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Standing Together : « Nous sommes un mouvement israélo-palestinien qui part de la base »

Journaliste

Pro-paix et anti-occupation, Standing Together intervient sur le terrain, par exemple en contrecarrant les opérations de blocage de livraisons humanitaires à Gaza. Rula Daood et Alon-Lee Green, co-directeur.ices de ce mouvement populaire, étaient, au moment même où le conflit au Liban s’est enflammé, de passage par Paris avant de se rendre à Amsterdam puis Bruxelles, et font passer leurs messages – notamment cesser de livrer des armes à Israël.

Sur leur compte Instagram, ils ont commenté une photo de la délégation palestinienne sur son bateau lors de la cérémonie d’ouverture des JO ainsi : « This is a picture of the future, of security to all of us. » Standing Together est une organisation israélo-palestinienne née en 2015, pro-paix, anti-occupation, pour l’égalité entre les deux populations, pour la justice sociale. Plus qu’une organisation, ils entendent fédérer un mouvement populaire de plus en plus massif, initier un profond changement de société orienté à gauche, appeler à un « front uni » et surtout à agir.

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L’article de Naomi Sternberg, « Le monde a oublié le camp de la paix », publié dans AOC en décembre 2023 et qui établissait un panorama des organismes pro-paix en Israël et Palestine, le mentionne parmi les nombreuses autres initiatives. Depuis le 7 octobre, la couleur violette qui les distingue est particulièrement visible dans les manifestations et autres moments publics.
Les deux co-directeur.ices nationaux, Alon-Le Green, israélien, et Rula Daood, palestinienne-israélienne, font actuellement une tournée en Europe. Alors qu’ils sont de passage à Paris, notamment pour une rencontre organisée le lundi 23 septembre par les Guerrières de la paix au Théâtre de la Colline avec d’autres activistes pacifistes palestiniens et israéliens, nous les avons rencontré.e.s la veille alors qu’ils se demandaient s’ils n’allaient pas renoncer à se rendre à Amsterdam et Bruxelles vu l’aggravation du conflit avec le Liban.
Depuis, ils ont publié dans Haaretz une tribune, « Avec une gauche qui veut occuper le Liban, Israël manque d’une véritable alternative à Netanyahou », contre une opération terrestre au Liban, et critiquant la position de l’opposition. CM

Aujourd’hui précisément, comment pouvez-vous, comment pouvons-nous continuer à espérer la réconciliation et la paix ?
Alon-Lee Green : Oui, la situation empire. Une chose importante que nous avons apprise est que lors d’une crise telle que celle d’aujourd’hui, la crise la plus historique que nous ayons vécue, le sentiment partagé par tous, indépendamment du fait qu’on soit d’accord ou pas quant à ce qu’il faut faire, est que cela peut représenter une opportunité pour clarifier d’une manière ou d’une autre – et cette clarification est nécessaire – ce qu’il y a besoin de faire. La question est bien sûr : quoi faire ? La plupart des gens comprennent que cela ne peut pas continuer ainsi. Et nous essayons de croire, de garder espoir que la distance entre la crise et la solution, la paix, est plus courte que la distance entre la crise et le statu quo, où personne ne pensait à l’occupation, et se disait plutôt, je peux m’asseoir au café à Tel Aviv, aller à une fête, je peux voir mes parents durant le week-end, et il n’y pas d’occupation. Maintenant, la distance est plus courte jusqu’à une solution, mais également jusqu’à une catastrophe complète.

Concernant le Liban en particulier, nous avons appelé pendant des mois à ne pas aggraver la situation au Liban, à ne pas chercher à faire la guerre au Hezbollah. Il y a quelques mois, nous avons acheté, cher, une page du Yediot Aharonot, le plus grand journal d’Israël, pour publier une grande annonce qui disait non à la guerre régionale, qu’elle ferait des milliers de morts dans les deux camps, qu’elle ne représente aucun intérêt pour la sécurité. Nous reprenons en ce moment le même message : est-ce que c’est à cela que ressemble la sécurité, ou bien est-ce que cela signifie en fait toujours plus de civils visés par des roquettes ? Nous appelons à accepter l’accord sur les otages à Gaza, avec le Hamas qui profite du feu, à arrêter la guerre, la tuerie, la destruction. C’est la clé pour parvenir à un arrangement diplomatique avec le Hezbollah qui permettra un cessez-le-feu et le retour de dizaines de milliers de résidents israéliens dans le nord du pays.

