qu’on peut apprécier ou non, mais qui est sans lien avec le projet d’histoire comme science. Comme mes collègues historiens mais aussi sociologues, anthropologues, économistes etc., je fais partie des gens qui pensent que les sociétés humaines sont l’objet d’une forme de connaissance scientifique. On peut discuter de ce que veut dire « scientifique » mais nous partageons des protocoles de recherche et, au-delà de nos désaccords, nous proposons dans nos publications des interprétations construites qui n’ont rien à voir avec l’investissement affectif, politique ou éthique dans le passé. Bien sûr, les chercheurs ont aussi des investissements de ce type, dans la vie en général et dans leurs objets, mais précisément, les règles et les procédures sont faites pour en contrôler les effets. Zemmour fait l’inverse : il part d’une vision affective et politique pour construire son discours sur le passé.

Il conviendrait donc, lorsqu’on est un historien professionnel, de ne pas se soucier des propos d’un Zemmour, de ne pas lui répondre, de lui opposer le silence ?
Il ne s’agit pas de refuser de répondre mais de refuser d’entrer dans un travail qui consisterait à relever une à une les erreurs…  Un historien de métier a autre chose à faire que de lire le livre d’Éric Zemmour et d’engager une discussion « positiviste » et scientifique avec lui ! Ce que peut faire un historien, c’est plutôt souligner que la démarche de ce type de livre n’a aucun rapport avec l’histoire au sens où il l’entend et ainsi de renvoyer le livre de Zemmour à ses présupposés idéologiques. Comme historien professionnel, je ne suis pas là pour dire « Éric Zemmour dit n’importe quoi sur l’histoire au sens scientifique » puisque, de toute façon, Zemmour n’a pas une démarche scientifique . Comme citoyen, en revanche, je peux considérer et dire que je désapprouve son utilisation politique de l’histoire. Je pense que les historiens qui le souhaitent – cela ne relève, à mon sens, pas du devoir – sont toujours bienvenus à intervenir dans l’espace public pour expliquer ce qu’est l’histoire qu’ils font. En quoi cette histoire comporte des limites et pourquoi elle ne peut pas répondre à toutes les difficultés de la société française vis-à-vis de son passé. Elle ne peut pas s’occuper de tous les maux engendrés par la colonisation, par Vichy… Ou résoudre la crise scolaire ! On ne peut raisonnablement pas attendre cela de l’histoire. Il faut toujours le rappeler, tout en affirmant, d’un autre côté, que les sciences sociales permettent de comprendre beaucoup de choses dans la vie et y compris dans la vie quotidienne.

L’histoire fait aussi régulièrement l’objet d’autres types de polémiques, comme celle qui vient d’opposer Johann Chapoutot et Christian Ingrao, auteurs d’un petit ouvrage sur Hitler, et André Loez, qui en a rendu compte dans Le Monde des Livres
Là, il s’agit de tout autre chose ! Je n’ai aucune compétence particulière en histoire du XXe siècle et n’ai pas lu le livre de Chapoutot et Ingrao. J’ai lu le compte-rendu d’André Loez parce que je lis Le Monde des livres. Nous avons là affaire à des gens qui, d’une manière ou d’une autre, se situent dans un espace scientifique. Et que des querelles sur la qualité scientifique d’un livre surviennent, c’est plus que normal, c’est la règle lorsqu’on publie scientifiquement. Il faut savoir accepter que des collègues vous lisent et vous disent que votre livre est mauvais, que votre article soit refusé dans une revue… L’article d’André Loez ne se situe à aucun moment sur le plan d’une controverse idéologique ou politique avec les auteurs du livre. Il consiste à dire simplement qu’il trouve que le livre n’est pas bon, n’est pas convaincant et présente de sérieuses faiblesses scientifiques.

Dans Le Travail de l’histoire, vous écrivez que « l’espace public fonctionne à front renversé par rapport à l’espace savant. » Qu’entendez-vous par là ?
Il ne s’agit pas d’une règle générale, je ne pense pas que l’espace public fonctionne systématiquement à front renversé de l’espace savant. J’utilise cette formule pour désigner certains moments particuliers, lors desquels les règles qui s’appliquent à une discussion critique dans l’espace savant apparaissent complètement inverses à celles qui s’appliquent à la discussion publique dans un espace plus large. Notamment parce que les codes de la rhétorique et de l’administration de la preuve ne sont pas les mêmes. Dans un espace savant, lorsqu’une grande majorité de chercheurs partagent une position ou une hypothèse et qu’un chercheur isolé n’est pas d’accord, la controverse peut connaître un certain degré de violence mais on aura tendance à considérer que la majorité a raison – même s’il arrive (rarement) qu’une contribution isolée fasse exploser un champ scientifique, à la faveur d’une révolution paradigmatique. Pour le dire autrement : l’effet sociologique de la communauté intervient fortement dans le processus de consolidation de la preuve. Déplacée dans l’espace public plus large, la même configuration pourra donner l’impression qu’une conjuration de 50 personnes entend faire taire une personne  seule et très courageuse qui dit la vérité… Dans l’espace public, cette réaction de nature politique n’est pas forcément un mauvais réflexe, mais appliquée à la recherche, dans sa dimension collective, elle peut produire des résultats paradoxaux.

