Présidence, une AOC ?
La marque « Élysée, Présidence de la République » vient d’être déposée. Sur le site de l’INPI, l’Institut National de la Propriété Intellectuelle, le mot « Elysée » (au singulier) intervient déjà dans 130 marques actives en France. L’une d’elles, une agence de communication, s’intitule même « Une marque à l’Elysée ? ». Ça ne s’invente pas… Alors, une de plus ?
Le dépôt de la marque présidentielle soulève trois questions. Est-ce bien légitime ? Quelle en est la logique ? La marque est-elle la bonne ?
Un nom d’émetteur
Dans les sociétés industrielles, une marque correspond à un protocole éditorial, autrement dit à une opération de publication, d’émission de messages vers le public. Ces opérations se distinguent de la correspondance où s’échangent des messages entre interlocuteurs identifiés ayant préalablement accepté la communication. Dans une correspondance, les interlocuteurs se connaissent mutuellement et échangent en vue d’engager une transaction. Le protocole de correspondance – télégramme, téléphone, courriel, sms – garantit l’identité des agents et l’intégrité des messages. Au final, l’échange reste (en principe) privé, protégé par le secret de la correspondance ou des affaires.
La publication, à l’inverse, est une communication d’un émetteur vers des récepteurs indistincts. Elle obéit à un protocole au travers duquel l’émetteur doit s’identifier publiquement et avertir du dévoilement de son message. C’est le cas de toutes les activités médiatiques dont l’objet est d’éditer, littéralement de « mettre au jour », de rendre public. Y compris de la publicité qui, par mille artifices sémantiques, construit la représentation sociale des marchandises.
L’identification publique de l’émetteur, son « appellation d’origine » doit être contrôlée. AOC, l’organisation qui publie cet article, en garantit l’origine… C’est sa marque de fabrique. A défaut, le récepteur ignore « qui parle » et ne peut contextualiser le message. Le sens en est brouillé. C’est le cas des fake news dont la source est douteuse, mais aussi de la fausse monnaie et de toutes les contrefaçons visées par le droit des marques. Du point de vue du droit, la marque est un mot, un signe, chargé de garantir l’origine de tout ce qui le porte. Autrement dit, un outil institutionnel d’émission.
Inversement, tout objet public, toute personne physique ou morale, tout lieu-dit tiré de l’anonymat par une apparition publique, a vocation à devenir une marque, même si celle-ci n’est pas formellement déposée. Un hameau, un boulanger, un footballeur, une harpiste, un tueur, une cagole, sont potentiellement des marques pour peu qu’ils rencontrent un protocole éditorial. Le processus est d’autant plus courant que la société est dite impersonnelle, c’est-à-dire qu’elle garantit l’égalité en droit des personnes privées. Conséquence, la sortie de l’anonymat a un coût. La célébrité suppose la construction d’une représentation sociale, la diffusion d’un récit qui peut, certes, profiter d’une médiatisation gratuite, mais qui, au final, crée une figure publique distincte du sujet privé. Au plan économique, la marque cristallise l’ensemble des efforts consentis pour acquérir la notoriété. L’octroi exclusif de son usage permet le retour sur investissement.
Une marque institutionnelle
Bien entendu, les politiques et les institutions qui les emploient n’échappent pas à cette règle. La publicité pour les hommes politiques est encadrée pour ne pas fausser les compétitions électorales. A priori, les politiques n’ont pas besoin de déposer leur marque propre, laquelle se confond souvent avec le droit à l’image. Certains pourtant, l’élection de Trump ou de Macron en atteste, sont plus adroits que d’autres pour obtenir une médiatisation gratuite. A noter d’ailleurs que Trump était une marque ultra-médiatisée bien avant que son titulaire se présente aux élections.
Quant aux institutions, ce sont par définition des émetteurs publics puisqu’elles édictent des règles et les font appliquer. La Banque Centrale Européenne, la Monnaie de Paris, le Sénat, l’Assemblée Nationale, Miss France, la Premier League, la LFP Conforama, sont des marques déposées ou déposables. Certaines usent de leur statut, de leur audience, de leur pouvoir d’émission pour éditer des sous-produits. Idem pour la Présidence de la République.
Présidence de la République, comme Her Majesty the Queen, est une marque institutionnelle. Elle désigne une fonction publique, théorisée en France par le canon du double corps du roi. La Présidence parle, tweete, émet en tant qu’institution sans mention de son titulaire. Lequel peut s’exprimer librement en aparté. François Hollande a manqué à cette règle en confondant les genres, ce qui lui a coûté son statut. Aux Etats-Unis, Donald Trump a poussé la dualité à l’extrême en tweetant, tantôt sous le nom de POTUS (President of The United States), tantôt sous celui du real Donald Trump (real pour vrai, pas royal…). Le dualisme se mue en duplicité quand ses tweets, au nom d’une stratégie du chaos, servent à revenir impromptu sur un accord acté…
Cela dit, la fonction d’une marque est avant tout commerciale. Si on la dépose, c’est pour vendre, ce qui n’est pas le cœur de métier d’une présidence de la République. D’où cette idée poétique de rapprocher Elysée et Présidence de la République pour en faire une marque de prestige, capable de griffer des objets domestiques pour financer la rénovation du château. Après la loterie du patrimoine, la kermesse de l’Elysée… 20 000 visiteurs lors de la dernière journée du patrimoine.