Rula Daood : Souvent, les gens voient de l’espoir dans notre travail, ils voient des groupes courageux de gens, des centaines, des milliers qui continuent à descendre dans la rue et avoir un autre avis. Nous n’avons qu’une seule option : nous n’avons pas le privilège de pouvoir laisser tomber. Nous avons choisi et décidé de résister, de faire quelque chose parce que nous comprenons clairement que c’est seulement en amenant notre société ailleurs, en construisant un autre agenda politique, d’autres idées et un autre futur, c’est seulement en persuadant notre société de cela que nous pourrons connaître un réel changement.
De plus en plus de gens viennent avec nous. Standing Together s’est développé depuis le 7 octobre. Toutes les fois où nous aurions pu tout arrêter, vraiment, parce que tant de choses arrivent et si vite, le fait de voir massivement ces gens se joindre à nous nous donne de l’espoir. Cela signifie que ce que nous voyons résonne et amène plus de gens depuis une place où ils ne veulent rien faire vers un autre endroit où ils veulent agir pour que ça change.

Comment expliquez-vous ce qui se passe dans la société israélienne ? Début septembre il y a eu une manifestation qui a rassemblé 750 000 personnes, chiffre qui est relativement nouveau, et énorme étant donné que le pays compte 10 millions d’habitants. Or, depuis le début de la guerre, on a plutôt retenu le manque généralisé d’empathie à l’égard de la population gazaouie. Est-ce que c’est en train de changer ? Et qui vous soutient en Israël, en Palestine, dans le monde ?
ALG : Je peux peut-être répondre en tant que juif – parce que je fais partie de la majorité, Rula faisant quant à elle fait partie de la société palestinienne, qui représente 20 % de la population. Au début, il est clair qu’il y a eu un trauma qui a touché chaque maison, chaque famille, chacun et chacune. Personne ne pensait que ça pouvait être réel. Il était difficile de saisir que ça c’était réellement passé. Et je crois que les Palestiniens aussi ont pensé de même, que c’était fou : nous sommes dans un autre monde, ce qui se passe est complètement nouveau.
Ce trauma est demeuré durant de nombreux mois, et aujourd’hui nous ne sommes même pas encore passés au post-trauma. Nous sommes encore en train de traiter et d’être sous l’emprise de la peur et du trauma. Il y a une chose à comprendre : quand vous souffrez à un tel niveau d’anxiété, de peur et de traumatisme, il est difficile de se dire que les autres souffrent peut-être plus que vous. Attendre cela est en quelque sorte être aveugle au fait que beaucoup de gens étaient en grande difficulté.
De notre côté, nous avons travaillé à comprendre entre nous que notre stratégie ne consiste pas seulement ou pas entièrement à venir dire aux Israéliens qu’ils devraient descendre dans la rue parce que les Palestiniens souffrent plus qu’eux. Nous visons l’intérêt personnel contre la guerre. Et nous disons que pour atteindre ce but nous avons suffisamment de raisons. En tant que juif, j’ai suffisamment de raisons, pour ma famille, ma société, mon peuple, d’aller lutter contre la guerre, parce que nous perdons beaucoup, certes d’une façon très différente des Palestiniens, mais nous perdons quand même.

C’est pourquoi vous avez diffusé, entre autres, des vidéos d’exactions en Cisjordanie contre les Palestiniens avec ce commentaire : « Est-ce ça qui pourra garantir notre sécurité ? »
ALG : Oui. Et nous essayons de reprendre possession du discours sur la guerre, la droite étant la seule à parler de sécurité. Est-ce que c’est ça la sécurité ? Aujourd’hui, dans la nuit d’hier, a été ouvert un nouveau front. Notre gouvernement a cherché par la force à ouvrir un nouveau front avec le Liban. Ils ont frappé, frappé, frappé d’une manière si terrible que maintenant 700 000 nouveaux citoyens se retrouvent à la portée des missiles du Hezbollah. Est-ce que la sécurité ça ressemble à cela ? Nous pensons donc que nous avons une meilleure voie à suivre, et qui peut être patriotique, pour notre propre peuple, et nous pensons que nous tenons la véritable promesse quant à la manière d’y parvenir. C’est peut-être surprenant de se dire que mon intérêt va de pair avec l’intérêt de Rula. Nous ne vivons pas la même réalité, et le prix à payer n’est pas le même. Mais pourtant notre futur peut être le même et nous pouvons tous les deux bénéficier du même futur.