Dans votre livre, vous consacrez d’assez nombreuses pages à un autre épisode polémique : la controverse à propos de la publication en 2008 au Seuil d’Aristote au Mont Saint-Michel de l’historien Sylvain Gouguenheim. En quoi est-ce un cas d’école ?
Si j’ai choisi de revenir sur cette affaire, c’est parce que j’en ai été l’un des nombreux et secondaires protagonistes. Or le livre repose sur des expériences personnelles que j’essaye de reconstruire avec recul et distance pour réfléchir à ce qu’elles révèlent du fonctionnement du milieu. Cette affaire, je la connais bien, j’ai des archives dessus, j’ai des mails, des correspondances, donc je me suis servi de ma propre documentation pour y réfléchir. C’est une histoire qui a cristallisé très tôt des débats autour de l’islam dont on ne soupçonnait pas l’ampleur qu’ils allaient prendre dans les dix années suivantes. C’est donc un cas emblématique, et un cas emblématique dont je pense qu’il n’a pas été bien compris et qui est souvent réutilisé à mauvais escient. Par exemple lorsqu’Alain Finkielkraut s’est servi de cette affaire pour accuser Patrick Boucheron – qui avait pris position contre le livre de Gouguenheim – et, plus généralement la corporation des historiens, d’une forme de terrorisme idéologique qui consisterait à refuser de discuter des thèses sous prétexte qu’elles seraient politiquement incorrectes… Or ce que ne veut pas voir Finkielkraut, qui pourtant ne cesse de convoquer le rationalisme et les Lumières, c’est que si la discussion sur le livre de Gouguenheim a tourné court scientifiquement, c’est parce que le livre posait de ce point de vue d’énormes problèmes. Et c’est là-dessus qu’il convient de discuter ! Le problème posé par ce livre ne relève pas d’abord de l’opinion que l’on devine à l’arrière-plan, mais du fait que l’auteur applique mal les procédures de son métier. Un chercheur ne connaît que très peu de choses de première main. Sylvain Gouguenheim connait très bien certains sujets de recherche, mais Aristote et sa transmission n’en font pas partie. C’est un peu comme Claude Allègre, grand chercheur en géosciences, qui a voulu se mêler de climatologie… De la même manière, si Sylvain Gouguenheim est un grand spécialiste de l’Allemagne médiévale, cela ne lui confère pas de compétence particulière en histoire intellectuelle et en histoire des traductions de l’arabe vers le latin. Voilà ce qu’il nous faut retenir de cette affaire en ce que cela concerne le métier.

Là où les choses se compliquent c’est qu’il n’y a pas deux univers étanches, d’un côté, le monde académique pur et, de l’autre, l’espace du grand public. Il existe de nombreuses institutions hybrides à cet égard. Une maison d’édition comme Le Seuil, par exemple, qui a choisi de publier le livre de Sylvain Gouguenheim. C’est sans doute d’ailleurs ce qui a fait réagir de nombreux historiens à l’époque, choqués que le livre paraisse dans une collection d’histoire réputée et chez un éditeur prestigieux qui venaient ainsi légitimer éditorialement cet ouvrage…
C’est en effet un point très important que je n’ai peut-être pas assez souligné dans mon livre. J’insiste beaucoup sur la manière dont nous devons enrichir scientifiquement l’histoire, avec des normes et des procédures, par la professionnalisation aussi. Mais il est tout à fait vrai que c’est un un idéal-type. Certains collègues universitaires n’appliquent pas les règles de ce que je considère comme la méthode historique. Et, inversement, l’application de ces règles n’est pas réservée aux universitaires de métier : il m’est arrivé de cosigner des articles avec un historien non-professionnel, un amateur au sens le plus radical mais qui a fait des découvertes très intéressantes sur des terrains de recherche que je connais aussi. Ce que je décris dans le livre relève donc plutôt de l’idéal-type, c’est ce que pourrait être la science historique, sachant que ces règles sont à disposition de tout le monde, même si, le plus souvent, il faut une formation particulière pour les mettre en œuvre. Et sachant qu’existe entre cet espace professionnel idéal et l’espace public général un gradient, toute une série d’intermédiaires, dont les éditeurs en effet, qui font partie des passeurs. Parfois le passage d’un univers à l’autre se réalise sans difficulté mais il arrive que cela se passe mal. Une mauvaise décision éditoriale, par exemple. En l’espèce, je pense que le livre de Gouguenheim n’aurait jamais dû être publié dans la collection « L’Univers historique », un livre d’opinion publié dans une collection non scientifique n’aurait pas eu le même effet. Je ne voudrais surtout pas donner l’impression qu’à moi tout seul je pourrais prétendre juger de la bonne et de la mauvaise histoire, de l’histoire scientifique et de l’histoire non-scientifique. En revanche, je pense qu’il est possible de se poser des questions, d’établir des critères, de multiplier les échanges avec des collègues et de produire collectivement des formes de savoir plus robustes que les autres.