Quelle image vendre ?
C’est là qu’intervient la sémantique des marques. Car, si, juridiquement, les marques servent à fixer une origine, elles sont bien plus que de simples codes-barres. Les mots ont un sens, sédimenté par une histoire, qui s’agrège à celui des objets nommés. Comme l’écrivent les logiciens de Port-Royal, « signifier dans un son prononcé ou écrit, n’est autre chose qu’exciter une idée liée à ce son dans notre esprit, en frappant nos oreilles ou nos yeux. Or, il arrive souvent qu’un mot, outre l’idée principale que l’on regarde comme la signification propre de ce mot, excite plusieurs autres idées qu’on peut appeler accessoires, auxquelles on ne prend pas garde, quoique l’esprit en reçoive l’impression. »[1]
Le problème ici, c’est que le mot Elysée – au-delà des 130 occurrences de l’INPI, des 146 de Champs Elysées ou des marchés de Noël – évoque beaucoup d’idées accessoires… On entre alors dans une appréciation subjective, mais allons-y, l’opinion est couverte par la revue.
Reviens dormir à l’Elysée… Un décor de vaudeville tel ceux du théâtre Marigny, si proche, si institutionnel aussi et qui fit les beaux jours du boulevard télévisé…. On pense à Mac Mahon et à ses perles. A Félix Faure perdant sa connaissance par une porte dérobée. Au plastron amidonné de René Coty sur fond de guerre coloniale. A Giscard, au camion du laitier, aux vœux au coin du feu. A Mitterrand nourrissant ses colverts devant ses courtisans. A la famille Sarkozy déboulant sur le tapis rouge avant de laisser dresser le campement de Khadafi. A François Hollande endimanché dans le jardin, à ses sorties en scooter, aux paparazzis, aux coups de fil aux chefs d’Etat devant des reporters ou des patrons de télé. Bref, aux Tuche, 5,5 millions de spectateurs…
Depuis la mort du Duc de Berry, l’Elysée est un palais de régicides. Ah, si on avait eu la Maison Blanche, siège d’une institution stable, sacralisée par Hollywood, on n’aurait pas eu besoin d’y accoler la présidence ! D’ailleurs, la Maison Blanche et POTUS sont des marques distinctes. Buckingham et Her Majesty the Queen aussi. Chez nous, la succession de trois républiques, la désertion de Vichy, l’impotence de la fonction présidentielle même rehaussée par la Ve, peinent à faire de l’ex-hôtel de la Pompadour un totem… Et à donner à l’Elysée un lustre, un pouvoir d’édition comparable à Versailles, Buckingham ou à la Maison Blanche. Exit alors la marque « Palais de l’Elysée ».
Du coup, on fabrique un composé, un attelage, qui face à l’ambition du règne, au hiératisme retrouvé de la fonction, sonne comme un oxymore : « Elysée, Présidence de La République ». Quand un ex-président vend les hôtels Accord, pourquoi ne pas oser « Présidence de la République Conforama » ? Ce ne serait pas si pire… De Gaulle qui recréa la fonction ne fut-il pas plus grand à Londres, à Colombey qu’à l’Elysée ?
Voyons alors ce que donnerait « Présidence de la République » tout court. Prenons des tasses, des ronds de serviette, des cravates, des parapluies, des stylos, des lunettes, des pantoufles, du papier toilette, griffées « Présidence de la République ». A priori, ça marche. On peut néanmoins objecter qu’un tel usage tournerait en dérision la fonction présidentielle en affublant de son nom des objets du quotidien. Et que finalement, la référence à l’Elysée, en suggérant une intendance, valide les usages profanes des objets ainsi marqués.
L’argument peut cependant s’inverser. D’abord en faisant savoir que les fonds récoltés, comme ceux des missions de SAS ou des visites guidées de The grass in greener[2], doivent financer l’entretien du château. L’opération prend alors un tour aristocratico-social. Ensuite, si, à l’image du Vatican ou de la monarchie britannique, la présidence montre qu’elle est assez sûre d’elle, assez séculière, pour griffer des objets du quotidien, la dérision change de camp. La présidence s’amuse. Le travers monarchique qui lui est souvent reproché peut devenir sympathique. Chacun saura qu’elle propage un usage décalé de son image pour financer son éclat. Sa légitimité s’en trouvera confortée.