Pour vous une solution existe donc. Deux peuples, deux nations, deux États dont l’existence est imprescriptible…
RD : Les pays sont des institutions solides qui ne peuvent pas disparaître comme ça. Et, plus loin, c’est valable aussi pour les peuples en tant que peuples ; ils existent, ils ne vont pas disparaître comme ça. Et je m’adresse aux deux camps, parce qu’on entend beaucoup parler de fantasmes selon lesquels 7 millions de Juifs devraient retourner quelque part, ou d’autres disant que 7 millions de Palestiniens devraient aller dans les pays arabes et laisser cette terre uniquement pour les Juifs. Il y a beaucoup de gens qui ont des idées messianiques comme notre gouvernement. Le fait est que notre réalité est très, très différente. Les Juifs resteront en Israël et les Palestiniens resteront en Israël et en Palestine. Cette terre est une terre partagée et c’est un foyer pour nous deux. La question, la vraie question que les gens devraient se poser, lorsqu’ils regardent ce qui se passe, et en particulier depuis l’étranger, est de savoir ce que nous pouvons faire pour aider les gens à vivre dans un lieu où ils puissent jouir d’une véritable paix, d’une véritable sécurité, et où nous puissions vivre dans la prospérité et pas seulement survivre. Oui, il y a une grande différence entre la vie des Palestiniens et celle des Israéliens, une différence énorme. Et nous savons bien quelle est la force hégémonique en Israël-Palestine. Mais malgré tout, parce que nous méritons tous deux de vivre, nous nous battons. Nous sommes ici pour nous battre pour un lieu où nous pourrons tous deux être libérés. Nous pouvons tous les deux être libres. Nous pouvons tous les deux être égaux. Et oui, un jour, nous pouvons tous les deux être indépendants. Pour moi, cela n’a pas d’importance : un État, deux États, je ne vais pas fixer une ligne. Je veux juste être là où on nous considère comme des nations. Nous méritons tous les deux les mêmes principes qui nous permettent de vivre dans un endroit où nous sommes chez nous.

ALG : Rula et moi, et ceux que nous représentons, savons tous les deux que même après la création d’un État palestinien indépendant, nous continuerons à nous battre à l’intérieur de notre pays pour en faire un pays différent, égal et meilleur pour nous tous. Et ce n’est pas tout. Sévit aussi en Israël un capitalisme qui fait que les gens vont travailler et restent pauvres. C’est un autre problème. Il y a des Palestiniens en Israël qui sont l’objet de discriminations. Aujourd’hui si les Israéliens sont victimes de la situation socio-économique, les Palestiniens sont cent fois plus affectés. En changeant notre réalité, ce sera positif pour nous tous sur ce plan-là aussi.

Le fait que de nombreux Israéliens partent, que la perspective qu’Israël soit mis au ban des nations, que la vision messianique du gouvernement soit suicidaire, est-ce une forme de disparition ?
ALG : Oui, il y a une grande vague d’émigration. Netanyaou, Ben-Gvir, Smotrich détiennent beaucoup de pouvoir, qui est en fait une épée à double tranchant qui mènera à notre perte. Comment survivre quand vous pensez qu’il n’y a aucune conséquence à ce que vous faites ? Vous bombardez, vous tuez ici, vous tuez là, vous entrez en guerre. Et à un moment donné, le prix à payer tombe.
La vision messianique : c’est pourquoi j’ai si peur. Vous savez ce que c’est que d’être chez soi et de lire, comme en avril : l’attaque iranienne a commencé, des centaines, voire des milliers de missiles sont en route vers vous. Vous vous demandez alors : dois-je aller dormir ? dois-je rester assis pendant les neuf heures qui nous séparent de l’arrivée des missiles ? C’est de la folie. C’est de la folie. Et les gens se réveillent le matin et vont travailler. Ceci n’est pas normal. Nous ne pouvons pas continuer à survivre ainsi. Netanyaou pense que si, qu’il peut nous faire nous habituer à tout. C’est notre travail de le faire comprendre aux gens : non, il ne faut pas s’y habituer.

