Éducation

Un an après, qui êtes vous M. Blanquer ?

Professeur de Sciences économiques et sociales

Un an pile après sa nomination comme ministre de l’Éducation nationale, on perçoit mieux qui est l’omniprésent Jean-Michel Blanquer. Esquisse de portrait.

Le 17 mai 2017, le premier gouvernement d’Édouard Philippe était nommé. Et Jean-Michel Blanquer était désigné ministre de l’Éducation nationale. Au moment de la passation de pouvoir avec Najat Vallaud-Belkacem, il  déclarait :  « Il n’y aura pas une énième loi ou une énième réforme. Il y aura tout simplement la volonté de s’attacher aux problèmes concrets » en donnant « la liberté aux acteurs et du pouvoir à nos professeurs, chefs d’établissements et à l’ensemble des acteurs de l’Éducation nationale ». Il indiquait souhaiter privilégier « une démarche pragmatique », conserver « ce qui fonctionne » et « passer à autre chose » quand des dispositifs « ne vont pas ». Il ajoutait enfin : « Il n’y aura pas beaucoup de règles allant de haut en bas dans ce ministère »

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Il est tentant de faire de l’ironie en confrontant ces déclarations à la réalité de la pratique du pouvoir et de renvoyer le ministre à ses contradictions comme on le fait si souvent sur les réseaux sociaux. On pourrait aussi faire la liste des mesures prises depuis un an.

Nous essaierons plutôt de dresser un an après, un portrait du 33e ministre de l’Éducation de la Ve République à partir de son action. Il en ressort celui d’un technocrate scientiste et partisan, d’un communicant omniprésent et populiste et d’un macroniste consciencieux… et ambitieux ?

Un technocrate scientiste

Au moment de sa nomination, on a rangé Jean-Michel Blanquer comme d’autres ministres dans la catégorie des « représentants de la société civile ». En fait, le ministre de l’Éducation nationale est surtout un parfait représentant de la technostructure. Il a été directeur adjoint du cabinet de Gilles de Robien puis deux fois recteur et ensuite directeur général de l’enseignement scolaire sous Luc Chatel (2009-2012). Ce n’est donc pas un inconnu lorsqu’il arrive au ministère, dont il connaît tous les rouages.

Il se présente comme non encarté mais il faut rappeler que son nom circulait comme possible ministre, si François Fillon (ou Alain Juppé) avait été élu. Son livre L’École de demain (Odile Jacob 2016), ressemblait à une lettre de motivation ou en tout cas à un programme ministériel assumé.

On peut d’ailleurs penser que c’est cela qui a entraîné sa nomination. Il semble que la question de l’éducation intéresse peu Emmanuel Macron (l’absence de conseiller à l’Élysée en est une preuve). La partie consacrée à ce sujet dans le programme du candidat était un catalogue disparate mélangeant des niveaux de mesures très différents : de la modernisation du bac à l’interdiction des téléphones. On peut voir alors la nomination de M. Blanquer comme une sorte d’achat d’un programme « clés en mains ». Un programme qu’il va appliquer après avoir, dans cette première année, non sans une certaine improvisation et sous la contrainte budgétaire, coché les cases des rares promesses ministérielles.

On l’a vu successivement avec la réforme de la réforme du collège avec le « rétablissement » (même si elles n’avaient pas disparues) des classes bilangues, du latin-grec et l’assouplissement du dispositif des Enseignements Pratiques Interdisciplinaires. Et ensuite avec un décret sur les rythmes scolaires qui va aboutir au retour à la semaine de quatre jours à terme dans pratiquement toutes les collectivités locales. C’est aussi le cas des CP à 12 ou du dispositif « devoirs faits » qui faisaient partie des promesses, tout comme la réforme du bac. Il n’est pas inutile de rappeler qu’à l’époque de son programme de campagne Emmanuel Macron prévoyait aussi « 4000 à 5000 créations de postes » en plus d’une réorientation des postes déjà créés vers le primaire. Depuis, la loi de finances 2018 a été votée sans création de postes nouveaux.

C’est la succession des décisions d’annulations de la politique précédente qui lui a d’ailleurs valu le surnom de « Ministre Ctrl-Z ». Mais on lui a surtout reproché de le faire sans véritable bilan de ce qui avait été mené précédemment. Ainsi le dispositif « Plus de maîtres que de classes » a été déconstruit au profit des « CP dédoublés » en REP+. Contrairement à la culture de l’évaluation qu’il voulait promouvoir…

La question de la gouvernance s’est aussi posée avec la publication récente d’un livret très détaillé sur les méthodes de lecture qui a été perçue par les enseignants comme une injonction et une infantilisation.