Le travail donc, toujours. Un mot que vous affectionnez, qu’on retrouve dès le titre de votre livre, Le Travail de l’histoire, texte qui peut aussi se lire comme un portrait de l’historien en travailleur…
Pour beaucoup de raisons différentes, je suis assez attaché à la notion de travail. À commencer peut-être, en effet, par des raisons d’auto-représentation. L’idée de l’historien de « métier », l’artisan, c’est une vieille idée qui renvoie déjà à l’histoire méthodique de la fin du XIXe, à Marc Bloch ensuite. Mais pour des raisons sociologiques aussi, et là on pourrait aller de Jacques Le Goff lecteur de Gramsci jusqu’à Pierre-Michel Menger. Et pour des raisons psychanalytiques également, avec la question du travail comme perlaboration… Enfin, il me semble que la notion de travail exprime très bien quelque chose du mouvement perpétuel en quoi consiste le fait de s’occuper d’histoire. Un mouvement perpétuel qui prend la forme d’une circulation entre le sujet et l’objet. C’est-à-dire que le sujet historien s’occupe d’un objet qui est l’histoire, le passé, les manuscrits etc. et que cet objet a un effet en retour sur lui. Un effet d’abord immédiat : vous lisez des textes et ça vous change, ça vous transforme. Mais également des effets déjà incorporés : si vous allez voir des manuscrits, c’est aussi parce que vous êtes vous-mêmes le fruit d’une histoire qui fait qu’à un moment donné dans votre vie vous trouvez intéressant d’aller voir des manuscrits, plutôt que d’aller à la piscine ou de faire un autre métier. C’est cette mécanique que j’essaye de décrire. Ce quelque chose qui travaille. Et il me semble important de situer ce travail dans une dimension professionnelle, donc de réfléchir à son ancrage sociologique. Trop souvent les historiens parlent comme des êtres extrêmement abstraits. J’ai voulu, au contraire, souligner le caractère concret du travail d’historien, y compris les aspects pas nécessairement les plus passionnants pour les gens. D’un autre côté, la question du travail, justement, excède très largement cette dimension professionnelle car cette pratique dit quelque chose de ceux qui la mettent en œuvre, elle les transforme et elle transforme aussi le monde autour d’eux.

Vous insistez beaucoup sur la lecture, au point d’écrire que « les historiens sont des lecteurs avant d’être des chercheurs ».
La plupart des gens qui font de l’histoire leur métier ont été des lecteurs et des lectrices pendant très longtemps. On commence à publier des textes scientifiques, disons, autour de vingt-cinq ans pour les plus jeunes collègues. Si l’on estime que les gens apprennent à lire autour de six ans, alors cela fait déjà vingt ans qu’on lit des livres lorsqu’on commence à écrire. Ces vingt années-là ont joué un rôle essentiel pour moi comme pour tout le monde. Pas parce que pour devenir historien, il est utile d’avoir lu des livres, mais parce que l’appétence pour la production intellectuelle historique est toujours nourrie par des livres, qui ne sont pas toujours des livres d’histoire. On peut avoir passé sa jeunesse, sa vie, à lire de la littérature, à lire de la philosophie, à lire de la science-fiction, et continuer ensuite de le faire. Il se trouve que cette forme de connaissance et cette forme de rapport au monde liée à la lecture est essentielle et se prolonge ensuite dans la lecture des collègues. On passe notre vie à lire ; plus de temps à lire qu’à écrire ; et plus de temps à lire des collègues qu’à lire des manuscrits du Moyen Âge. On est des auteurs parce qu’on est des lecteurs et cette dimension de la lecture, y compris de la lecture de textes très différents, est essentielle. Toute lecture a un effet sur la pratique savante qu’on a, de même que toute forme de consommation culturelle, le cinéma, les séries, la radio. Toute lecture propose une vision ou des visions du monde auxquelles vous allez confronter vos propres lectures ou interprétations quand vous êtes aux archives ou quand vous lisez des manuscrits ou lorsque vous faites des entretiens, pour ceux qui font de l’histoire du temps présent. Cela informe la réalité des historiens mais n’est pas toujours visible. Je pense qu’il y a beaucoup d’historiens qui lisent le monde autant à travers des modèles appris dans la fiction littéraire ou cinématographique qu’à travers les sciences sociales. Et que les unes et les autres ont d’ailleurs des échanges peu visibles mais intenses.