À Paris vous avez été reçus à l’Assemblée nationale. Qui rencontrez-vous durant cette tournée européenne ? Pensez-vous que l’Union européenne puisse faire pression ?
RD : Nous sommes prêts à rencontrer tout le monde, à l’exception de Le Pen, et nous rencontrerons tous ceux qui peuvent vraiment nous aider. Mais notre objectif principal est d’essayer de faire pression sur les politiciens pour leur faire comprendre que pour qu’ils nous aident, nous avons besoin qu’ils fassent également pression sur leurs gouvernements afin qu’ils changent de politique. La première chose à faire est de cesser de financer ou livrer des armes à Israël, puisque cela permet à la guerre de continuer. La deuxième chose est de parler des personnes vivant en Israël-Palestine, de faire la différence entre les gouvernements, les dirigeants et les personnes, parce que tous les Israéliens ne sont pas le gouvernement et tous les habitants de Gaza ne sont pas le Hamas. Nous devons faire la différence entre les deux, c’est nécessaire quand on s’asseoit, qu’on parle et qu’on négocie.

ALG : De manière générale, nous avons de bonnes réunions. Nous rencontrons aussi des gens obstinés mais qui sont d’accord : je suis d’accord avec tout ce que vous dites, ce que vous dites est le strict minimum, mais je m’en tiens au droit d’Israël à se défendre. De mon côté, je veux vraiment faire entendre que, premièrement, cela ne nous permet pas de nous défendre et que c’est contre les Israéliens. Et que deuxièmement, on se demande ce qu’il en est du droit des Palestiniens à se défendre. Ce n’est pas rien, ce n’est pas quelque chose que nous ne pouvons pas considérer. C’est donc rude. Mais je pense que nous parvenons à faire en sorte que les acteurs politiques sachent qu’il existe en Israël un camp qui recherche quelque chose de différent et qui construit en direction d’une autre politique.

Savez-vous si vos actions sont connues, et si oui comment elles sont perçues, en Cisjordanie et à Gaza ?
RD : Juste avant que vous n’arriviez je venais d’appeler quelqu’un de Gaza, nous parlions et j’ai entendu les armes. Ta ta ta ta ta ta ta – l’un après l’autre. C’est très différent de ce que je vis. Si on essaye de comprendre… je sais évidemment qu’il y a une guerre à Gaza. Nous étions au téléphone, elle parlait comme si ça s’était arrêté, elle continuait à parler. Elle, c’est sa réalité en ce moment. Nous parlions de l’aide humanitaire et de ce que nous pouvons faire pour l’acheminer à l’intérieur de Gaza. Tout le monde pense à Gaza mais nous ne pouvons pas vraiment contacter qui que ce soit. Tout le monde. Mais je sais que les gens essaient de survivre et qu’ils veulent que cette guerre s’arrête parce qu’ils meurent chaque jour, tous les jours. Je sais aussi que la Cisjordanie est dans une situation très difficile parce que le Hamas, avec chaque bombe qui tombe sur Gaza, y devient plus fort étant donné qu’il n’y a pas d’autre pouvoir politique alors que les gens ont besoin d’un pouvoir politique. Israël fait également tout son possible pour affaiblir l’Autorité palestinienne. La seule chose qui se renforce en Cisjordanie, à l’heure actuelle, c’est le Hamas. Nous ne résolvons donc pas le problème. Nous ne faisons que l’aggraver.

ALG : Je voudrais dire juste brièvement que nous avons une très forte présence sur les réseaux sociaux, à la fois sur TikTok et Instagram, en arabe et en hébreu, et en anglais pour l’étranger, nous sommes devenus la plus grande organisation d’Israël sur TikTok, et qu’il est très intéressant de voir que beaucoup de gens de Ramallah et de Gaza nous suivent et interagissent avec nous et nous disent : nous sommes heureux de voir ça.

