Éducation

Philippe Raimbault : « Les cours à distance ne sont pas une façon de faire des économies »

Journaliste

Continuité pédagogique, évaluation des étudiants, préparation d’une rentrée incertaine… avec le confinement, l’université a dû faire face à des difficultés inédites, et trouver les moyens de s’y adapter. Or les moyens, justement, c’est ce qui manque. Pourtant, pour le juriste Philippe Raimbault, président de l’Université fédérale de Toulouse, la situation n’est pas aussi catastrophique qu’on le dit souvent, il y aurait même là une occasion historique de faire évoluer des pratiques pédagogiques obsolètes.

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L’université fédérale de Toulouse-Midi-Pyrénées regroupe les trois universités toulousaines et la quinzaine d’écoles spécialisées de la région. Philippe Raimbault a été élu à sa présidence il y a tout juste quatre ans, le 1er juillet 2016, après avoir dirigé l’IEP de Toulouse. Il était donc en première ligne pour observer et répondre aux effets de la crise sanitaire, du confinement, sur les différentes structures d’enseignement, et sur des étudiants aux profils variés. Le constat dressé est assez positif, malgré une inévitable période d’improvisation : les universités et les écoles ont tenu le coup. Mieux, elles ont passé un cap vers de nouvelles façons d’enseigner, dites « hybrides », mélangeant les cours à distance et la présence en classe ou en amphithéâtre. C’est en tout cas ce qu’espère Philippe Raimbault, malgré un contexte rendu plus difficile par les mouvements de contestation de la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche, qui fait peser sur l’outil numérique le soupçon de n’être qu’un moyen de faire des économies. Pas si simple selon le professeur de droit public. RB

En tant que président de l’université fédérale de Toulouse, comment avez-vous vécu le confinement ?
Dans les universités, nous avons été un peu surpris de la vitesse à laquelle est arrivée la mesure de fermeture des établissements publics lors de l’annonce du confinement. Nous étions vigilants face à l’évolution du virus et à toutes les conséquences possibles, mais nous ne nous attendions pas forcément, quelques jours avant, à une fermeture aussi rapide. Il a donc fallu organiser en urgence les modalités du travail à distance. Ce que nous avons constaté de manière générale, c’est une grande mobilisation des collègues, à commencer par les enseignants en vue d’assurer la « continuité pédagogique ». Des pratiques, notamment pour les cours à distance, que nous essayions de pousser depuis un certain nombre d’années, parfois en vain, se sont développées grâce à l’urgence. La mobilisation a été tellement importante qu’au bout de quelques semaines, les étudiants ont fait savoir qu’ils trouvaient le rythme un peu trop soutenu !
Nous avons également assisté à une grande mobilisation de nos administrations, dans des conditions qui n’étaient pas forcément évidentes. En effet, tous nos personnels n’étaient pas équipés pour pouvoir télétravailler dans de bonnes conditions, certains d’entre eux devaient évidemment garder leurs enfants en même temps, ce qui ne simplifiait pas les choses. De ce point de vue, ce qui s’est passé, de manière générale, apparaît extrêmement satisfaisant et témoigne de l’attachement au service public, de la continuité de l’action – globalement, nous avons réussi à faire face. Quelques dispositifs avaient déjà été mis en place : si je prends, par exemple, la structure que je préside, le télétravail était en expérimentation, mais pour un pourcentage très faible du personnel, et seulement une journée ou deux par semaine. Il a donc fallu généraliser, pratiquement en un rien de temps. Même si des bribes d’organisation étaient en place, nous avons dû assez largement improviser compte tenu de l’ampleur du phénomène, et compte tenu des circonstances, je trouve que le résultat auquel nous sommes arrivés n’est pas mauvais.