La logique voudrait donc que l’enseignement de l’histoire soit pluridisciplinaire. Vous notez qu’au contraire « le système scolaire français, y compris dans les classes préparatoires, contient les sciences sociales dans une position subalterne, alors même que l’enseignement de l’histoire pourrait être le lieu d’une introduction à ces disciplines »
L’histoire est l’exemple type de la discipline extrêmement disciplinée qui peut se concevoir comme une forteresse totalement fermée aux disciplines voisines, avec ses méthodes propres ; et d’un autre côté c’est une discipline-clé pour le dialogue entre les sciences sociales. Il y a là une sorte de paradoxe et la phrase que vous citiez renvoie à l’usage de l’histoire dans l’enseignement secondaire. Il y a une double vocation de l’histoire dans le secondaire : d’une part, on voudrait faire d’elle le moyen d’apprentissage d’un esprit critique, avant la philosophie, une initiation potentielle à une critique qui est de l’ordre des sciences sociales ; et, d’un autre côté, on voudrait faire de l’histoire l’outil de formation du citoyen auquel on va apprendre une histoire nationale et républicaine pour fabriquer de la cohésion. Or ces deux tâches sont contradictoires. Il y a dans l’histoire cette ambiguïté au sens disciplinaire.

Avec une spécificité française qui fait qu’on insiste davantage sur la seconde dimension…
Absolument. Quand on a les yeux sur l’actualité, on a l’impression que l’histoire est le terrain d’une guerre culturelle entre la droite et la gauche. Moi ce qui me frappe comme historien, c’est le degré d’accord des gens engagés dans ces débats et du personnel politique à droite comme à gauche sur la fonction de l’histoire comme maitresse de vie. Il y a un désaccord sur ce qu’elle doit enseigner, du démocratique-républicain ou du national-cohésif, mais un accord profond sur sa dimension édifiante. L’histoire, entre les mains de la représentation nationale, du ministère et de tas de gens très bien intentionnés, c’est un outil de formation à tout sauf à la science et à l’esprit critique. Ce n’est donc pas forcément grâce à l’histoire seule que l’on peut avoir l’accès le plus riche et le plus critique aux ressources des sciences sociales. A titre personnel, j’ai eu la chance de faire une classe préparatoire, d’aller à l’École normale supérieure, et de travailler dans des lieux interdisciplinaires, d’où j’ai tiré beaucoup d’enseignements pour ma discipline. J’ai trouvé assez longtemps que ma propre discipline n’était pas forcément celle où les choses les plus originales et les plus innovantes se produisaient : quand j’avais entre 15 et 25 ans, ce ne sont pas forcément les livres d’histoire qui m’ont le plus marqué, mais j’avais l’impression qu’on pouvait faire des choses en histoire. Et puis j’ai découvert d’autres livres, Duby, Le Goff, Frugoni, Ginzburg. D’un certain côté, l’enseignement de l’histoire en classes préparatoires est extrêmement régressif. De même que l’enseignement en premier cycle à l’université qui est conçu selon des schémas rigides et des périodes rigides, des ouvertures thématiques à l’histoire économique, politique… et des plans à tiroir. Il faut attendre un certain temps avant de commencer à toucher quelque chose d’intéressant dans les études historiques.