Quelles sont vos actions, ou du moins pouvez-vous décrire quelques exemples d’entre elles ? Et comment les articulez-vous à un niveau politique ?
ALG : Très rapidement, au début de la guerre, après le 7 octobre, nous avons compris que nous avions besoin dans ce moment terrible de comprendre comment tout était fortement attiré vers la droite. Parce que Netanyaou a dit le premier jour, nous allons les frapper comme personne ne les a frappés auparavant, nous allons faire pleuvoir le feu sur eux et les ramener à l’âge de pierre. C’est un exemple de ce que les gens ressentaient. Notre rôle était de concurrencer ce fait et de suggérer quelque chose de différent d’un point de vue pragmatique, mais aussi en tant qu’idéal, que les guerres et les solutions militaires ne résoudront pas le problème, problème qui ne peut être résolu qu’en vivant tous ensemble sur cette terre dans l’égalité, la liberté, l’indépendance et ainsi de suite. Ce qui a commencé le 9 octobre et se poursuit jusqu’à présent, c’est notre campagne anti-guerre, la campagne pour la paix, la campagne en faveur d’un accord et d’un cessez-le-feu. Le 9 octobre, nous avons appelé à un accord avant l’invasion terrestre de Gaza. Nous avons dit que ce n’était peut-être pas populaire de le dire, mais que nous devions conclure un accord si nous voulions ramener les otages. Nous avons été les premiers en Israël à utiliser le mot « accord ». Les gens nous ont pris pour des fous, un accord avec qui ? avec le Hamas ? Oui, ce n’est pas agréable à dire, mais oui, c’est eux qui détiennent nos otages. Nous avons donc besoin de diplomatie pour y mettre fin. La vengeance n’aidera pas à les ramener à l’âge de pierre, ni à raser Gaza. C’est ainsi qu’a commencé une campagne d’un an, qui n’est pas la plus réussie si l’on considère que, certes, on n’a pas changé la réalité, mais elle nous a permis de passer de 3 % de la population juive nous soutenant en octobre à une proportion à deux chiffres vers février-mars, jusqu’à aujourd’hui où 60 % voire 64 % des gens disent que seul un accord de cessez-le-feu ramènera les otages et qu’ils sont favorables à un retrait de la bande de Gaza. Ils soutiennent donc nos demandes d’un accord de cessez-le-feu qui permettra de libérer les otages et de se retirer de Gaza, d’obtenir la garantie que notre sécurité soutiendra également la paix entre Gaza et Israël, etc. C’est ainsi que l’on crée de la concurrence et que l’on met du poids sur le côté gauche de la discussion afin de polariser les idées plutôt qu’une seule idée dominante.
Par ailleurs, de manière encore plus pragmatique, vers le mois de mars, les colons extrémistes ont constitué des groupes pour empêcher l’aide humanitaire d’arriver à Gaza, alors que le gouvernement refusait de la fournir depuis de nombreux mois. L’aide est alors restée bloquée pendant plusieurs semaines. La situation s’est aggravée, ils ont même commencé à y mettre le feu, à renverser la nourriture, etc. La police n’est pas intervenue. Nous avons fait appel à nos militants pour qu’ils se joignent à la garde humanitaire que nous avons mise en place et que 1 000 personnes ont rejointe. Nous nous sommes divisés en deux équipes, chaque jour, pour nous rendre aux points de contrôle et nous interposer entre les chauffeurs palestiniens et leurs camions d’un côté, et de l’autre côté les colons, certains d’entre eux étant même armés de couteaux pour crever les pneus, etc. Nous avons été là pendant un mois et demi chaque jour, et au début la police n’intervenait pas. C’était très violent. À un moment donné, parce qu’il y avait eu de la violence entre eux et nous, la police a fait son apparition, parce qu’il s’agissait de citoyens israéliens et de citoyens israéliens qui se battaient, alors qu’ils ne se souciaient pas des camions palestiniens. Et eux aussi sont venus chaque jour. Au bout de cinq semaines, ils étaient déjà là quand nous arrivions le matin et ils protégeaient les camions. Nous les avons donc obligés à s’interposer. Depuis le 24 mai, aucun chauffeur palestinien n’a été envoyé à l’hôpital et tous les camions se rendent sans problème à Gaza. Mais aujourd’hui, le gouvernement tente de réduire les livraisons.

Vous organisez aussi des rencontres, moments festifs, meetings, entre juifs et arabes, des formations au leadership pour les étudiants palestiniens en particulier, etc.
ALG : Nous avons des sections dans tout le pays, organisées localement, des groupes d’étudiants. Nous organisons des conventions, des réunions, des campagnes, des formations. Si vous rejoignez le mouvement, et aujourd’hui nous comptons environ 6 000 membres, vous êtes invité à suivre la formation de base, puis vous pouvez suivre un media training, ou une formation sur la manière d’écrire sur les réseaux sociaux, sur l’organisation d’une manifestation, sur la création d’un groupe autour d’un intérêt commun. Nous avons essayé de développer les compétences de nos membres au leadership, et nous avons beaucoup d’activités sur les réseaux sociaux. Comme nous l’avons dit, nous y sommes très présents. Quoi d’autre ?

