Numérique

Fred Turner : « La technologie c’est d’abord des entreprises, et leurs relations avec les États »

Sociologue

Les techniques comme les bâtiments font aussi de la politique. C’est l’un des grands enseignements des ouvrages de Fred Turner. Son œuvre décrit les ponts qui existent entre la contre-culture hippie des années 1960 et la cyberculture, telle qu’elle inspire les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Et, même si des forces politiques et économiques cherchent à les dévoyer, ces idéaux démocratiques persistent dans nos usages, et peuvent nous aider à nous réapproprier les techniques.

Cela fait déjà dix ans que le livre majeur Aux sources de l’utopie numérique a paru en France, s’étant imposé comme une référence pour quiconque s’intéresse à la cyberculture et aux imaginaires projetés sur les technologies de l’information et de la communication. Ce « tour de force », ainsi que le présentait Dominique Cardon dans une préface remarquable et si précise, consistait à suivre l’itinéraire de Stewart Brand[1], et de réveiller, dans son sillage, tout un « monde » comme Howard Becker parlait des « mondes de l’art ». Ce monde, terrestre, rationnel, celui des Douglas Engelbart[2], des Richard Buckminster Fuller, n’a pourtant jamais oublié de regarder vers le ciel, vers le futur onirique rêvé des John Perry Barlow[3] ou Mitch Kapor[4] : entre ciel et terre existe rien moins qu’une civilisation, dont les enfants peuplent aujourd’hui la Silicon Valley.

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Après une carrière dans le journalisme, Fred Turner s’est tourné vers l’enseignement et la recherche. Il est aujourd’hui professeur de communication à l’université de Stanford. Dans un second livre tout aussi vibrant que le premier, Le Cercle Démocratique, Fred Turner montrait comment les dispositif multimédias autour desquels s’organisent de grandes expositions internationales au milieu du XXe siècle, répondent en quelque sorte à une question, posée par la théorie des médias à la démocratie américaine… Ainsi Margaret Mead, László Moholy-Nagy, John Cage venaient s’ajouter à cette longue généalogie d’intellectuels, d’ingénieurs et d’artistes qui mettent médias et techniques au service de la « personnalité démocratique ». On doit aussi à Fred Turner de nombreux articles à l’intersection entre art, science, marketing et théorie politique, dont certains sont regroupés dans L’usage de l’art[5], traitant du festival « Burning Man » comme des habillages par l’art contemporain des locaux de Facebook.

En profitant de cet anniversaire pour lire ou relire les deux grands livres de Fred Turner, on leur découvre ce


[1] Écrivain et militant, figure essentielle qui traverse la contre-culture californienne des années 1960 et la cyberculture qui lui aura succédé.

[2] Ingénieur américain à qui on doit l’invention de la souris, et des travaux fondamentaux sur les interfaces graphiques ou sur le système hypertexte.

[3] Poète et militant libertaire, connu pour sa Déclaration d’indépendance du cyberespace.

[4] Un des fondateurs de l’Electronic Frontier Foundation, ONG de protection des libertés fondamentales sur Internet.

[5] Les trois ouvrages mentionnés ont paru en France chez C&F éditions.

[6] Connu notamment comme co-fondateur de PayPal.

[7] Le terme, parfois traduit par « néoréaction » qualifie un corpus idéologique influent dans la Silicon Valley qui rejette en bloc la théorie du sujet portée par les Lumières. Les Dark Enlightenment promeuvent un individualisme radical tout en embrassant le capitalisme le plus techniciste.

Benjamin Tainturier

Sociologue, Doctorant au médialab de SciencesPo

Mots-clés

Capitalisme

Notes

[1] Écrivain et militant, figure essentielle qui traverse la contre-culture californienne des années 1960 et la cyberculture qui lui aura succédé.

[2] Ingénieur américain à qui on doit l’invention de la souris, et des travaux fondamentaux sur les interfaces graphiques ou sur le système hypertexte.

[3] Poète et militant libertaire, connu pour sa Déclaration d’indépendance du cyberespace.

[4] Un des fondateurs de l’Electronic Frontier Foundation, ONG de protection des libertés fondamentales sur Internet.

[5] Les trois ouvrages mentionnés ont paru en France chez C&F éditions.

[6] Connu notamment comme co-fondateur de PayPal.

[7] Le terme, parfois traduit par « néoréaction » qualifie un corpus idéologique influent dans la Silicon Valley qui rejette en bloc la théorie du sujet portée par les Lumières. Les Dark Enlightenment promeuvent un individualisme radical tout en embrassant le capitalisme le plus techniciste.