Vous avez toujours enseigné dans le supérieur mais il vous êtes arrivé d’intervenir dans le secondaire, comment y diffuser le rapport entre la recherche et l’enseignement ?
Il faut sortir du malentendu classique qui consiste à penser que l’histoire dans le secondaire doit relever de la simplification des contenus et ne présenter que des résultats. Pour moi, l’histoire est une discipline avec une démarche scientifique et expérimentale. Or on n’apprend dans le secondaire et en premier cycle que des résultats ou presque, des « faits ». Vous imaginez si, en physique ou en sciences de la vie, on ne vous apprenait que des résultats ? Sans parler de la démarche et de la démonstration ? Quand je vois les manuels d’histoire, c’est l’effet que cela me fait : c’est un savoir lisse, arrêté, définitif, complet, il n’a pas de trou, pas d’histoire, il n’a jamais été fabriqué… Les thèses sont admises par tout le monde, c’est un bloc de doctrines. La seule préoccupation consiste à savoir si ces doctrines sont à jour. Or, pour moi, le problème c’est beaucoup moins de dire « on fait de l’histoire globale dans la recherche donc il faut qu’il y ait de l’histoire globale dans les manuels », que de dire simplement que l’histoire est une discipline qui pose des questions de construction sociale, de rapport aux sources, de rapport à la temporalité, de critique des témoignages et qu’au lieu d’apprendre des paragraphes serrés sur ce que c’était que l’Église médiévale, ce serait plus intéressant de comprendre comment on peut connaître l’Église médiévale et en quoi elle peut être différente de la perception du fait religieux dans le monde contemporain. La première chose qu’on vous explique quand vous faites de la recherche en histoire du Moyen Âge, c’est que l’Église est une sorte de fait social total. C’est que les gens ne sont pas chrétiens ou pas, ils sont chrétiens comme on est citoyens ou consommateurs aujourd’hui dans un monde capitaliste… Et on sait bien qu’on peut être anticapitaliste et consommer du papier monnaie… La question de l’adhésion individuelle ne se pose pas, donc enseigner l’histoire de l’Église médiévale en classe de 5ème comme si la question centrale était la perception du fait religieux et de la croyance, cela relève du contresens ! Faire l’histoire de l’Église au Moyen Âge, c’est faire de l’histoire des formes de domination sociale et des formes de structure sociale. Et cela on ne peut pas l’expliquer si on ne change pas la perception du fait pédagogique. Donc la recherche a beaucoup de choses à dire à l’enseignement secondaire, mais pas sur le mode de la percolation de nouveaux savoirs, mais sur celui de la présentation de ce qu’est le geste de la recherche, sur ce que cela veut dire que de faire de la recherche en histoire, sur la méthode.

Pour des raisons qui tiennent notamment au rôle de formation de la communauté nationale qui lui a été confié, la discipline historique jouit en France d’un statut social important, sans commune mesure avec la sociologie ou l’anthropologie, deux disciplines qui ne sont pour ainsi dire pas enseignées dans le secondaire. L’histoire c’est important, donc. Et c’est partagé, tout le monde connait l’histoire donc tout le monde a potentiellement quelque chose à en dire… Un peu comme l’école, à propos de laquelle Pierre Bourdieu remarquait que nous étions tous compétents puisque nous y étions tous allés. Cette évidence du rapport à l’histoire produit des enthousiasmes réjouissants, comme le succès des Rendez-vous de Blois, par exemple. Mais on se doute qu’elle pose aussi parfois d’épineux problèmes aux historiens professionnels.
C’est une immense chance et, dans un certain nombre de cas, une difficulté réelle. C’est formidable que les gens s’intéressent à l’histoire au-delà du métier d’historien et je pense que les historiens doivent écrire des livres pour le grand public. C’est fondamental et la demande d’histoire dit quelque chose d’un rapport au temps, au social, au passé, qui doit retenir l’attention des historiens. Répondre à cette demande, c’est la retraduire dans les termes qui sont ceux des outils, des concepts, des méthodes de l’histoire. On doit se saisir de cette demande, non pas pour y répondre par une narration, un grand récit, du national ou du républicain… Mais plutôt en montrant quelle histoire l’historien fait, montrer qu’il y plusieurs manières de s’intéresser au passé : certes il y a Stéphane Bern en un sens, Éric Zemmour en un autre, mais aussi et surtout Georges Duby et Jacques Le Goff. Tentons l’épreuve du passage au public de nos concepts.

