Cinéma

Sophie Letourneur : « Il n’y a rien de plus beau que ce qui se passe en vrai »

Critique

Voyages en Italie, le cinquième long métrage de la réalisatrice de La Vie au Ranch (2010) et d’Énorme (2019), est un film qui raconte « tout deux fois ». Plus proche de l’infra-ordinaire perecquien et de la performance artistique, peut-être, que du cinéma attendu, c’est aussi une comédie sur le lien et le désir au temps des classes moyennes. Et contrairement à la chanson qui hante le film, pas « juste une mise au point » : plutôt une mise au point juste, c’est-à-dire trouble.

Jean-Fi (Philippe Katerine) et Sophie (Letourneur) sont dans un bateau. Mais le plus souvent en auto, en bus, en scooter ou dans un lit. Il veut aller en Italie, elle préfèrerait l’Andalousie. D’ailleurs, il va toujours en Italie, ça lui ferait du bien de changer ses habitudes. Mais est-ce qu’un voyage va vraiment régler leurs problèmes ? Et lesquels d’ailleurs ? Est-ce qu’en Sicile, on ne ferait pas mieux de boire du Noto plutôt que du Nero d’Avola ? Et est-ce que tu pourrais me passer de la crème en bas du dos, là ? Je sais pas, je crois que je fais du gras, ça me brûle. Finalement, Jean-Fi et Sophie laissent leur fils Raoul chez les grands-parents. Ils vont voir Stromboli comme Roberto Rossellini et Nanni Moretti, ne se font pas voler leur voiture, ne font pas le tour du volcan, évitent les fumerolles qui décolorent les vêtements. L’hôtel a un matelas Sealy, c’est trop confortable. On dirait que Raoul a des glaires. Bah non, il a pas de glaires, Raoul.

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On rencontre Sophie Letourneur dans la même brasserie qui a fait écrire à Céline : « Ça a débuté comme ça. Moi j’avais jamais rien dit. Rien. » Une terrasse idéale pour les œufs à la coque. On parle beaucoup du couple, du lien, du trop-plein de fiction. La réalisatrice expose « l’usine à gaz » qui la fait toujours partir d’une bande-son : comment elle monte d’abord une partition de voix au millimètre près d’après un matériel autobiographique, puis la fait redire aux acteurs et aux actrices (qui sont souvent elle-même, Sophie Letourneur). On creuse un peu la mort, la mémoire et l’enfance. À la fin, on oublie de lui demander pourquoi il y a de la réverbération sur les voix des personnages quand ils sont dans la rue et ce que contient la lettre à Macron qu’elle va signer. EL

Dans Voyages en Italie, il y a un élément essentiel, qui est le lit : c’est là que le film s’écrit. Jean-Fi adore y dormir. On pourrait d’ailleurs parler d’un tropisme somnolent de votre cinéma : je pense à l’héroïne de Gaby baby doll (2


[1] Ce qui donne un dialogue de ce genre, où voix off et voix in (extradiégétique et diégétique, comme on dit) sont indiscernablement mêlées et littéralement décalées : « Ta fille avait de la fièvre, tu te rappelles ? – Ben putain, je suis crevée, Clotilde elle a fait plein de cauchemars. »

Éric Loret

Critique, Journaliste

Notes

[1] Ce qui donne un dialogue de ce genre, où voix off et voix in (extradiégétique et diégétique, comme on dit) sont indiscernablement mêlées et littéralement décalées : « Ta fille avait de la fièvre, tu te rappelles ? – Ben putain, je suis crevée, Clotilde elle a fait plein de cauchemars. »