Politique

Pourquoi le peuple ? Quel peuple ?

Philosophe

« Peuple » semble être le nom d’un problème à résoudre, alors qu’il devrait être celui d’une question. Et poser la question du peuple, c’est supposer que celui-ci n’est pas une donnée mais le résultat d’une détermination historique et politique. Il s’agit alors d’enquêter sur les modes de cette détermination.

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Depuis bientôt trente ans le peuple paraît poser problème aux démocraties occidentales. Le nom de ce problème est bien connu : « populisme ». Terme fourre-tout, le contraire d’un concept, agité comme un chiffon rouge par les uns et les autres, il signe certainement le mépris dans lequel les couches dites inférieures de la société – celles que Michelet nommait joliment « le grand peuple d’en bas » et qu’il opposait au « petit peuple d’en haut » –, sont tenues par les gouvernants et les clercs. Il révèle aussi la volonté d’amalgamer extrême droite xénophobe et gauche radicale, la « gauche de gauche » dont parlait Pierre Bourdieu, en vue de dessiner les contours des forces politiques cherchant à gouverner au consensus. Après le Brexit, l’élection de Trump, les succès du FN et du FPÖ, le dernier émoi est suscité par la victoire électorale du M5S en Italie. Plutôt que de revenir sur « populisme », dont on finit par se lasser, je crois utile de reprendre la question à sa racine, c’est-à-dire au niveau du nom de « peuple », de ses usages dans la rhétorique politique.

La question du peuple

On croit trop vite avoir réglé l’affaire en reprochant aux contempteurs du populisme leur mépris du peuple, incompatible avec le principe même de la démocratie, comme si le peuple était une donnée objective, sociologique, comme si le peuple était toujours bon en soi, mais parfois trompé par quelques démagogues. On tourne en rond : pourquoi le peuple dans sa supposée bonté naturelle se laisserait-il tromper ? Parce qu’il serait ignorant ? bête ? Nous sommes alors reconduits au mépris dénoncé. L’usage du mot « populisme » enferme dans ce mouvement de balancier. « Peuple » semble être le nom d’un problème à résoudre, alors qu’il devrait être celui d’une question.

« Peuple », en politique, ne peut être un problème[1], parce qu’un problème, quand il est résolu, est supprimé, à l’inverse d’une question qui se pose du point de vue du sujet qui l’énonce, sans que la réponse l’épuise, b


[1] Voir Annie Collovald, Le Populisme du FN, un dangereux contresens, Éditions du Croquant, 2004, p. 62.

[2] Dans un livre paru en 2008, Les Ambiguïtés du peuple (Pleins Feux), j’ai proposé une analyse systématique de ces ambiguïtés. J’en ai dessiné la topique dans mon livre récent, Les Voies du peuple. Éléments d’une histoire conceptuelle (Éditions Amsterdam).

[3] Voir Jean-Toussaint Desanti, Un destin philosophique (Hachette pluriel).

[4] Jacques Rancière, « L’Introuvable populisme », Qu’est-ce qu’un peuple ?, La Fabrique, 2013, p. 139.

[5] Étienne Tassin, « Au-delà du peuple. Pluralité et cosmopolitique », Tumultes n° 40, Noms du peuples, juin 2013, p. 235.

 

Gérard Bras

Philosophe, Directeur de programme au Collège International de Philosophie et président de l'Université populaire des Hauts-de-Seine

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Notes

[1] Voir Annie Collovald, Le Populisme du FN, un dangereux contresens, Éditions du Croquant, 2004, p. 62.

[2] Dans un livre paru en 2008, Les Ambiguïtés du peuple (Pleins Feux), j’ai proposé une analyse systématique de ces ambiguïtés. J’en ai dessiné la topique dans mon livre récent, Les Voies du peuple. Éléments d’une histoire conceptuelle (Éditions Amsterdam).

[3] Voir Jean-Toussaint Desanti, Un destin philosophique (Hachette pluriel).

[4] Jacques Rancière, « L’Introuvable populisme », Qu’est-ce qu’un peuple ?, La Fabrique, 2013, p. 139.

[5] Étienne Tassin, « Au-delà du peuple. Pluralité et cosmopolitique », Tumultes n° 40, Noms du peuples, juin 2013, p. 235.