Quels sont les moyens de cette transmission ? Patrick Boucheron plaide la nécessité pour l’historien de repenser sa façon d’écrire afin de ne pas s’adresser qu’à ses pairs ou à des amateurs très éclairés, mais pour faire passer l’histoire par l’écriture.
Je pense que le débat sur la fonction sociale de l’historien est aussi ancien que la professionnalisation de l’historien : dès le XIXème siècle on se pose des questions sur les formes d’écriture et les formes de transmission du travail de l’historien. Bloch et Febvre, quand ils font les Annales, ont l’ambition de faire lire la revue dans des cercles cultivés ou chez des décideurs politiques très au-delà des professionnels. Ensuite, Duby, Boucheron, Perrot, Farge, continuent à faire vivre cette idée : il y aurait quelque chose à dire que l’on pourrait transmettre à des gens dont l’histoire n’est pas le métier. Tout le monde n’est pas obligé de faire cela, il y a différents moyens de le faire, il y a des moments dans la vie des gens, et peut-être dans la vie d’une société où la parole des chercheurs est plus ou moins bienvenue. Cela ne concerne pas que l’histoire : il y a des moments où des physiciens, des économistes, tiennent des discours pertinents qui modifient le rapport social au savoir. Cela passe par des formes particulières de prises de parole, des formes d’actions qui sont toutes à réfléchir. Moi, pendant très longtemps, je ne l’ai pas fait. Maintenant je le fais volontiers sur des terrains très différents qui vont des interventions dans des émissions de radio, des interventions dans les journaux sur des choses que je connais bien, à des collaborations avec des auteurs de BD ou à des opérations de reconstructions muséographique et muséologique comme au Palais des Papes à Avignon ou à la Conciergerie de Paris. Il me semble que ce sont des formes importantes de traduction, au sens sociologique du terme : comment on fabrique un discours commun à partir de savoirs qui ne sont pas partagés, comment on trouve les mots, les images, les processus pour faire connaître aux gens des choses qui pourraient sinon rester confinées dans des petits cercles.

Une autre manière de mener ce travail de passeur c’est l’édition. Vous avez fait le choix assez tôt de vous impliquer dans l’édition mais toujours dans un contexte très académique, pourquoi ?
C’est en partie un hasard… ce n’est pas très satisfaisant de le dire ainsi, et cela peut certainement s’analyser sociologiquement, disons que cela relève des circonstances. J’ai eu, quand j’étais jeune, l’occasion de collaborer à la revue Médiévales qui était éditée par les Presses Universitaires de Vincennes, qui s’associaient très précocement et régulièrement – elle le faisait avant moi et ont continué après moi – au comité de rédaction des doctorants et des doctorantes. C’est là qu’intervient l’appétence, et si l’expérience éditoriale m’a intéressée c’est qu’elle offre dans notre métier l’occasion de lire les autres… Et puis il y a, bien entendu, une dimension de pouvoir. Mais pas seulement au sens de l’exercice d’un pouvoir ou l’accumulation d’un capital symbolique, mais surtout le pouvoir – que je prends très au sérieux – de faire lire à des gens des travaux que l’on pense être intéressants. C’est vrai qu’à l’époque je voyais des gens de mon âge ou un peu plus jeunes qui faisaient des thèses, qui publiaient des choses, et j’essayais d’apporter à Médiévales beaucoup d’articles de jeunes chercheurs. J’ai continué à le faire ensuite. Il y a quelque chose d’assez satisfaisant dans le fait d’admirer les travaux de collègues et de se dire on va les donner à lire parce qu’ils en valent la peine. C’est une manière de contribuer à construire l’historiographie en défendant des textes. J’ai une vision très positive de l’édition et d’ailleurs même des textes que j’écris, plutôt que négative. Il m’arrive de faire des comptes rendus critiques, par exemple dans Le Monde des Livres ou dans les Annales, mais je pense qu’il est plus important de défendre les choses dont on pense qu’elles sont bonnes, de les améliorer encore, de les rendre visibles. C’est vrai que mon parcours m’a toujours placé dans la position d’être un éditeur universitaire – aujourd’hui aux éditions de l’EHESS – ou dans des revues savantes. Certains collègues le font très bien chez des grands éditeurs de sciences humaines. Ce n’est pas un refus de ma part, il se trouve que cela ne s’est jamais présenté… Mais je pense que l’édition universitaire a été trop délaissée, en particulier l’édition de livres. Beaucoup de collègues préfèrent publier un article dans les Annales, puis un livre chez Gallimard, Fayard ou au Seuil. Je trouve qu’il est intéressant aussi de réfléchir à ce que peut être un livre publié chez un éditeur universitaire, quelle est sa valeur et sa singularité. C’est ce que j’essaie de faire aujourd’hui aux éditions de l’EHESS.