Ces contradictions entre un discours fondé sur la confiance, et l’autonomie et la pratique verticale du pouvoir, dressent le portrait d’un technocrate et d’une structure bureaucratique obsédée par la conformité des procédures. Au lieu d’indiquer le cap et les finalités, ce qui est en effet du ressort du politique, on fabrique des règlements et on enjoint de se conformer à des modalités qui ont été décidées « en haut lieu » et de manière très verticale. Et un technocrate sait ce qui est bon pour vous…

Car les décisions sont prises au nom de la « science » ou en tout cas d’une certaine idée de celle-ci (avec le poids important des neurosciences). Le danger est celui d’une forme de « scientisme » où la science ne serait plus contestable et l’objet de controverses. La pédagogie n’est pas une science mais un savoir pratique.

Et derrière l’alibi de la science, se profile une question plus globale qui est celle du management, de la gouvernance et de la conception même de l’enseignement. Il ne faudrait pas qu’il devienne un métier d’exécution où un « bureau des méthodes » composé de « sachants », dicterait, dans une logique taylorienne de travail prescrit, les « bonnes pratiques ». La phrase d’un syndicaliste à propos d’Emmanuel Macron s’applique aussi à Jean-Michel Blanquer : « Je pense, donc… tu suis ! »

D’autant plus que le caractère non partisan, dont se réclame aussi M. Blanquer, peut être également questionné. On pourrait remarquer que la plupart des membres de son équipe, tout comme lui, ont été membres de cabinets de droite. Mais en ces temps macronistes de brouillage des cartes, ce n’est pas suffisant.

On notera surtout que les positions du ministre se situent dans une perspective très centrée sur le « mérite » et qui semble ignorer, voire nier, les enjeux sociaux des inégalités au profit d’une approche essentiellement individuelle.

Et enfin, même s’il fait des déclarations sur l’innovation et la modernité, son discours et ses mesures sont surtout conservatrices. On oublie que « révolution » (titre du livre d’Emmanuel Macron) au sens astronomique, c’est revenir au point de départ…

Un communicant populiste

Ce discours a été très largement répercuté dans la presse. Si certains reprochaient à Najat Vallaud-Belkacem de faire de la com’, avec Jean-Michel Blanquer on est passé à un stade supérieur. Je m’étais risqué à faire le compte des interviews données aux différents médias de sa nomination jusqu’à la fin de l’année 2017. On arrivait à un décompte de plus de soixante-dix entretiens et portraits.

Il y a donc une stratégie délibérée de conquête de l’opinion. Et jusqu’à maintenant cela fonctionne. C’est l’un des ministres qui a su émerger de l’anonymat du gouvernement. Les sondages d’opinion, même s’il faut les relativiser, montrent qu’il a, auprès du grand public, l’image d’un “expert” qui sait de quoi il parle.

Sa communication ne vise pas de manière directe les enseignants. Ceux qui s’indignent et réagissent sur les réseaux sociaux sont une minorité. On peut d’ailleurs penser que malgré quelques erreurs, ses propos séduisent aussi une bonne partie des enseignants.

Jean Michel Blanquer donne en effet  à entendre ce que l’opinion a envie d’entendre et joue clairement la carte des parents (et des grands-parents…) en ravivant de vieilles recettes datant d’une école nostalgique et fantasmée. Il joue sur le « biais de confirmation » avec un discours de restauration (de l’uniforme, de l’autorité, des méthodes de lecture) qui rentre parfaitement en résonance avec la vision nostalgique et de déploration qu’on trouve chez les 67 millions d’experts de l’école que sont les Français…

Le chercheur Xavier Pons a popularisé l’expression de « populisme éducatif » pour « décrire une situation politique d’ensemble, dans laquelle des responsables politiques proposent sur tel ou tel sujet des mesures qui flattent les attentes perçues de la population, sans tenir compte des arguments, des propositions et des connaissances disponibles. Y compris lorsque ces connaissances, issues notamment de chercheurs, sont le résultat de l’action publique elle-même. Ce populisme est « éducatif » non seulement parce qu’il intervient dans le champ de l’éducation mais aussi parce qu’il véhicule une vision simplifiée du processus d’éducation et contribue, sur des bases contestables, à forger l’opinion sur les enjeux de politique éducative.[1] On peut étendre la réflexion de ce chercheur à la situation présente et considérer que la stratégie du ministre relève bien de ce populisme éducatif.