RD : Nous travaillons avec les autres organisations pro-paix en Israël. La plupart d’entre elles sont organisées comme des ONG. Mais chaque fois que nous en avons l’occasion, nous coordonnons nos activités, qu’il s’agisse d’organiser des manifestations, des réunions ou des événements plus importants. Nous croyons beaucoup au travail en commun et je pense que nous avons de bonnes relations avec la plupart d’entre elles. La différence avec nous, c’est que nous sommes un mouvement qui part de la base. Nous sommes des gens du terrain, qu’il s’agisse d’étudiants ou de sections locales. Nous avons donc des centaines, voire des milliers d’activistes qui peuvent sortir en même temps pour organiser une manifestation ou une série d’événements dans différents endroits du pays.

Si l’on considère que tant que Netanyaou est au pouvoir, la situation ne peut pas s’améliorer, pourquoi rien n’est-il fait pour l’en chasser ?
ALG : Il y a un niveau démocratique des institutions, qui parfois ne le sont pas tant que ça… Mais Netanyaou détient beaucoup de pouvoir. L’une des caractéristiques de la droite populiste est qu’elle continue à détenir les institutions démocratiques, mais qu’elle leur enlève tout contenu. Ainsi, vous nommez vos propres collaborateurs au Shin Bet, au Mossad et à l’armée. Aujourd’hui, la police est tombée. Elle est entre les mains de Ben-Gvir. C’est ça la réalité : l’ensemble du système parlementaire israélien est tenu par le gouvernement. Si le gouvernement ne veut pas qu’une loi passe, elle ne passe pas.

RD : Mais, certes, Netanyaou n’a pas la majorité en ce moment. S’il y avait des élections, il ne serait plus Premier ministre. Et il comprend qu’il va perdre très largement. Mais il sait comment tenir un gouvernement en ce moment. Cette guerre, celle dans laquelle il nous entraîne avec le Liban, est essentiellement destinée à le maintenir au pouvoir afin qu’il puisse s’assurer que l’année prochaine, lorsque les élections auront peut-être lieu, il aura toujours ses propres représentants au gouvernement. Je ne pense pas qu’en temps de guerre, alors que vous vivez dans une région où vous estimez être en minorité, que vous avez beaucoup d’ennemis autour de vous, que vous avez toutes les nations arabes autour de vous, il soit facile de changer cette façon de voir. Il n’est pas facile de faire un coup d’État parce que vous êtes dans cet état d’esprit où vous tenez compte des ennemis qui vous entourent.
Il y a aussi que pour la plupart des juifs israéliens, il faut garder ce qu’on a plutôt que détruire tout avec un coup d’État, y compris le concept d’État lui-même.

Est-ce que vous voyez apparaître des figures politiques capables de changer la situation ?
ALG : C’est une question difficile. S’il y avait des élections maintenant, Netanyaou perdrait, mais la situation ne s’améliorerait pas pour autant. La nouvelle coalition sera une coalition de droite. Le premier ministre sera peut-être Bennett, qui est également messianique. Peut-être que ce sera Liberman, qui est un fasciste. Peut-être que ce sera Gideon Sa’ar, qui s’attaque à l’aile droite du gouvernement depuis l’aile droite. Ce serait une bonne chose de ne plus avoir Ben-Gvir et Smotrich, mais nous devons construire une alternative politique. Et pour l’instant nous ne voyons aucune figure se distinguer. Parce que je pense que nous sommes à un niveau de lutte qui n’est pas seulement une lutte politique superficielle entre les candidats et les partis. C’est plus profond que cela. Et en ce sens, même s’il y a un parti politique extraordinaire qui obtient, je ne sais pas, 10 %, 20 %, ce ne sera pas suffisant. La lutte sera gagnée par un grand mouvement composé de nombreuses parties différentes qui construisent un bloc. Et la question est de savoir comment y parvenir. C’est bien plus intéressant que de savoir qui sera la personne leader.


Cécile Moscovitz

Journaliste, Secrétaire générale de la rédaction d'AOC