Là aussi existe une spécificité française : des maisons dites de littérature générale publient encore des textes qui remplissent toutes les conditions académiques. Elles les publient souvent à côté de textes qui eux ne relèvent en rien de ces exigences. Cela peut poser des problèmes, comme dans le cas de Zemmour que nous avons évoqué. D’ailleurs, plutôt que de s’en prendre à l’auteur (qui, tant qu’il ne tombe pas sous le coup de la loi, a le droit d’écrire et de publier toutes les bêtises qu’il veut) ne conviendrait-il pas d’en appeler à la responsabilité éditoriale de ceux qui prennent la décision de publier son livre ? Et, de la même manière, à la responsabilité éditoriale de ceux qui choisissent de l’inviter dans leurs médias pour en parler ?
Je suis absolument d’accord, à mon sens cela relève de l’éthique du métier. Il y a une éthique de l’historien, de l’éditeur, du journaliste… On doit tous savoir, à un moment, ce qu’on fait et avoir conscience qu’on le fait, en assumant les effets produits par notre action. Par exemple, quand on est universitaire, la question de savoir dans quelle mesure on simplifie des choses, dans quelle mesure on répond à l’invitation de telle émission ou d’une autre, dans quelle mesure on accepte de dialoguer avec tel ou tel interlocuteur… ce sont des questions importantes. Je me les pose quand je collabore à une BD par exemple. On sait tous qu’on a des contraintes, économiques, des contraintes de temps qui font qu’on ne fera pas exactement l’objet dont on rêve dans l’absolu. Cela implique de se poser la question de savoir si oui ou non, compte tenu de ces contraintes, on accepte de le faire. Où l’on décide de placer le curseur. Et, inversement, la question doit se poser aussi du côté des passeurs ou des solliciteurs. On ne peut pas se contenter de mettre des idées ou des livres en circulation en se disant que c’est ce que les gens veulent, que ça marche… Si l’on reprend l’exemple de l’affaire Gouguenheim, on voit que si Le Seuil a fait une erreur au départ, il a depuis pris ses responsabilités, tout comme Le Monde des Livres qui en avait fait sa Une à l’époque avec un papier complaisant. Je ne suis pas pour condamner les gens définitivement, il est possible de se rattraper…J’aurais aimé que Gouguenheim dise simplement « avec ce livre, j’ai fait une erreur ». La critique, l’erreur, le retour sur soi, c’est la base de la recherche !

Mais pour bien se poser ces questions éthiques, cela nécessite d’ajouter aux explications purement idéologiques des analyses fines des modèles économiques des maisons d’éditions ou des médias et des logiques spécifiques qui pèsent sur ces décisions éditoriales.
J’allais y venir. En effet, derrière tout ça, il y a des contraintes économiques inéliminables. J’ai vu ça dans tous les espaces où j’ai pu travailler, la contrainte économique est omniprésente jusque dans l’espace universitaire où elle prend des formes propres. Elles génèrent des formes d’arbitrage, de négociation, de résistance. Il ne s’agit pas de dire que c’est mal, la plus grande difficulté c’est de l’identifier. La plupart du temps ce système de contrainte produit des effets négatifs d’abord parce qu’il est aveugle à lui-même avant d’être mal intentionné. A mon sens beaucoup des universitaires, éditeurs ou journalistes qui font des choses dont j’estime qu’ils ne devraient pas le faire ne le font pas parce qu’ils sont mal intentionnés mais parce qu’ils sont acteurs d’un système vis-à-vis duquel ils demeurent aveugles. Et une partie de mon livre consiste à essayer d’éclairer depuis ma place les logiques sociales, culturelles, matérielles de production du savoir dont je suis partie prenante comme d’autres.