Comment, dans votre université, la question des examens a-t-elle été réglée ? Et, plus largement, la question du retour physique des étudiants à l’université ?
Je préside une fédération d’établissements dans laquelle presque toutes les solutions possibles ont été mises en œuvre, ce qui me donne une vision presque complète. L’université fédérale regroupe les trois universités toulousaines et la quinzaine d’écoles spécialisées, dont beaucoup d’écoles d’ingénieurs. On renforcé les partages de pratiques durant cette période, comparé des solutions techniques. Les choses se sont organisées en deux temps. La première urgence, au mois de mars, fut d’assurer la continuité pédagogique, tout en essayant de construire des solutions de cours à distance. Cela s’est avéré facile dans un certain nombre de disciplines, mais beaucoup plus compliqué pour les travaux pratiques par exemple. Il a tout de même été possible d’assurer la continuité pédagogique pour l’essentiel. Évidemment, quand il faut faire des travaux pratiques, des manipulations sur les paillasses par exemple, c’était extrêmement compliqué de l’organiser dans l’urgence avec des outils numériques. Filmer une manipulation, ça ne suffit pas, ce n’est pas parce que vous regardez une manipulation sur une vidéo que vous savez la faire. Cela nous pousse aujourd’hui à aller plus loin, à essayer de trouver des solutions nouvelles, qui peuvent prendre la forme d’un mix entre du présentiel et du distanciel : comme de faire interagir un ou deux étudiants présents avec des étudiants restés chez eux ou qui se trouvent à distance… Nous sommes mis au défi, obligés de nous poser des questions qu’on ne se posait pas nécessairement auparavant.
Dans un deuxième temps, il a fallu régler la question des examens, et des solutions assez diverses ont été mises en œuvre. Il y a eu des approches maximalistes, qui consistaient à organiser les examens presque normalement, en mettant en place des outils techniques pour les surveiller à distance – ce qui a été fait par exemple à la Toulouse School of Economics. Plus fréquemment, il s’est agi d’adapter les examens et les modalités de contrôle de connaissance aux circonstances, c’est-à-dire de transformer la nature des épreuves. Si je prends le cas d’un établissement que je connais bien parce que je l’ai dirigé, à Sciences Po, nous sommes allés vers des sujets qui demandaient plus de réflexion à partir de la mobilisation des connaissances, laissant parfois les étudiants avoir accès à leurs notes, pour permettre une réflexion construite, plutôt que des questions de cours plus classiques.

Qu’est-ce qui vous semble possible de continuer « comme avant », et qu’est-ce qui vous paraît impossible de poursuivre, compte tenu des problèmes de moyens que posent inévitablement le numérique ?
S’agissant de la fracture numérique et du fait que certains étudiants étaient privés de connexion ou de matériel, nous avons essayer de prendre le problème à bras le corps. C’est une question importante, qui touche à l’égalité d’accès à l’enseignement supérieur. Tout d’abord, la région Occitanie a distribué 1500 ordinateurs aux étudiants de l’académie. Nous avons également repéré les étudiants boursiers privés de matériel, et avons essayé de leur  prêter des ordinateurs. Cette action fut complétée par certains établissements, qui ont dégagé des fonds de ce qu’on appelle la CVEC (la Contribution de la Vie Étudiante et de Campus), dédiée normalement à l’aide sociale étudiante et à la vie étudiante en général. Cela a permis d’acheter des machines, et même des extensions d’abonnements téléphoniques, parce qu’on s’est rendu compte qu’un certain nombre d’étudiants en avaient besoin. Nous nous sommes donc fortement mobilisés sur ce volet de la lutte contre la fracture numérique. Sur celui de l’équipement des établissements en logiciel, en machines, etc., et sur la question de l’évolution des pratiques, nous avons répondu le 6 juillet à l’appel à projets lancé dans l’urgence. L’État devrait mettre à disposition des moyens pour accompagner le passage à l’échelon supérieur de ce qu’on a expérimenté pendant la crise. Ainsi, si une deuxième vague et un deuxième confinement devaient arriver, on sera un peu moins dans l’improvisation et le bricolage.

Est-ce que vous diriez que dans ce « monde d’après » il n’y a plus seulement une injonction à s’adapter mais une opportunité d’innovation pédagogique ?
Je pense, en effet, qu’il y a une opportunité, mais il faut d’abord désamorcer une crainte. Un certain nombre de collègues sont persuadés que le ministère, ou les présidents d’université, veulent se servir de ces acquis pour numériser à tout va, et en profiter pour réduire les moyens. C’est un discours très présent dans une partie de la communauté universitaire. Il me semble que la situation nous offre une occasion inédite de réfléchir à nos pratiques, d’accroître certainement en partie l’hybridation entre présence physique et cours à distance, mais il faut bien être conscients que ce n’est pas une manière de faire des économies, au contraire cela exige des moyens à la fois en matériel et en personnel. Pour mettre en scène un cours de manière à ce qu’il soit donné à distance, il faut par exemple un accompagnement par des ingénieurs pédagogiques, des métiers dont nous ne disposons que relativement peu aujourd’hui dans nos établissements et dont nous aurons besoin de manière beaucoup plus importante. Ils aident l’enseignant à scénariser le contenu de son cours, qui peut être extrêmement précis, à alterner entre le pdf qui a remplacé le classique polycopié, et le powerpoint pour expliciter un point précis, un petit film en illustration… Parce que si faire un cours à distance, c’est faire comme avant mais à distance, cela ne répond pas aux attentes des étudiants !
Par ailleurs, si l’on va vers une forme d’hybridation, nous aurons vraisemblablement besoin d’accompagner de manière plus individuelle les étudiants. En tout cas, il faudra former de plus petits groupes, pour venir préciser des compétences qui ont été données dans le cadre d’un cours éventuellement diffusé à distance. Or des petits groupes, ça coûte plus cher en termes d’accompagnement et donc de ressources humaines. Il me semble que si nous étions capables de dégonfler ce fantasme selon lequel l’hybridation servirait à faire faire des économies, nous pourrions y réfléchir sérieusement, ce qui est souhaitable car l’amphithéâtre n’est tout de même pas le stade ultime de la pédagogie à l’université.

