Michael Taussig : « Il faut vivre ce dont on parle »
Sur le campus de l’université de Columbia à New York où il enseigne l’anthropologie, Michael Taussig est une rock star. D’abord parce que ce spécialiste du chamanisme a participé à des dizaines de rituels sous yage, un puissant hallucinogène, ensuite parce qu’il est réputé pour ses cours qui s’apparentent à des performances. Il aurait un jour donné une conférence avec un sac en papier sur la tête en hommage au mouvement dadaïste. L’unanimité est moins évidente du côté des enseignants, il faut dire que Taussig est un critique assez radical de sa propre discipline. Lorsque l’anthropologie a traversé une crise de représentation dans les années 80, il a fait le choix de prendre un tournant littéraire qui n’a pas été du goût de tous. Dans Mon musée de la cocaïne, il consacre des chapitres à la couleur, la chaleur, la pluie, les mines, un chien qui grogne, les pierres… et propose par cette démarche sensorielle de renouveler l’approche post-coloniale. RB
Comment décririez-vous la spécificité de votre travail d’anthropologue ? D’abord par votre terrain, la Colombie ?
Oui, même si je suis toujours réticent à me définir comme spécialiste d’une zone géographique en particulier. J’ai bien conscience de la nécessité de la spécialisation, surtout dans des disciplines comme la linguistique, la géographie ou l’histoire. Mais j’ai le sentiment que là n’est pas le plus important. Le plus important, c’est l’art de raconter une histoire, que ce soit sous la forme d’un discours, d’un texte ou d’une performance. Donc, si je devais insister sur un point me concernant, je dirais que la principale caractéristique de mon travail tient à sa dimension littéraire. Je me soucie moins de ce qui est représenté, que de la représentation qui en est donnée. Voilà ce à quoi pourrait ressembler mon étendard. Une fois cette précision faite, je suis en effet allé pour la première fois en Colombie en novembre-décembre 1969 – il y a si longtemps ! – et y suis retourné chaque année depuis, avec d