Venons-en justement à l’Université, à laquelle vous accordez une large place dans votre livre. Vous ne remettez pas en cause la nécessité de réformer l’université, plutôt la manière de le faire.
C’est un sujet difficile la réforme de l’université, la plupart des enseignants chercheurs ont un avis sur ce qui doit être modifié ou non, donc je ne vais pas à moi tout seul avoir une opinion définitive sur le sujet. Ce que je peux dire, en revanche, c’est qu’on est dans un pays où l’université est méprisée, historiquement, et que c’est un problème. C’est un grave problème social qu’en France les grandes écoles et le système construit autour d’elles aient tant de place par rapport à l’université. Je suis issu des prépas et des écoles, je ne dis pas ça contre elle, mais je constate que la dégradation de l’université pèse très lourd et de façon très négative sur la société française. Après, on pourrait dire que c’est une question de sous-financement, se demander s’il faut la financer par l’impôt ou en augmentant les droits d’inscription, sélectionner ou pas… tout ça ce sont des débats sur lesquels j’ai des positions comme chercheur et comme citoyen. Mais avant cela, il y a une question de dignité. Les universitaires sont dans ce pays, et c’est quelque chose quand même d’assez rare dans le monde, des gens méprisés. Et la plupart des gens importants de ce pays feraient tout pour ne pas confier leurs enfants à des universitaires… sauf en droit ou en médecine. Ce qui est quand même ennuyeux. D’autant plus qu’on met des gens très formés à la recherche devant des publics très peu préparés dès la première année… pendant que les publics les mieux préparés se retrouvent devant des gens moins bien formés en recherche – ce n’est pas une attaque contre mes collègues profs de prépa mais l’observation que, pour la plupart, ils n’ont pas une activité de chercheur… Nous avons donc un système pour le moins déséquilibré. Et je trouve bizarre qu’en France, nous n’ayons pas collectivement une interrogation là-dessus. L’articulation entre classes préparatoires et université est entièrement à repenser. On peut même dire que c’est l’ensemble du premier cycle, depuis le bac, qu’il faudrait en réalité transformer. Et alors même que l’université est méprisée, on lui demande de faire des choses qui relèvent de la science-fiction. Dire que l’université conduit à l’échec, c’est vraiment ce qu’on peut dire de plus injuste à l’égard de collègues qui passent leur temps à aider des populations étudiantes les moins bien formées à être là. Les résultats qu’accomplissent les collègues de premier cycle dans ce pays sont extraordinaires, et dire le contraire c’est tout simplement le comble de l’injustice. C’est maltraiter deux fois les gens, leur donner une tâche impossible, et leur reprocher ensuite leur échec. Cette injustice fondamentale se double d’une espèce de mal français qui vaut aussi pour l’école, cette hystérie systématique de la réforme. On réforme tout le temps, sans arrêt. On épuise les gens. De plus, je peux être d’accord pour la réforme, mais on fait tout et n’importe quoi. L’une des caractéristiques des réformes à la française, c’est d’être à peu près systématiquement jacobine et descendante. Depuis un certain temps ce sont plutôt les principes du new public management qui inspirent ces réformes, mais indépendamment de l’orientation des réformes, une chose est sûre : c’est toujours un petit cercle de gens au ministère qui sait ce qu’il faut faire et qui l’organise. La marge de manœuvre des gens qui enseignent de la maternelle à l’université dans ce pays s’avère d’une étroitesse rare par rapport à ce qui existe dans le monde… On ne se l’imagine pas. Nous sommes entre le fonctionnement militaire et le soviétisme. Voilà le problème finalement, beaucoup de gens ont l’idée de ce qui serait la bonne réforme dans le collège où ils sont, le lycée où ils sont, l’académie où ils sont… mais ça ne peut pas marcher car, au-dessus de la culture de la gauche et de la droite, il y a toujours en France la culture administrative de l’État qui transcende tout. Il n’y a pas de système universitaire en dehors de cette puissance administrative de l’État qui peut, par exemple, décider demain de faire un cycle Bac +4 et Bac +7 après avoir fait Bac+3 et Bac+5, mais sans autre véritable raison qu’une sorte d’exercice aveugle de sa puissance.

Vous plaidez pour une grande réflexivité dans les pratiques. Mais une réflexivité lucide pourrait aussi conduire à considérer ses propres limites : nombre d’universitaires semblent aujourd’hui littéralement clivés de l’intérieur, une moitié d’eux ayant parfaitement analysé le jeu absurde de contraintes dans lequel ils se trouvent pris quand l’autre moitié nourrit scrupuleusement le système en acceptant de prendre sa part des procédures et autres paperasses…
Si l’on entend par réflexivité les instruments des sciences sociales appliqués à soi-même et à son environnement, je suis d’accord : c’est une arme à double tranchant. Ça peut conduire à une forme de schizophrénie, à des formes d’instrumentalisation… Les sciences sociales ne sont pas bonnes par nature… l’essentiel des politiques publiques, du marketing ou des sondages politiques ont été fabriqués avec les outils des sciences sociales. On peut les utiliser pour maximiser ses bénéfices dans son propre univers. Cela peut être aussi utilisé comme une forme de maitrise de son propre environnement. Maitrise qui ne peut passer que par une relative modestie dans ses objectifs. Ce type de position m’a conduit à des désaccords avec des collègues qui la trouve trop modérée. J’ai tendance à penser qu’il vaut mieux réussir à appliquer dans une certaine mesure une position réflexive de façon cohérente avec ses pratiques personnelles, plutôt que de faire le grand écart entre un discours absolument radical et une pratique qui s’en défait tout à fait. Je serais plutôt deuxième que première gauche, en ce sens. Ça ne m’intéresse de tenir une position théorique qu’à mesure que je suis capable de la suivre en pratique… sinon je m’arrête.

Étienne Anheim, Le Travail de l’histoire, éditions de la Sorbonne, 256 pages.


Raphaël Bourgois

Journaliste

Sylvain Bourmeau

Journaliste, directeur d'AOC

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