Dans une tribune du Monde, Sylvie Bauer, présidente de la commission permanente du conseil national des universités, parlait de l’importance de retrouver des étudiants dans l’université, de retrouver de la théâtralité, de l’interaction, de la sociabilité mais aussi de renouer avec sa fonction sociale. Comment concilier les deux, les cours à distance et la fonction sociale ?
Évidemment, l’égo du professeur est flatté dans l’amphithéâtre, devant 250 ou 500 personnes dont il parvient plus ou moins bien à capter l’attention, je l’ai vécu. Mais l’interaction pédagogique avec nos étudiants est extrêmement limitée. Je me souviens que j’avais essayé, lorsque j’enseignais le droit international, ce qu’on appelle le cours inversé. J’envoyais le PDF du cours en avance, et je prévenais les étudiants  qu’il y aurait une première partie du cours consacrée à des questions sur ce qu’ils avaient reçu, puis que je viendrai l’illustrer par un cas précis. Le cours pouvait, par exemple, porter sur la définition de l’État, et en seconde partie je posais la question de la Palestine et de son statut ou non d’État au regard du droit international. J’ai pu constater que, même avec des étudiants motivés, se produisait alors une forme de fuite : un certain nombre ne vient tout simplement pas, même s’ils savent qu’ils pourront être interrogés sur la seconde partie du cours qu’ils n’ont pas reçu. Quant à ceux qui sont là, tous ne jouent pas le jeu. Il me semble donc nécessaire de faire bouger ce modèle de l’amphithéâtre. C’est difficile parce que cela impose des efforts à tout le monde, plus de travail pour les enseignants, un changement de culture et de posture pour les étudiants, mais honnêtement c’est bien plus intéressant. Il ne s’agit pas, encore une fois, de tout passer à distance, en tout cas en période normale. Toutefois, si les conditions sanitaires nous l’imposent de nouveau, c’est quand même mieux d’être capables de le faire aussi. On parle bien d’aller vers une forme d’hybridation, et pas du tout de faire disparaître la fonction sociale de l’université qui est, en effet, absolument essentielle.

La ministre de l’enseignement supérieur a mis en ligne le 11 juin une circulaire sur le protocole de rentrée, qui est plutôt décrié. Vous semble-t-elle applicable ?
L’essentiel de la difficulté, c’est la distance d’un mètre qui est imposée entre les étudiants qui nous prive d’une partie des jauges de nos amphithéâtres : là où vous pouviez accueillir 250 personnes, vous allez pouvoir en accueillir selon les cas 120, 130, peut-être même un petit peu moins. Cela remet en cause tout le modèle des formations, surtout pour le premier cycle qui repose beaucoup sur des cours en amphithéâtre, très nombreux : on monte à 800, parfois à 1000. De ce point de vue, il y a une forme de déconnexion à penser qu’on serait capables, presque du jour au lendemain, de multiplier par deux les surfaces dans lesquelles on accueille nos étudiants. Mais il faut faire avec. C’est pour cela que la plupart des établissements travaillent aujourd’hui sur de l’hybridation. Il ne s’agit de dire qu’on va supprimer les cours en amphithéâtre, je n’ai pas entendu d’établissements envisageant cette option. Mais on peut imaginer, par exemple, que la jauge sera limitée à la moitié de ses capacités, et que le cours sera retransmis en même temps. On peut aussi, même si c’est plus compliqué en termes de ressources humaines, diviser les groupes pour faciliter l’accueil. On peut enfin, et cela risque d’être malheureusement l’option la plus retenue, même si c’est difficile à gérer, procéder à une extension des plages horaires d’accueil dans les universités. La question de la restauration n’est pas encore résolue non plus. Si le CROUS a les mêmes contraintes que nous, et doit laisser un mètre entre les personnes présentes dans ses restaurants, je pense que tous nos étudiants n’arriveront pas déjeuner entre midi et deux, et il faudra donc soit terminer des cours plus tôt, soit en commencer plus tard. Les conséquences sont multiples.