Car il s’agit bien d’une stratégie. L’omniprésence médiatique du ministre est avant tout un moyen de contrôler la mise à l’agenda et le calendrier. Et le flot ininterrompu des déclarations, dont certaines utilisent la vieille ficelle de l’annonce de dispositifs déjà existants, est surtout destiné à annihiler la capacité de réaction et de critiques. A peine une annonce faite, qu’une autre arrive… C’est donc aussi un moyen de détourner le regard de sujets plus importants. C’est enfin un atout pour construire un rapport de forces favorable en prévision de futures situations conflictuelles avec les enseignants….

Un macroniste consciencieux…

Cette technique d’« une carte postale par jour » (expression de Nicolas Sarkozy) n’est pas propre à Jean-Michel Blanquer même s’il l’a poussée à un haut niveau. C’est une caractéristique du gouvernement Philippe et du président Macron qui jouent sur un rythme élevé de réformes et d’annonces. D’une certaine manière, on peut dire que M. Blanquer est un macroniste consciencieux.

Non seulement, il s’applique à se conformer aux promesses électorales, au risque d’une impréparation dans leur mise en œuvre, et d’en oublier certaines pour cause de rigueur budgétaire, mais il reprend les mêmes postures que son président.

À l’occasion du bilan de la première année d’exercice du pouvoir d’Emmanuel Macron, plusieurs commentateurs ont en effet mis en évidence une stratégie qui consiste à fabriquer du clivage et ne pas tenir compte des corps intermédiaires. Cette posture s’accommode donc très bien du radicalisme comme d’un repoussoir (et inversement). Les vrais ennemis du macronisme sont les réformistes.

On retrouve ce même travers chez Jean-Michel Blanquer. Son utilisation du terme péjoratif de « pédagogistes » pour fabriquer des épouvantails et désigner ceux qui sont pourtant les plus favorables au changement de l’école, relève de cette posture. Tout comme la difficulté à construire une réelle négociation qui ne soit pas une simple « concertation » voire un passage en force. Ou encore la reprise en main, ou la mise à l’écart, d’instances indépendantes comme le Conseil supérieur des programmes ou le Conseil national de l’évaluation du système scolaire. On pourrait finalement résumer cela par un slogan : « Pas de disruption, pas de discussion… ! »

Un an et après ?

Dans ses multiples interviews, Jean-Michel Blanquer a souvent répété qu’il n’avait pas d’autres ambitions que de réussir dans son ministère et que seule la cause de l’École lui importait. La durée moyenne d’un ministre de l’Éducation durant la Ve République est de deux ans et demi. Saura-t-il aller au-delà ? Cela dépend de deux choses : son ambition personnelle mais aussi des réactions des enseignants et de l’opinion face à la suite des réformes.

Pour l’instant, on est encore dans une sorte de sidération ou une réception neutre (voire enthousiaste) de certaines décisions remettant en cause la politique qui l’a précédé. Mais cette stratégie d’annulation du « Ctrl-Z » porte aussi en elle même ses propres limites. Je l’ai déjà écrit, avec cette valse des dispositifs et cet effet de yo-yo, on justifie l’attentisme et la méfiance de ceux qui refusaient de s’engager. Et on laisse penser aux plus investis que leurs efforts étaient vains. Finalement on aboutit à l’idée que l’École est irréformable et que la force d’inertie l’emporte sur la nécessité de changement.

Mais la sidération peut très bien ne pas durer. Si la réforme du bac et du lycée ne semble pas, pour l’instant, faire l’objet d’une protestation nette, en revanche l’orientation dans le supérieur est porteuse de plus de troubles et d’inquiétudes dans l’opinion et notamment les jeunes et leurs parents. ParcourSup et la loi ORE, à l’épreuve du temps, peuvent montrer leurs limites et remettre en question la promesse républicaine de mobilité sociale. On peut penser aussi que ce n’est pas forcément sur le seul aspect éducatif que les tensions peuvent naître mais plus largement dans la remise en question du service public, le gel du point d’indice et la baisse du pouvoir d’achat des fonctionnaires dont l’Éducation nationale n’est qu’un des aspects.

Jean-Michel Blanquer affirmait croire, dans ses premières déclarations, en la capacité d’expérimentation du système éducatif et dans un management « horizontal », mais ce pur représentant de la technostructure commence par décider de manière verticale de modifications sans se donner le temps de l’évaluation et de la concertation. Certes, il n’y aura pas forcément de « loi Blanquer » (sauf peut-être sur l’interdiction des téléphones), parce qu’au final, le système éducatif se transforme par décrets et arrêtés. Mais on peut douter du « pragmatisme » dont il se réclamait, tant la stratégie et le dogmatisme ont pris le pas sur ce qui n’était, au mieux, que des intentions voire un artifice….

Philippe Watrelot

Professeur de Sciences économiques et sociales, Professeur en temps partagé à l'INSPÉ de Paris

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