Un nombre important d’étudiants ne terminent pas leur première année de licence, avez-vous une crainte particulière pour ces étudiants qui entrent en première année d’université ? Qu’allez-vous mettre en place ?
Oui il faut avoir un regard particulier sur ces étudiants. D’abord parce que l’entrée à l’université constitue un saut méthodologique, en termes d’autonomie, qui est loin d’être acquis. C’est le franchissement de ce fossé en termes de méthode qui s’avère difficile pour beaucoup d’étudiants, c’est ce qui fait qu’on en voit malheureusement encore trop échouer en première année. A cela, classique, il convient d’ajouter les circonstances particulières : l’arrivée d’une génération de lycéens qui s’est arrêtée en mars, et n’est pas retournée, ou très peu, dans son établissement. Elle va devoir retrouver un rythme, une sociabilité différente dans un environnement parfois de liberté plus grande parce que plus éloigné de la famille. Certains effets spécifiques sont à craindre cette année, les établissements s’efforcent déjà de mettre en place des dispositions. Cela peut prendre la forme d’un tutorat avec des étudiants des années supérieures, un étudiant de deuxième ou troisième année qui suit un étudiant de première année… Cela peut être un encadrement pédagogique renforcé, avec des séances de méthode qui vont être mises en œuvre un peu plus tôt dans l’année, de manière à s’assurer qu’on perd le moins possible de personnes en cours de route. Il y a différentes solutions, mais en tout cas c’est un point d’attention.

Après la parenthèse du confinement, la Loi de Programmation pour la recherche (LPPR) a finalement été présentée ce mercredi en Conseil des ministres. Les craintes exprimées par la communautés universitaire, et qui ne datent pas de cette loi, touchent à la marchandisation de l’enseignement, l’obsession gestionnaire, l’augmentation des inégalités à la fois entre les étudiants, les universités, les universités et les grandes écoles. Quelle est votre position à ce sujet ?
La première chose à souligner selon moi, c’est que la LPPR est d’abord une loi de programmation budgétaire, et qu’elle annonce pour la première fois depuis très longtemps un réinvestissement massif dans la recherche. Sur ce point précis, j’ai du mal à comprendre qu’on soit contre. Je peux comprendre l’opposition à certaines dispositions, au tenure track (NDLR : procédure de « recrutement conditionnel ») par exemple, mais ne pas saluer l’effort de réinvestissement, me laisse perplexe sachant que cela vient des mêmes qui nous disent qu’on manque de moyens – ce qui est vrai. Au sujet de l’opposition entre écoles et université, honnêtement, je trouve qu’on est dans un clivage complètement dépassé. C’est vrai qu’il demeure des différences de moyens, qui peuvent être liées à des tutelles différentes, parce que beaucoup d’écoles dépendent de ministères techniques qui amènent un peu plus de fonds. Cela peut être lié au fait que les formations d’ingénieur notamment sont plus coûteuses initialement, et garantissent un meilleur taux d’encadrement. Néanmoins, et c’est une évolution importante, on ne peut plus caricaturer en disant que les écoles sélectionnent et ne prennent que l’élite, alors que les universités récupèrent la lie des étudiants : c’est totalement faux. Les universités ont d’excellents étudiants, et les écoles d’ingénieurs ont pour beaucoup d’entre elles des taux de boursiers qui sont loin d’être ridicules, et, par ailleurs, elles les emmènent à bac+5. Aux universitaires qui prétendent que les écoles n’ont pas à assumer un public de boursier, il faut rappeler que si les universités ont souvent beaucoup de boursiers en entrée de cursus, elles en perdent beaucoup. Si vous comparez au niveau master, vous avez souvent des taux de boursiers  au moins équivalents dans les écoles et les universités. Par ailleurs, si je prends la situation toulousaine, les universités et les écoles partagent l’ensemble de leurs laboratoires de recherche. Ça veut dire que ce sont les mêmes qui peuvent s’opposer en public, mais qui travaillent sur les mêmes projets, main dans la main, une fois au laboratoire, et qui vont gagner ensemble un certain nombre d’appels d’offre. Je trouve donc cette opposition un peu décalée et passéiste. Et je ne vois pas dans la LPPR ce qui permet d’affirmer qu’on va donner plus de moyens aux uns qu’aux autres.

Et plus généralement, sur l’évolution de l’université, où beaucoup regrettent ce qui a été mis en place avec les agences de recherche, et l’évolution vers une approche « darwinienne » pour citer le président du CNRS…
Qu’est-ce qu’une agence de recherche ? C’est une agence publique, qui cherche à déployer ou à permettre au ministère de déployer une politique nationale de recherche, en ciblant un certain nombre de thématiques qu’il considère comme prioritaires. Or qu’un gouvernement veuille avoir une politique nationale de recherche, cela ne me choque pas. Il faut évidemment être extrêmement vigilant pour que ça ne conduise pas à oublier des disciplines qui sont moins au cœur des préoccupations sociétales ou des enjeux économiques. Si l’on ne procédait plus que par appel à projets pour financer la recherche, je serai le premier à rejoindre les inquiétudes qui sont exprimées. Néanmoins, si l’on atteint un équilibre avec des financements pérennes octroyés à des disciplines qu’il est plus difficile de faire financer par appel à projet, je ne vois pas où est la « marchandisation » là-dedans. Depuis la mise en œuvre de la LRU (NDLR : La loi relative aux libertés et responsabilités des universités de 2007), le budget des universités est un budget global, et l’université se débrouille avec. La difficulté majeure, c’est que ce budget global est insuffisant, et qu’on est obligés de faire des arbitrages entre les différentes fonctions de l’université, et parfois soit de délaisser certaines parties de la recherche, soit de ne pas alimenter comme il faut – notamment en nombre de collègues – le volet enseignement. C’est un vrai problème. La LPPR reste une loi de programmation, donc il faudra attendre que les dispositions soient mises en application pour en être certains, mais il semble qu’il y ait une prise de conscience et qu’on affiche aujourd’hui des objectifs pour aller vers plus de moyens. Après, la responsabilité incombe à chaque établissement et à leurs équipes qui sont élues, et ont donc une légitimité, ainsi qu’aux conseils d’administration qui décident des budgets. Qu’on ait pu voir localement certains de ces critères prévaloir, on ne peut pas l’écarter. Mais ce n’est pas rendu obligatoire en soi par la manière dont est organisé le système : c’est un choix des universités autonomes de mettre en œuvre tel ou tel type de critère d’attribution de ces moyens.

L’autre façon de dégager des revenus supplémentaires pour les universités, ce sont les droits d’inscription des étudiants, qui sont au cœur aujourd’hui encore des discussions, puisque le Conseil d’État vient de valider la possibilité de hausses de ces frais pour les étudiants étrangers non européens. Toulouse a été désignée première ville pour l’accueil des étudiants étrangers – comment cela se passe-t-il à l’Université fédérale ?
Nous n’avons pas de système unique, mais je pense que nous reflétons la diversité nationale. Certains de nos établissements ont dit qu’ils s’efforceraient de ne pas augmenter les frais, c’est le cas à Toulouse 2, c’est le cas pour l’instant à Toulouse 3 même si les choses pourraient évoluer. D’autres établissements, via des masters internationaux dans les écoles par exemple, pratiquaient déjà des frais d’inscription assez élevés et continueront de le faire. D’autres encore adhèrent à l’idée de l’augmentation de ces frais, comme c’est le cas à Toulouse 1. Cela a été présenté comme une façon de renforcer l’attractivité des universités françaises, et je reconnais que ce fut pour le moins maladroit… Je crois que l’enjeu était de dire que là où l’on souffre d’un déficit d’attractivité ou d’un désavantage comparatif, c’est dans ce nos établissements proposent en termes de services globaux autour de la formation. Nos formations de manière générale, que ce soit dans les universités ou dans les écoles, ont un niveau de qualité reconnu, et sur cette seule base les étudiants n’hésitent pas à venir en France. Si l’on ajoute le fait que ce n’était pas cher, c’était particulièrement avantageux.
Mais ce qui nous fait vraiment défaut, c’est la qualité de vie étudiante sur nos campus, qui est très en retrait. Quand vous vous baladez sur les campus américains, ou plus largement anglo-saxons, c’est connu, et même sur les campus asiatiques, on trouve des équipements sportifs, des logements sur place bien intégrés, des systèmes de santé étudiants très corrects, une vie culturelle, associative, etc. d’un niveau qui jusqu’alors n’avait rien à voir avec ce que nous proposons en France. Même dans l’accueil des étudiants, c’est-à-dire la manière dont ils atterrissent chez nous, on souffrait vraiment de la concurrence avec l’étranger. L’idée du plan consistait à faire davantage contribuer des étudiants, qui ne participent pas à l’impôt, en leur faisant payer un peu plus cher leurs formations, afin de dégager des moyens pour rehausser le niveau de prestation sur le volet vie étudiante. C’est encore trop tôt pour dire si cela a fonctionné, mais je crois que c’était ça l’esprit, et qu’il aurait fallu l’expliquer comme ça.

Beaucoup y ont vu un cheval de Troie vers une augmentation plus générale des droits d’inscription. Une telle augmentation vous paraît-elle souhaitable ou faut-il rester aux alentours de 200€ annuels ?
C’est un vrai sujet, qui mériterait un débat un peu plus serein que celui auquel on a droit régulièrement. 200€, c’est une somme dérisoire par rapport à ce qu’on dépense pour un étudiant ; mais ça peut aussi être un vrai barrage, donc il faut faire très attention. Dans les IEP, on s’est souvent posé la question. Personnellement j’ai mis en place un système de droits modulés en fonction des revenus des familles. Cela n’allait pas jusqu’au niveau des frais d’isncription de Sciences Po Paris (10 000 €) mais jusqu’à 3000 ou 4000 euros au maximum, pour ceux qui avaient des revenus assez significatifs. Je trouve qu’il est risqué de s’interdire d’en débattre, parce que cela peut conduire à paupériser l’université. Quant au slogan de la « gratuité de l’enseignement supérieur », je voudrais bien que mes collègues prennent conscience que la gratuité est anti-redistributive : cela revient à faire financer les études des riches par les impôts de tout le monde, puisque statistiquement les riches font plus d’études que les autres… Il y a quand même dans ce débat un certain nombre de raccourcis qui me gênent. Évidemment, je ne suis pas du tout pour une augmentation massive, et si augmentation il doit y avoir, à mon sens, elle ne devrait se faire qu’au regard des conditions ou des capacités financières des familles et accompagnées d’un système de bourses, de dérogations etc. qui permette de gérer les situations de manière à ce qu’il n’y ait pas d’exclusions de l’enseignement supérieur pour des raisons financières.

En tant que président de la commission juridique de la CPU, vous êtes en charge d’anticiper, de conseiller sur des questions juridiques les présidents d’universités. Où en sont les universités françaises sur les questions liés à la lutte contre les discriminations et contre le racisme dont on sait qu’elles ont un poids croissant aux États-Unis, aussi bien sur la vie étudiante que sur les enseignements ?
Pour l’instant, nous sommes très loin de la situation américaine, et n’avons pas eu à nous exprimer au sein de la CPU sur ces questions. Il y a bien eu, voici un an, un an et demi des mobilisations visant à empêcher telle ou telle personne de venir donner des conférences, comme la philosophe Sylviane Agacinski à l’université Bordeaux-Montaigne, ou la représentation d’une pièce d’Eschyle à la Sorbonne. À ce moment-là, nous avons eu quelques partages d’expériences, mais nous n’avons pas vraiment diligenté quelque chose de solide – si ce n’est rappeler de grands principes qui prévalent. Sur le volet de l’anti-racisme, je n’ai eu, pour le moment, aucune remontée de terrain. La seule chose, c’est peut-être ce qui s’est passé il y a quelques semaines, à Lille. Un professeur de sport a interdit à une étudiante de participer au cours avec son foulard. Il y a eu une tentative de médiation par la référente pour la lutte contre le racisme à l’université, qui a rappelé les règles juridiques : effectivement il n’y a pas d’interdiction du foulard dans l’enceinte de l’université, mais on peut en avoir ponctuellement, lorsque le port du foulard engendre un danger potentiel pour les personnes – par exemple en chimie parce que l’acide peut remonter au visage, ou en sport. L’étudiante a néanmoins continué, et même accusé la référente antiracisme d’être islamophobe. Du coup, des collègues ont publié une tribune pour rappeler le cadre juridique, et nous avons participé en apportant un support. Il n’y a donc pas eu d’inflation de ces questions. Mais nos étudiants n’étaient pas sur les campus après l’affaire Floyd, peut-être cela s’y prêtait-il moins…


Raphaël Bourgois

Journaliste

Rayonnages

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